Cyntoia Brown, esclave sexuelle emprisonnée à vie pour meurtre, émeut l'Amérique
Condamnée à la réclusion à perpétuité, cette Américaine de 29 ans a déjà passé treize ans derrière les barreaux pour avoir tué un client alors qu'elle était prostituée de force.
Elle a passé presque la moitié de sa vie derrière les barreaux : à 29 ans, Cyntoia Brown est emprisonnée depuis treize ans. Elle ne sera pas libérable sur parole avant ses 67 ans. Son histoire, celle d'une jeune fille exploitée sexuellement, et condamnée à la prison à vie pour avoir tué un homme qui tentait d'avoir une relation sexuelle avec elle, mobilise, depuis la mi-novembre, des stars planétaires comme Kim Kardashian, Cara Delevingne*, Lebron James ou Rihanna. "#FreeCyntoiaBrown", tweetent ces célébrités, qui dénoncent un "échec" du système judiciaire.
The system has failed. It’s heart breaking to see a young girl sex trafficked then when she has the courage to fight back is jailed for life! We have to do better & do what’s right. I’ve called my attorneys yesterday to see what can be done to fix this. #FreeCyntoiaBrown pic.twitter.com/73y26mLp7u
— Kim Kardashian West (@KimKardashian) November 21, 2017
Longtemps, l'affaire n'a pas dépassé les frontières de l'Etat du Tennessee, où Cyntoia Brown purge sa peine, dans une prison pour femmes. En 2011, un documentaire lui a été consacré par la chaîne PBS. Mais c'est peut-être un reportage, diffusé le 16 novembre dernier sur la chaîne locale Fox 17, qui a réveillé les consciences, treize ans après les faits, en racontant la vie de la jeune femme et les circonstances du meurtre pour lequel elle a été condamnée.
Un proxénète nommé "Coupe-gorge"
Le documentaire de PBS montre l'univers de violence dans laquelle Cyntoia Brown a grandi. Sa mère, Georgina Mitchell, née d'un viol, était alcoolique, dépendante au crack, et a passé plusieurs années en prison. Lors du procès de sa fille, elle a reconnu avoir consommé quotidiennement beaucoup de whisky pendant sa grossesse, alors qu'elle était âgée de 16 ans. Conséquence, Cyntoia Brown "portait les traces de l'alcoolisme fœtal, qui ralentit le développement cérébral", raconte son avocat, Charles Bone, au New York Times.
Cyntoia est adoptée par une famille installée à Clarksville, petite ville du Tennessee, mais elle abandonne très vite l'école pour fuir en direction de Nashville. Là, à l'âge de 16 ans, "elle vivait dans un motel, avec un proxénète d'une vingtaine d'années, surnommé 'Kut-Throat' ["Coupe-gorge"], qui la violait tout en la forçant à se prostituer", raconte le New York Times, citant son avocat. La jeune fille fait le trottoir pour payer la cocaïne de son proxénète.
Il m'expliquait que certaines personnes étaient nées putes, que j'en faisais partie, que j'étais une salope dont personne d'autre ne voudrait et que tout ce que je pouvais faire, c'était apprendre à être une bonne pute.
Cyntoia Brownlors de son procès
La vie de Cyntoia Brown prend une tournure plus dramatique encore dans la nuit du 6 au 7 août 2004. Johnny Allen, agent immobilier de 43 ans, emmène la jeune prostituée dîner avant de l'inviter chez lui pour la nuit. Le client "lui montre sa collection d'armes, lui raconte être un ancien tireur d'élite", détaille la BBC. Cyntoia Brown se souvient d'avoir été "nerveuse".
"Convaincue qu'elle va mourir, elle tire"
Une fois dans son lit, Johnny Allen l'"attrape à l'entre-jambe, vraiment très fort", raconte-t-elle. "Je crains qu'il ne me frappe ou quelque chose comme ça." Quand Johnny Allen se retourne "pour attraper quelque chose sous son lit", selon le compte-rendu d'audience (PDF), la jeune femme panique, pensant qu'il cherche un pistolet. "Convaincue qu'elle va mourir, elle prend un calibre 40 que Kut-Throat lui a donné et tire une balle dans la tête de son client", raconte la BBC. Elle quitte les lieux après avoir pris de l'argent et deux armes dans les affaires de la victime.
Cyntoia Brown est jugée comme une adulte en 2006. Elle a alors 18 ans. Le jury rejette la notion de légitime défense et considère que le vol d'effets personnels de la victime prouve la préméditation. Elle est condamnée à la prison à vie et ne sera pas libérable avant une quarantaine d'années.
"Très dangereuse" ou "pleine de remords" ?
Depuis, elle est une détenue modèle, selon son avocat. Elle a obtenu un diplôme pour les jeunes sortis du système scolaire. Un élu républicain, Jeremy Faison, qui milite pour sa libération, décrit au New York Times une jeune femme "gentille", "intelligente" et "pleine de remords". Son avocat ajoute qu'elle veut s'engager dans la lutte contre l'esclavage sexuel. Elle prépare également un diplôme en arts, même si l'un de ses professeurs en prison assure au site Nashville Scene qu'elle ferait "une excellente avocate".
Mais Jeff Burks, le procureur qui a réussi à jeter la jeune femme en prison, ne voit pas en Cyntoia Brown une "victime" et considère que cela serait "injuste pour la victime et sa famille", dit-il à Fox 17. Il nie également sa condition d'esclave sexuelle et la décrit comme une personne "très dangereuse", qui a "fait des choix".
Plus de 300 000 signatures pour sa libération
Ces dernières années, les défenseurs de Cyntoia Brown ont essayé de la faire sortir de prison. En 2016, Jeremy Faison a proposé une loi qui obligerait à réévaluer les condamnations de mineurs qui ont déjà passé quinze ans derrière les barreaux, raconte le New York Times. "Je me suis fait botter les fesses", se souvient l'élu républicain, face à l'opposition de son propre camp. La loi du Tennessee a tout de même changé depuis. Désormais, il y est inscrit qu'une personne mineure prostituée doit être considérée comme une victime de trafic sexuel et non comme une travailleuse du sexe, rapporte la BBC.
Les soutiens de la jeune femme ne désarment pas. Une pétition en ligne pour réclamer sa libération a recueilli plus de 300 000 signatures. Et Kim Kardashian, l'une des premières célébrités à s'être emparée de l'affaire, a annoncé vouloir engager ses propres avocats sur le dossier.
* Tous les liens de cet article sont en anglais.
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