L'Église orthodoxe est un "levier d'influence" qui sert Vladimir Poutine dans sa "stratégie de division de l'Europe"
Alors que l'élection présidentielle russe se tient, dimanche, le spécialiste de la Russie Cyrille Bret est revenu, pour franceinfo, sur les liens qui unissent l'Église orthodoxe et le régime, servant notamment Vladimir Poutine dans sa politique intérieur et extérieur.
Alors que l'élection présidentielle russe, sans aucun suspense puisque les opposants sérieux ont été consciencieusement écartés, vont reconduire Vladimir Poutine à la tête de la Russie, dimanche 18 mars, le spécialiste de la Russie et de l'Asie Cyrille Bret détaille, sur franceinfo, les liens entre le régime et l'Église orthodoxe. Pour le maître de conférences à Science Po Paris, l'insittution religieuse, revenue au premier plan depuis la fin de l'URSS, sert de levier à Vladimir Poutine, à l'intérieur, pour mobiliser autour de lui, et pour défendre les intérêts de la Russie à l'extérieur.
franceinfo : Vladimir Poutine a resserré ces dernières années les liens avec l'Eglise orthodoxe. Dans quel but ?
Cyrille Bret : C'est un levier d'influence intérieur et extérieur qui a été utilisé par Vladimir Poutine, mais aussi par son mentor, Boris Eltsine, dès les années 1990, notamment avec la décision, hautement symbolique, de reconstruire en 1994 le temple du Christ-Sauveur qui avait été détruit par Staline et remplacé par une piscine municipale. Il y a plusieurs relais de pouvoir via l'Église orthodoxe pour Vladimir Poutine. Il y a d'abord une grande proximité entre lui, Dimitri Medvedev et le patriarcat. Actuellement, le patriarche Cyrille [de Moscou] a largement appuyé la politique russe en Syrie, notamment en déclarant la nécessité de défendre les chrétiens d'Orient. À l'intérieur du pays, l'Église orthodoxe a fait passer des messages pour mobiliser l'électorat en faveur du régime de Vladimir Poutine.
Quel écho peuvent avoir ces messages ?
Un écho assez large. Il faut bien voir que dans la tradition russe, l'orthodoxie est un marqueur de différenciation avec l'Occident, et donc, un marqueur de la capacité d'indépendance du pouvoir. On sait, depuis le discours de Vladimir Poutine sur les missiles et on a vu aussi au fil de l'affaire Skripal, que la différenciation par rapport à l'Occident et la farouche volonté d'indépendance par rapport aux Occidentaux est un des principaux arguments de Vladimir Poutine dans cette campagne.
Est-ce que l'Église orthodoxe est une composante de l'identité russe pour Vladimir Poutine ?
Exactement. L'Église lui sert notamment dans toutes les stratégies de réimplantation en Europe pour faire pièce à l'influence de l'Union européenne. Je vous donne deux exemples : l'un au pied de la Tour Eiffel avec le centre culturel russe. Il est en symbiose avec la nouvelle église orthodoxe qui a été inaugurée l'an dernier. Autre exemple : la cathédrale Saint-Sava à Belgrade, en Serbie. Elle a été largement financée par Gazprom et sert d'exemple et d'argument publicitaire pour les initiatives que prend la Serbie dans les Balkans, qui sont candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Le relais orthodoxe est donc un véritable levier d'influence aux portes de l'Europe pour jouer une stratégie de division de l'Europe. Pour revenir à cette élection présidentielle, l'Église orthodoxe est l'un des facteurs de mobilisation sociale en faveur de l'affirmation de l'identité russe.
Des messages pro-Poutine sont-ils relayés pendant les offices ?
C'est beaucoup plus subtile que ça. C'est la défense de valeurs communes. On se souvient, notamment lors des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi, à quel point la question de l'égalité des droits entre homosexuels et hétérosexuels avait posé problème. C'est un des points sur lequel l'Église orthodoxe et le système Poutine convergent. C'est un marqueur politique, religieux et social. Ce qui est certain, c'est que l'influence de l'Église orthodoxe doit être équilibré dans la mesure où elle-même est en phase de reconquête. De ce point de vue-là, des messages politiques trop affirmés seraient contre-productifs, mais elle fait partie de l'infrastructure politique, sociale et symbolique du régime.
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