Les ambitions turques en Afrique
La dernière tournée diplomatique effectuée par le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, entre le 6 et le 11 janvier 2013, a été consacrée à l’Afrique de l’ouest. Pays visités: le Gabon, le Niger et le Sénégal, trois pays d'Afrique francophone. M. Erdogan, accompagné d'une importante délégation d'hommes d'affaires et de chefs d'entreprises turcs, s’est penché sur les moyens de renforcer les échanges avec ces trois pays.
A cette occasion, le Premier ministre turc a annoncé vouloir plus que doubler les échanges de son pays avec l'Afrique d'ici 2015, en les portant de près de dix-huit milliards de dollars fin 2012 à quelque cinquante milliards dans trois ans. Une accélération exponentielle des échanges commerciaux avec les partenaires africains entamée en 2002, époque où ils ne représentaient que deux milliards de dollars.
L’ouverture sur l’Afrique
A l’instar de la Chine, de l’Inde et du Brésil, la Turquie, qui a rapidement mais plus discrètement développé ses liens avec l’Afrique, poursuit allègrement son implantation et devient désormais un acteur incontournable.
L’autre grand objectif d’Ankara est davantage diplomatique. Membre de l'Otan et désireuse, depuis l'arrivée au pouvoir en 2002 du gouvernement islamo-conservateur, de peser d'un poids plus grand sur la scène internationale, la Turquie cherche à renforcer sa présence sur le continent africain.
C’est sous l'impulsion du Premier ministre Erdogan et de son parti, le «Parti de la justice et du développement» (AKP), qu'a été organisé en 2008, le premier sommet de la Coopération Turquie-Afrique à Istanbul, auquel ont participé 53 pays.
Dans le cadre de la rénovation de la politique étrangère turque, l’Afrique semble désormais être un allié fondamental pour aider la Turquie à s’affirmer sur la scène internationale.
Dans un tel processus, la dimension religieuse est particulièrement mise en valeur, la Turquie se positionnant en tant qu’héritière de l’Empire Ottoman pour utiliser son prestige auprès des musulmans d’Afrique.
La diplomatie
Quatre zones de prédilection se dessinent. La première située à l’est de l’Afrique est la plus vaste (Soudan, Ethiopie, Somalie, Kenya et Tanzanie); la seconde est constituée par trois pays du nord-ouest africain (le Sénégal, la Gambie et la Mauritanie); la troisième épouse les contours du golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Cameroun et Gabon); enfin, la quatrième, située en Afrique centrale est constituée par un grand pays (la République démocratique du Congo) et deux plus petits de la région des lacs (Ouganda, Rwanda). Notons également l’intensité des rapports avec l’Afrique du Sud.
Cette présence renforcée de la Turquie en Afrique a d'ores et déjà prouvé son efficacité. Lorsqu'Ankara a souhaité se faire élire en 2009-2010 comme membre non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, 52 des 53 pays du continent ont appuyé sa candidature, un soutien de taille.
Stratégiquement positionnée, la Turquie veut se poser comme un modèle de relations internationales. Médiateur en Afrique du Nord aux lendemains des «Printemps arabe», interlocuteur direct dans le conflit syrien, Ankara souhaite s'assurer un rôle identique en Afrique subsaharienne: se constituer comme troisième grande force entre l’Occident (UE, Etats-Unis) et l’Orient (Chine, Inde).
Les ambassades
Parallèlement au développement des relations commerciales avec l’Afrique, la Turquie multiplie le nombre de ses représentations diplomatiques. La dernière ambassade vient d’être inaugurée au Gabon, à l’occasion de la visite de M. Erdogan, début janvier 2013. Elle fait partie des 19 ambassades et consulats turcs mis en place en Afrique depuis 2009. La Turquie doit encore ouvrir trois nouvelles ambassades en Afrique dans les prochains mois, ce qui portera le total sur le continent à 34.
Signe de cette volonté d’ouverture sur l’Afrique, la compagnie aérienne Turkish Airlines, détenue à 49% par l'Etat, a rapidement étendu son réseau africain au cours des dernières années. Avec l’ouverture récente de nouvelles lignes à Nouakchott, à Abidjan et les liaisons vers le Burkina Faso, le Cameroun et le Niger rien qu'en décembre 2013, cette compagnie dessert désormais 18 pays africains avec 33 destinations au total.
Les médias
Dans le domaine de la communication, une offensive de charme initiée par le gouvernement turc, destinée à renforcer les liens entre la Turquie et l’Afrique à travers la presse, a rassemblé en mai 2012 à Ankara, la capitale turque, plus de 300 journalistes venus de 54 pays africains, dans le cadre du premier forum afro-turc sur les médias.
Kemal Öztürk, le directeur général de l’agence de presse nationale turque «Anadolu Ajansı», agence fondée en 1920 qui continue d’avoir une politique liée à celle d’Ankara, a exprimé les intérêts qu’il voyait à développer les partenariats en Afrique subsaharienne: «Nous avons désormais des équipes dans 20 pays arabes. Le monde arabe est ainsi informé de l’actualité turque en langue arabe, et la Turquie est ainsi mieux informée de l’actualité dans ces pays. Dans les prochaines années, nous souhaitons développer notre présence en Afrique. A cet égard, nous prêtons un vif intérêt à la langue swahili».
Les écoles
L’influence turque en Afrique passe aussi par l’éducation des enfants qui seront plus tard de futurs interlocuteurs turcophones et turcophiles. Des écoles ont été ouvertes dans plus de 40 pays de la région, notamment en Afrique du Sud, au Kenya, en Tanzanie et au Cameroun.
C'est La confrérie de Fethulla Gülen qui met en place ces écoles. Ce mouvement passe pour l’un des réseaux musulmans les plus influents du monde. Bien implantée dans l’économie turque et proche du gouvernement, le mouvement fondé par l’imam comprend une chaîne de télévision (Samanyolu TV), un quotidien (Zaman), une fondation, des Journalistes et Ecrivains (Gazeteciler ve Yazarlar Vakfi), un syndicat patronal (TUSKON), une association humanitaire (KIMSE YOK MU), le tout articulé autour d’un réseau d’écoles.
Certains des entrepreneurs proches du mouvement profitent de leurs relations commerciales fructueuses avec l’Afrique pour mettre en œuvre les préceptes du leader religieux turc. La création d’écoles se fait ainsi à l’occasion d’un parrainage qui permet à des entrepreneurs adhérant au projet du mouvement, de financer l’ouverture d’écoles turques dans ces pays. La mise en place de ce réseau d’écoles est en adéquation avec le programme gouvernemental turc «opening up to Africa» lancé en 1998, visant à accroitre non seulement les relations économiques et politiques avec l’Afrique, mais aussi les échanges culturels et sociaux.
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