Crash de San Francisco : "Ces accidents lèvent le voile sur de mauvaises pratiques"
Deux jours après le crash mortel, François Nénin, expert en sécurité aérienne, revient sur les premiers éléments connus, notamment le manque d'expérience du pilote.
Deux jours après le crash d'un appareil d'Asiana Airlines, samedi 6 juillet à San Francisco (Etats-Unis), les interrogations se bousculent sur les circonstances de l'accident qui a coûté la vie à deux adolescentes, et blessé 180 autres personnes. Un élément en particulier, dévoilé par les autorités, est pointé du doigt : le manque d'expérience du pilote aux commandes de l'avion.
Ce dernier avait 9 793 heures de vol derrière lui, mais seulement 43 sur un Boeing 777 : il s'agissait de son premier atterrissage avec ce modèle. Les premiers éléments révèlent que l'appareil a abordé la piste à une vitesse anormalement lente. Alarmés, semble-t-il, au dernier moment, les pilotes ont tenté de reprendre les airs, mais sans succès.
François Nénin, journaliste d'investigation spécialiste de la sécurité aérienne, auteur de Ces avions qui nous font peur, les dossiers noirs du transport aérien (Flammarion), revient pour francetv info sur cette information, révélatrice selon lui d'une tendance forte dans le secteur.
Francetv info : Peu après le crash de San Francisco, Asiana Airlines a révélé que le pilote était encore en formation pour ce type d'appareil, avec peu d'heures de vol à son actif. Est-ce courant ?
François Nénin : Cela est imputable à la tendance actuelle au sein des compagnies aériennes : elles essaient de faire des économies sur la formation et de réduire le nombre d'heures réelles, hors simulateur, avant ce qu'on appelle le "lâcher". Il y a quelques années, on avait beaucoup plus de volume horaire avant cette étape. A titre d'exemple, pour être commandant de plein droit sur cet appareil chez Asiana Airlines, il faut 60 heures et 10 atterrissages. C'est plutôt léger.
N'y a-t-il pas des normes nationales et internationales en la matière ?
Les règles sont très variables d'une compagnie à l'autre, et d'un pays à l'autre. Et un vent de libéralisme souffle sur le secteur en la matière, y compris en Europe. Par exemple, la Commission européenne a récemment mis en place la licence MPL (licence de pilote en équipage multiple), où les minima d'heures de vol ne sont plus définis pour chaque pilote individuellement mais pour l'équipage, c'est-à-dire le pilote et le copilote. Il peut donc y avoir un pilote très peu expérimenté, pourvu que l'autre le soit un peu plus.
Dans le crash de San Francisco, n'est-il pas un peu tôt pour invoquer une erreur de pilotage ?
D'après ce qu'ont expliqué les autorités, les pilotes ont demandé à faire une remise de gaz [pour interrompre la procédure d'atterrissage et reprendre les airs]. Mais l'avion était déjà dans une situation critique, il était trop tard. Le problème mis en avant ici, c'est un manque d'anticipation et un non-respect des règles de pilotage. Lorsqu'on apprend à piloter, on entend souvent "la vitesse, c'est la vie". Si vous n'avez pas de vitesse, vous êtes mort.
Cependant, s'il y a un responsable dans la cabine de pilotage, il ne s'agit pas du pilote inexpérimenté, mais de l'instructeur. Il aurait dû reprendre les commandes au moment où le problème a été détecté. C'est incompréhensible qu'il ne l'ait pas fait.
Ceci étant dit, il faut souligner un point : lorsqu'il y a erreur humaine, elle concerne aussi la gestion de la compagnie. L'erreur humaine consiste parfois à vouloir diminuer certains coûts... Ce genre d'accidents vient semer le trouble car il touche des compagnies prestigieuses, qui ont des images assez lisses. En réalité, ils permettent de lever le voile sur de mauvaises pratiques. Les accidents comme celui de San Francisco n'arrivent jamais par hasard. Il y a d'ailleurs souvent un effet retard : on fait une économie sur un poste comme la maintenance, et deux ans plus tard, un accident se produit.
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