Cour de sûreté proposée par le LR Guillaume Peltier : un "basculement" politique, selon l'historien du droit François Saint-Bonnet
Appliquer la proposition du numéro 2 des Républicains "rapprocherait [la France] des démocratures", analyse François Saint-Bonnet, professeur d'histoire du droit à l'université Paris 2 Panthéon-Assas.
C'est la dernière secousse qui fait trembler Les Républicains et relance les spéculations sur une possible fracture du parti. Dans une interview sur RTL et LCI, dimanche 30 mai, Guillaume Peltier, a mis en avant ses "convictions communes" avec le maire de Béziers, Robert Ménard, élu avec le soutien du Rassemblement national. Le numéro 2 des Républicains a ainsi émis plusieurs propositions sorties du répertoire de l'extrême droite, dont la plus commentée est la création d'une nouvelle juridiction antiterroriste.
La "Cour de sûreté de la République" imaginée par Guillaume Peltier aurait pour fonction de placer en détention des personnes fichées pour des soupçons de radicalisation terroriste, sur la base d'un "faisceau de soupçons avérés et concrets" et sans possibilité de faire appel. Quitte à contourner les oppositions du Conseil constitutionnel ("nous pourrions proposer cela par référendum") et à "sortir provisoirement" de la Convention européenne des droits de l'homme. Plusieurs figures de LR rejettent cette idée, dont l'ancien porte-parole Guillaume Larrivé.
La possibilité de faire appel, en matière pénale, n’est ni une vieillerie ni une marotte de méchant gauchiste-laxiste, mais un progrès auquel il n’est pas question de renoncer dans un État civilisé.
— Guillaume Larrivé (@GLarrive) May 30, 2021
Une telle proposition est-elle seulement applicable ? Ne renie-t-elle pas certains fondements du droit ? Franceinfo a interrogé François Saint-Bonnet, professeur d'histoire du droit à l'université Paris 2 Panthéon-Assas. L'auteur de À l'épreuve du terrorisme. Les pouvoirs de l'Etat livre aussi son analyse sur les ressorts de ce discours politique.
Franceinfo : La proposition de Guillaume Peltier semble remettre en cause de nombreux principes du droit français. Pourrait-on vraiment placer en détention des personnes parce qu'elles sont fichées pour radicalisation ?
François Saint-Bonnet : Guillaume Peltier évoque des "soupçons avérés" de terrorisme, mais ces deux termes sont contradictoires : soit ce sont des soupçons et l’on doute, soit des faits sont avérés et ce ne sont pas des soupçons. Si une personne est dangereuse, il est plus cohérent qu'elle soit suivie par les services de renseignement.
"On prive des gens de liberté pour ce qu'ils font, non pour ce qu’ils sont."
François Saint-Bonnet, historien du droità franceinfo
Ce qui est évoqué par Peltier est une rétention de sûreté. Attention : ce n'est pas une peine, mais une mesure administrative. On ne comprend pas très bien comment une juridiction pourrait en prononcer. Aujourd’hui, ces mesures sont envisagées pour des individus qui, ayant achevé leur peine, demeurent extrêmement dangereux et ne peuvent être remis en liberté.
Depuis 2017, la loi prévoit également l’équivalent d'assignations à résidence, des mesures individuelles de surveillance, quand des soupçons très lourds concernant le terrorisme. C'est ce qu'on appelle les Micas [Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance]. Mais il s'agit encore une fois d'une mesure administrative, pas judiciaire, prononcée par le ministre de l'Intérieur sous le contrôle du juge administratif.
Un autre point qui a beaucoup fait réagir est l'idée de créer une juridiction dont les décisions ne peuvent pas faire l'objet d'appel. N'est-ce pas impossible ?
C'est une affaire très ancienne. Au moment de la Révolution française, quand apparaît le jury populaire, il n'y a pas d'appel possible : si c'est le peuple qui se prononce, comment pourrait-on lui donner tort ? Cela fait une vingtaine d'années seulement [en 2000] qu'on a mis fin à cette pratique aux assises, où on pouvait se pourvoir en cassation, mais pas faire appel. Bien sûr, dans le cas présent, il y a implicitement l'idée, aux yeux de Guillaume Peltier, que les hauts magistrats seraient plus "laxistes".
Ce que propose le numéro 2 des Républicains serait-il inconstitutionnel ? Et pourrait-il, comme il l'explique, contourner le Conseil constitutionnel en passant par un référendum pour changer la Constitution ?
Ce qu'il propose est inconstitutionnel. On peut toujours réviser la Constitution, mais il faudrait aussi sortir de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Là encore, c'est possible, mais la France se rapprocherait de ce qu'on appelle les démocratures, comme la Pologne ou la Hongrie.
Il existe un courant, chez les Républicains, qui explique qu'on ne peut pas lutter contre le terrorisme à cause de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la CEDH. Depuis 1996, on constate pourtant l'inverse : elle est de moins en moins protectrice des droits de l'homme, et de plus en plus attentive à la lutte antiterroriste.
Guillaume Peltier présente son projet comme un rétablissement d'une juridiction qui existait déjà, la Cour de sûreté de la République : de quoi s'agit-il, et son projet est-il vraiment comparable ?
La Cour de sureté de l'Etat fait partie de juridictions créées par le général de Gaulle pendant la guerre d'Algérie. Composée de façon mixte de magistrats professionnels et de militaires, elle était conçue pour lutter contre l'OAS. Il y a une très grande différence, il me semble, avec les jihadistes, qui ne sont pas des gens qui craignent la prison, tandis qu'on pouvait imaginer un effet dissuasif sur les membres de l'OAS. Par ailleurs, devant cette Cour de sûreté, on était jugé pour ce que l'on faisait, pas pour des soupçons.
Une telle proposition de la part du numéro 2 des Républicains vous semble-t-elle franchir un cap ? Ou le rejet de certains principes du droit est-il un thème qui fait recette en politique depuis longtemps ?
Il me semble qu'il y a quand même un basculement, qui date de cette année, peut-être lié à l'approche de l'élection présidentielle. Cette idée qu'en matière de droits de l'homme il faut sortir des limites constitutionnelles et des traités européens, au nom de la souveraineté du peuple, gagne du terrain. Je ne suis pas expert de la vie politique, mais ma perception est que sur ce point, la frontière entre certains LR et le RN n'existe plus. Je pense que Guillaume Peltier est en train de tester la résistance de son parti sur cette question.
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