Reportage "Cette vie à crédit, c'est le quotidien" : en Turquie, l'inflation galopante provoque un surendettement des ménages

L'inflation atteint des niveaux tellement élevés en Turquie que beaucoup de personnes vivent à crédit. Même les produits du quotidien deviennent des produits de luxe.
Article rédigé par Marie-Pierre Vérot - édité par France Info
Radio France
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Temps de lecture : 2min
Un "bakkal", ces épiceries de quartier où les cahiers de créance se multiplient. (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

En Turquie, l’inflation fait des ravages : 67% l’année dernière officiellement, mais plus de 127% selon des économistes indépendants. Et l’une des conséquences, c’est que les Turcs vivent littéralement à crédit. Chaque épicerie de quartier d'Istanbul, les "bakkal", a un petit cahier sous la caisse où s’alignent des colonnes de noms et de chiffres. "On fait crédit aux gens qu’on connaît, aux gens du quartier,  explique Huseyin. Ce qu’ils achètent à crédit, ce sont les boissons, du chocolat, des gaufrettes, des cigarettes, du fromage, des salades, des olives… Tout. Avant ils achetaient à crédit mais, à la fin du mois ils payaient leur dette. Maintenant, c’est fini."

Car tout devient un produit de luxe. Dans les supermarchés, le lait pour bébé est mis sous clef et ces épiceries font de moins en moins crédit. Il n’y a guère que les banques, encouragées par le gouvernement, à se battre pour accorder des cartes de crédit à la classe moyenne, avec un taux d’usure, ce que peu acceptent d’avouer.

Multiplication des contentieux

Cafer, gardien de parking pour la métropole, a bien voulu nous raconter son quotidien. Son salaire tombe le 5 du mois, le 6 il doit déjà emprunter. "Moi, j’ai quatre cartes de crédit. Une seule ne suffit pas !, lance Cafer. Il en faut une deuxième pour payer la dette de la première carte, et avec les deux autres tu payes les intérêts de la dette. Avec ce système on ne peut jamais payer sa dette, on ne peut payer que les intérêts."

"Ici, en fait si tu n’as qu’une seule carte de crédit, c’est que tu n’as pas de problèmes, mais si tu en as quatre, c’est que tu es fichu."

Cafer, gardien de parking

à franceinfo

Cafer, gardien de parking en Turquie. (MARIE-PIERRE VEROT / RADIOFRANCE)

Les contentieux se multiplient. Dans ce bureau de recouvrement, un immense bâtiment sur la rive européenne du Bosphore, où nous emmène l'avocat Ihsan Osman Yarsuvat, les dossiers s’empilent du sol au plafond. "Les dossiers de recouvrement judiciaire continuent à exploser. Nous parlons de cartes de crédit, mais il y a aussi les crédits bancaires, il y a les dettes entre particuliers, précise-t-il. Il y a même des dettes vis-à-vis des abonnements mensuels : électricité, gaz, télécoms. Et donc ça s'accumule, ça s'accumule. Cette vie à crédit, maintenant c'est le quotidien. C'est normal."

Et les relations sont de plus en plus tendues au sein de la société turque. Dans un pays où l’entraide a toujours servi de filet social, on n’ose même plus aller toquer chez son voisin pour demander un œuf ou un peu de sucre.

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