Un prisonnier de Guantanamo raconte ses tortures
Le Mauritanien Mohamedou Ould Slahi est détenu depuis près de treize ans dans le centre de détention militaire américain. "Les Carnets de Guantanamo" est présenté comme étant le premier livre publié à avoir été écrit par un homme toujours emprisonné.
Il est détenu depuis près de treize ans à Guantanamo. Mohamedou Ould Slahi raconte dans son journal intime, à paraître jeudi 22 janvier en France, comment il a été torturé et poussé à faire de faux aveux dans le centre de détention militaire américain, situé à Cuba.
Affilié à Al-Qaïda, le Mauritanien de 44 ans a été emprisonné parce qu'il aurait participé, selon l'administration américaine, à la "cellule de Hambourg" (Allemagne), liée aux attentats du 11-Septembre 2001. En mars 2010, un juge fédéral américain l'avait blanchi, ouvrant la voie à sa libération. Mais quelques mois plus tard, une cour d'appel a cassé la décision et décidé qu'il devait rester en détention.
Ses Carnets de Guantanamo paraissent après avoir été retouchés et amendés à plus de 2 500 reprises, au cours d'une longue procédure destinées à faire déclassifier le document. Le Guardian a publié samedi de larges extraits (en anglais) de l'ouvrage. Francetv info revient sur trois d'entre eux.
"J'étais heureux à chaque coup que je recevais car cela me permettait de changer de position"
En 2003, Mohamedou Ould Slahi raconte avoir été soumis à des "techniques d'interrogatoire additionnelles", approuvées par le secrétaire à la Défense américain de l'époque, Donald Rumsfeld. Le prisonnier évoque les entraves qui l'empêchent de bouger. "Ils ont resserré les chaînes autour de mes chevilles et de mes poignets. Après cela, j'ai commencé à saigner. (...) Mes pieds étaient engourdis, les chaînes avaient coupé la circulation du sang vers mes pieds et mes mains. J'étais heureux à chaque coup que je recevais, car cela me permettait de changer de position."
Mohamedou Ould Slahi affirme avoir été forcé à boire de l'eau salée. "C'était tellement dégoûtant que j'ai vomi, assure-t-il. Ils me mettaient des objets dans ma bouche et criaient : 'Avale, enfoiré !' Je ne voulais pas avaler cette eau dangereuse pour mon organisme, qui m'étouffait au fur et à mesure qu'ils remplissaient ma bouche. 'Avale, idiot.' J'ai réfléchi rapidement et j'ai choisi de boire l'eau salée, plutôt que mourir [d'étouffement]."
"J'étais sur le point de perdre la tête"
Privé de liberté, humilié par ses gardes et soumis à la torture, Mohamedou Ould Slahi commence à voir sa santé mentale se dégrader. "J'ai commencé à halluciner et à entendre des voix, explique-t-il. J'ai entendu ma famille, dans une conversation totalement détendue. J'ai entendu des lectures du Coran avec une voix qui semblait divine. J'ai entendu de la musique de mon pays."
"Par la suite, les gardes ont utilisé ces hallucinations et ont commencé à parler avec des voix bizarres à travers la plomberie, m'encourageant à les blesser et à planifier une évasion, poursuit-il. Ils ne m'ont pas trompé, même si j'ai joué le jeu." A l'époque, Mohamedou Ould Slahi confie avoir été "sur le point de perdre la tête".
"Qu'est-ce que ce trou du cul attend de moi ? S'il veut une confession, je lui en ai déjà fournie une"
Mohamedou Ould Slahi raconte qu'à l'automne 2003, il a fait de faux aveux en déclarant avoir planifié un attentat contre la tour CNN à Toronto (Canada). Une façon pour lui de faire cesser les tortures. "Je suis très heureux de notre coopération, lui annonce son interlocuteur ce jour-là. Tu te souviens, quand je t'ai dit que je préférais les conversations civilisées ? Je pense que tu nous as fourni 85% de ce que tu sais, mais je suis sûr que tu vas donner le reste."
L'interrogatoire se poursuit. "Je pense que ton histoire à propos du Canada n'a pas de sens, continue-t-il. Tu sais ce qu'on a contre toi, tu sais ce que le FBI a contre toi." Mohamedou Ould Slahi assure avoir alors confessé, par écrit, le projet d'attentat, avant de confesser, à l'oral : "Si vous voulez la vérité, cette histoire n'a jamais eu lieu." Le prisonnier fait alors face à de nouvelles menaces. "Qu'est ce ce trou du cul attend de moi ?, s'interroge Mohamedou Ould Slahi. S'il veut une confession, je lui en ai déjà fournie une. Est-ce qu'il veut que je ressuscite les morts ?"
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