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Une alliance entre Damas et l’Etat islamique en Irak et au Levant ?

Y a-t-il des liens, sinon une alliance, entre les membres de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui a lancé depuis début juin une vaste offensive en Irak, et le régime syrien ? Alors que cette organisation est en principe engagée dans la guerre civile en Syrie contre les troupes de Bachar al-Assad… Que faut-il en penser ? Tentatives d’explication.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des hommes armés présentés comme des combattants de l'organisation djihadiste Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Photo tirée d'une vidéo d'Al-Furqan Media, apparemment proche de la mouvance islamiste, diffusée le 4 janvier 2014. (AFP - Al-Furqan Mediaa)
«Il est (…) devenu évident que les avions de l’armée syrienne survolaient les bases connues de tous de l’EIIL, sans les viser, avant de bombarder quelques kilomètres plus loin des positions rebelles», affirme un diplomate occidental cité par Libération. «Le régime syrien a largement évité de se confronter aux combattants de l’EIIL, laissant ainsi transpirer des rumeurs de liens qui remonteraient au soutien apporté par M. Assad à la résistance irakienne contre» les troupes américaines au cours des années 2000, rapporte de son côté The Economist.

D’où des accusations de collusion ou de manipulation de l’EIIL par Damas. Ce groupe «est étroitement lié au régime terroriste (de Damas) et sert les intérêts de la clique de Bachar al-Assad de manière directe ou indirecte», n’hésite pas à dire la Coalition nationale syrienne citée par le journal libanais L’Orient Le Jour. Un propos repris par le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, selon le portail d’information Turquie News.

Quoiqu’il en soit, la rupture est désormais consommée au sein de l’opposition syrienne entre l’Etat islamique en Irak et au Levant et les autres groupes armés, notamment les islamistes du Front al-Nosra, proche d’al-Qaïda. Ces groupes «ont retourné leurs armes» contre le premier «en raison des atrocités qu’ils lui attribuent (atrocités confirmées par une organisation comme HRW) et de sa volonté hégémonique», rapporte Le Figaro. «Les combats au sein de la rébellion syrienne ont éclaté à la suite des informations montrant que l’EIIL était moins enclin à renverser le régime d’Assad qu’à créer son propre Etat», écrit de son côté The Economist. Aujourd’hui, ces affrontements se sont transformés en guerre à l’intérieur de la guerre civile, précise l’hebdomadaire britannique.

L’«éradication» des chiites  
En apparence, le régime syrien ne fait aucune différence entre djihadistes et rebelles les qualifiant tous de «terroristes». Mais en tous cas, ce n’est pas la première fois que l’on parle de collusion entre des islamistes et Damas. En 2011, ce dernier avait fait libérer «des centaines d’opposants dont certains formeront par la suite le Front al-Nosra», rappelle Courrier International. Le pouvoir syrien et son chef, qui se présentent souvent comme un rempart contre les courants djihadistes, savent aussi se comporter en parfaits disciples de Machiavel

Un militant de l'EIIL brandit un drapeau quelque part dans la province d'Anar (ouest de l'Irak). Photo extraite d'une vidéo diffusée le 17 mars 2014 par Al-Furqan Media, proche de la mouvance islamiste. (AFP - Al-Fursan Media)

Pour autant, les accusations contre l’EIIL paraissent étonnantes quand on sait que l’organisation islamiste a fait de l’éradication des chiites l’un de ses premiers objectifs, alors que le pouvoir syrien est monopolisé par des alaouites, considérés comme proches du chiisme. Une «éradication» qui s’est d’ailleurs traduite en acte puisque mouvement islamiste aurait fait décapiter en public des militaires alaouites. «Son principal ennemi n’est pas l’Occident, mais les chiites, c'est-à-dire l’Iran», confirme l’expert Romain Caillet cité par Le Point. L’Iran qui est, avec la Russie, le principal soutien international de Bachar…

Un Etat au Levant
Ce rapprochement supposé est donc pour le moins curieux, sinon problématique. Dans ce contexte, quel serait l’intérêt de Damas d’épargner l’EIIL ? «L’objectif (de ce dernier) d’incorporer l’est de la Syrie dans un nouvel Etat pourrait correspondre avec les tentatives du gouvernement syrien de concentrer vers l’ouest ses forces débordées», répond The Economist. «Les combats au sein de la rébellion syrienne ont éclaté à la suite des informations montrant que l’EIIL était moins enclin à renverser le régime d’Assad qu’à créer son propre Etat.» 
 
De fait, comme le dit son nom, l’EIIL est partisan de la création d’un Etat islamique (un «califat mythique») en Irak et au Levant, englobant par la suite la Syrie, puis le Liban, la Jordanie, voire la Palestine, explique le chercheur Romain Caillet dans un article du Monde.
 
Dans ce contexte, la stratégie du groupe semble radicalement différente de celle des autres factions de l’opposition syrienne qui se cantonnent à la lutte armée. Elle s’en distingue ainsi par le fait que ledit groupe marque «de son empreinte chaque territoire conquis», explique Le Point. «À chaque victoire, (ses membres) nomment un gouverneur militaire, un juge islamique ainsi qu'un chef de police», souligne Mathieu Guidère, professeur à l'université de Toulouse-Le Mirail. «Ils appliquent la charia à la lettre, créent des écoles visant à apprendre le Coran.» Les logiques ne sont donc pas du tout les mêmes.

«Pour les sympathisants du courant djihadiste, plus nombreux aujourd’hui qu’on ne le pense souvent en Europe, la destruction des frontières issues des accords secrets négociés en 1916 entre l’officier britannique Sir Mark Sykes et le diplomate français François-Georges Picot, est à bien des égards comparable à ce qu’a représenté pour les peuples européens la chute du mur de Berlin en novembre 1989», analyse Romain Caillet dans Le Monde
 
Dès lors, on peut penser que cet objectif d’un Etat islamique au Levant pourrait expliquer bien des choses. Notamment un supposé rapprochement entre l’eau et le feu, entre EIIL et le régime de Bachar. La fin justifierait ainsi les moyens. «En Orient, les choses sont loin d'être aussi manichéennes et l'on n'est pas toujours à un paradoxe près», constate Atlantico. Cette histoire de rapprochement supposé est peut-être un avatar de plus de ce que de Gaulle appelait «l’Orient compliqué»

EIIL: «les oripeaux d'un Etat moderne»
iTélé, mise en ligne le 23-6-2014

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