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Radicalisation de l'islam en Tchétchénie : Kadyrov bafoue les droits des femmes

En Tchétchénie, le président Ramzan Kadyrov impose des lois influencées par l'islam radical au mépris des lois russes dont cette République autonome dépend. Les droits des femmes y sont progressivement réduits comme peau de chagrin. Les ONG et défenseurs des droits de l'Homme s'inquiètent depuis plusieurs années de la situation.
Article rédigé par Laura Bruneau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Ramzan Kadyrov a été nommé par Vladimir Poutine en 2007 à la tête de la Tchétchénie (Alexander Vilf/RIA Novosti)

L'influence de l'islam radical dans la politique tchétchène ne fait que croître. En 2005, alors qu'il était encore Premier ministre, Ramzan Kadyrov a commencé par bannir les jeux de hasard de son territoire et, en 2006, il a interdit l'entrée des citoyens danois sur le sol tchétchène suite à la publication des caricatures de Mahomet dans le quotidien Jyllands-Posten.

En janvier 2015, il était en tête d'une manifestation anti-Charlie à Grozny réunissant 800.000 personnes alors que le pays compte un peu plus d'1,2 million d'habitants dont 90% de musulmans.

Rassemblement à propos duquel il a déclaré : «Ceci est une manifestation contre ceux qui insultent la religion musulmane.» Interrogé par Libération en janvier, Alexei Malachenko, spécialiste de l'Orient et de l'islam au centre Carnegie de Moscou, affirmait que cela «s'inscrit dans les ambitions personnelles de Kadyrov qui souhaite devenir le leader des musulmans en Russie et même au-delà.»

Moscou ferme les yeux
Sur le terrain, les premières touchées par l'islamisation du régime sont les femmes. Depuis 2007, un décret signé de la main de Ramzan Kadyrov, fils de l'ancien président et mufti suprême de Tchétchénie Akhmad Kadyrov, oblige ces dernières à porter le foulard lorsqu'elles entrent dans des institutions publiques. En 2009 et 2010, les autorités ont élargi le champ d'application de cette loi sur le voile imposé aux cinémas, lieux de divertissement et même aux espaces extérieurs.

Les femmes non-voilées n'ont pas le droit de travailler dans le secteur public et les responsables éducatifs exigent des écolières et étudiantes qu'elles soient couvertes dans les établissements scolaires.

En Tchétchénie, les lycéennes doivent être voilées dans les établissements scolaires 
 (Said Tsarnaev/RIA Novosti)

Des mesures qui vont à l'encontre de la Constitution russe, dont le préambule dit: «Nous, peuple multinational de la Fédération de Russie, uni par un destin commun sur notre terre, affirmant les droits et libertés de l'homme», mesures qui ne sont toutefois pas contestées par Moscou qui ferme les yeux. Ramzan Kadyrov a été nommé président de la Tchétchénie par Vladimir Poutine en 2007. Lequel a choisi ce pro-russe qui lui est fidèle et dont il finance la politique pour tenir la population tchétchène loin de ses velléités indépendantistes.

Ramzan Kadyrov a toujours affirmé que les lois russes seraient respectées en Tchétchénie, ajoutant cependant qu'en tant que musulman, «il n'y a rien qui prévaut sur la religion». Ainsi, entre juin et septembre  2010, une série d'attaques a eu lieu dans le centre de Grozny contre des femmes qui étaient vêtues de façon jugée indécente, comme le rapporte Human Rights Watch (HRW). Se défendant de toute implication, Kadyrov a déclaré, à propos de ces agressions : «Je ne sais pas qui sont les assaillants, mais quand je l'apprendrai, je leur ferai part de ma gratitude.»

Tout comme HRW, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) a aussi relevé par le passé des atteintes aux droits des femmes. Elle a repris sur son site un texte écrit par Svetlana Gannushkina, une militante russe, qui  rappelle qu'en novembre 2008, Kadyrov critiquait les jeunes femmes qui portaient des vêtements de type européen dans une interview sur le site Grozny Inform en ces termes : «On les voit dans la rue en mini-jupe, avec les cheveux détachés. La mentalité de notre peuple ne le permet pas. Je souhaiterais vraiment que la jeune fille Tchétchène ait l’air d’une vraie musulmane, respectant les coutumes et les traditions de son peuple.»

Allant plus loin, Kadyrov déclarait au journal Komsomolskaïa Pravda, toujours en 2008 : «J’ai le droit de critiquer ma femme. Mais ma femme n’a pas le droit. Chez nous, la femme est à la maison (…). La femme doit être un bien. Et l’homme, le propriétaire. Chez nous, si une femme se comporte mal, le mari, le père et le frère en répondent. Selon nos coutumes, si elle a un comportement dissolu, les proches la tuent. Cela arrive : qu’un frère tue sa sœur, un mari sa femme. Il y a des hommes en prison pour ça chez nous… Comme Président, je ne peux pas accepter que l’on tue. Mais aussi elles n’ont qu’à pas porter de shorts !» 

Louisa Guoïlabieva a épousé le chef de la police locale, Najoud Goutchigov (Capture d'écran du «Moscow Times» )

Polygamie et mariage arrangé 
Le mariage, mi-mai 2015, entre une jeune Tchétchène de 17 ans et un ami proche de Kadyrov, par ailleurs chef de la police, âgé de 47 ans et déjà marié, a une nouvelle fois prouvé la toute puissance du président tchétchène.

Bien que la polygamie soit interdite en Russie, la pratique s'est maintenue officieusement dans le Caucase (même pendant la période soviétique). Kadyrov a personnellement autorisé ce mariage, auquel il a assisté. Il avait proposé, début 2006, la possibilité pour un Tchétchène d'avoir quatre épouses conformément à la charia.

Selon le Code civil russe, l'âge minimum pour le mariage est de 18 ans, mais celui-ci peut-être abaissé à 16 ans dans certains cas. Aussi, le responsable des droits des enfants auprès du Kremlin, Pavel Astakhov, a, pour sa part, affirmé n'avoir trouvé aucune infraction à la loi dans ce mariage. «Aucun crime n'a été commis et les accusations selon lesquelles l'âge minimum légal n'est pas respecté sont fausses», a-t-il déclaré.

Un mariage pourtant  très controversé, notamment en Russie. The Moscow Times affirme que la famille de la jeune mariée a été intimidée et reçu un ultimatum pour laisser leur fille se marier.

Face à ces accusations, le dirigeant autoritaire s'est contenté de répondre via son compte Instagram : «Ces publications ne sont que des mensonges ! L'amour n'a pas d'âge.»


Cette union a suscité des réactions de médias, d'associations et également d'internautes. De nombreuses femmes tchétchènes ont fait part de leur indignation sur les réseaux sociaux, ce qui a fortement déplu à Kadyrov, qui propose tout simplement d'interdire aux femmes l'accès à ces réseaux sociaux. «Vous, en tant qu’hommes, devez tenir vos femmes à l’écart de WhatsApp !», a-t-il ordonné à ses concitoyens masculins dans un reportage télévisé, avant d'ajouter : «Enfermez-les à double tour, ne les laissez pas sortir et elles ne posteront plus rien.»

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