"Chez les commandos marine, on a ce rapport particulier avec l'ennemi, d'homme à homme" : quand les forces spéciales se racontent
Leur rôle n'est pas l'action clandestine, mais l'action discrète. Leur mantra : faible empreinte au sol, mais impact maximal. Les forces spéciales françaises se racontent grâce à deux livres récemment sortis. L'un est le récit de 10 ans d'opérations par un commando marine, l'autre est un recueil de témoignages d'une trentaine d'officiers et de sous-officiers du Commandement des opérations spéciales (COS).
"Les soldats français ont le goût du combat, pas celui du sang". Cette phrase a été écrite, page 108, par Louis Saillans (pseudonyme). Dans son livre Chef de guerre, cet officier des commandos marine de 34 ans raconte dix ans de missions, d'entrainement, et d'interrogations parfois. Dix ans au sein des Forces spéciales, ces unités d'élite des trois armées (Terre, Air, Mer), de plus en plus engagées sur les terrains de guerre récents (Afghanistan, Levant, Sahel) pour leurs compétences particulières : agilité, autonomie, rapidité, précision et rusticité.
"Ce qu'on veut, nous, c'est épargner le sang. Certes, ce sont des ennemis dont je méprise l'idéologie et la cruauté, mais ils demeurent des hommes. Le sang est rouge pour tout le monde".
Louis Saillans, commando marineà franceinfo
Les missions, c'est l'adrénaline du saut en parachute, de la plongée, de la conduite "à fond" dans le désert, des balles qui giclent à vos pieds, mais aussi l'adrénaline déclenchée par le silence. Ce silence avec lequel le groupe de Louis Saillans pénètre dans une maison endormie, en pleine nuit, pour y capturer un jihadiste : "Tout est fait avec une délicatesse d'orfèvre, pas un mot n'est dit, pas un coup de feu n'est tiré, et en repartant avec notre cible, on se rend compte que ses proches sont encore endormis. Nous les avons enjambés sans les réveiller. Nous avons cette capacité de ne pas se parler, on communique au regard, ou à l'attitude."
Cette fluidité au combat vient des longs mois d'apprentissage (deux ans, en moyenne, pour former un opérateur des Forces spéciales françaises), une fluidité forgée à l'école de la souffrance, tant les stages commandos sont "rudes, abrasifs"... "J'en conserve encore des cicatrices", dit en souriant Louis Saillans. Son livre n'est pas un récit de plus, par l'un des 4 500 membres du Commandement des opérations spéciales (COS), car au-delà des passages obligés (préparation, missions, précision de l'action en toute discrétion), il y a de l'intime. Et cette question : cet ennemi blessé qui nous tirait dessus il y a quelques minutes, le laisse-t-on mourir ou le soigne-ton ?
Contre l'avis de certains hommes de son groupe ce jour-là, Louis Saillans demande alors une évacuation médicale pour cet ennemi blessé : "Chez les commandos marine, on a ce rapport particulier avec l'ennemi, d'homme à homme, on voit sa silhouette, ses yeux, il y a presque une certaine intimité. On n'esquivera pas le combat, mais on ne fera pas de mort gratuit, c'est quelque chose qu'on pourrait avoir sur la conscience. Moi, je dors très bien (rires)."
Dans quelques mois, Louis Saillans quittera les commandos marine, et la Marine tout court. Eprouvera-t-il un spleen, celui que raconte plusieurs des militaires rencontrés par Jean-Christophe Notin, rassemblés dans son livre Les Guerriers sans nom ?
"Il y a un moment où il faut se dire, désolé, ce n'est plus pour toi, tu vieillis [...] Le départ est éprouvant car il met un terme à ce que nous aurons sans doute fait de mieux dans notre vie d'homme".
Les colonels Michel et Laurent, du Commandement des opérations spéciales.à Jean-Christophe Notin
Le journaliste et essayiste, qui a publié des ouvrages de référence sur les guerres d'Afghanistan et du Mali, qui a déjà fait parler, dans Les Guerriers de l'ombre, les espions et analystes de la DGSE, a cette fois "accouché" une trentaine d'officiers et de sous-officiers du COS. Tous, qu'ils appartiennent à l'Armée de terre, à la Marine, ou à l'Armée de l'air, ont accepté de raconter souvenirs, convictions, doutes, et fêlures. Qu'il s'agisse donc du spleen de l'après terrain, de la mort, du lien qui se distend avec celles et ceux qu'on aime.
Les deux livres, Chef de guerre (Mareuil éditions) et Les Guerriers sans nom (Taillandier) se complètent sans se concurrencer. Le premier est un récit qui tourne à l'intime, le second un recueil d'expériences, mais ils ont en commun une même intention : raconter, au grand public plus qu'aux initiés, ce qui se cache derrière les actions "fulgurantes, implacables, millimétrées", comme l'écrit Jean-Christophe Notin. "Le plus captivant chez les forces spéciales, raconte-t-il, ce n'est pas le raffinement de leur armement, mais la pondération avec laquelle ils l'utilisent. Ce n'est pas comment ils tuent, mais tout ce qu'ils mettent en oeuvre pour ne pas avoir à le faire [...] Au fond, ce n'est pas ce qu'ils font, mais qui ils sont."
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