Et si l’Amérique Latine légalisait les drogues ?
Les méthodes en vigueur depuis une trentaine d’années n’ont pas fait leurs preuves. Les 50 000 morts au Mexique depuis 2006 dans la guerre des narcotrafiquants rappellent aux dirigeants que les milliards déployés sont inefficaces. D’après la Banque interaméricaine de développement (BID) le blanchiment d’argent, lié au trafic de substances illicites, représente en moyenne le 6,3% du PIB de l’Amérique latine qui compte environ 3 millions de cocaïnomanes. Les Etats-Unis en ont 1,5 millions d’après l’ONU.
Pour schématiser la stratégie du continent en matière de lutte contre les drogues, ce sont les Etats-Unis qui émettent des directives et les pays de la région qui exécutent. D’autant plus que l’oncle Sam évalue les résultats de ses voisins en attribuant une note positive ou en sanctionnant un Etat (des sanctions non contraignantes).
En 2011, la Bolivie avait été notée négativement. Le vice-premier ministre de la Défense de l’époque avait répliqué illico : « Il s’agit d’une évaluation unilatérale très loin de la réalité bolivienne. Nous avons une vraie politique pour venir à bout de ces trafics. Ce qu’il nous manque c’est une coopération internationale renforcée.» La présence du gouvernement américain ne se limite pas à l’évaluation de ses pairs, il envoie également des agents de la Drug enforcement administration (DEA) pour former les polices locales confrontées aux trafiquants.
Le débat divise le continent
Face aux échecs répétés, une nouvelle voix commence à se lever. C’est lors du dernier sommet des Amériques à Carthagène en Colombie que ce sujet a été mis au cœur des discussions. Le président du Guatemala, Otto Pérez, y a mis les pieds dans le plat en plaidant pour une légalisation des drogues dans le continent.
Le 7 avril dernier, M. Pérez a confirmé sa volonté dans une tribune publiée dans le quotidien britannique The Guardian. Il a appelé « à abandonner toute position idéologique que ce soit de la libéralisation ou de la prohibition et lancer un vaste dialogue international basé sur une approche pragmatique : la régulation du marché de la drogue ».
Le Guatémaltèque propose aussi de faire payer aux pays destinataires une contribution équivalente au prix du marché de la drogue saisie dans les pays centre-américains et de créer un tribunal pénal d'Amérique Centrale pour les délits liés au trafic de drogue.
Encouragés par les intellectuels de la zone, la Colombie, experte en lutte contre le crime organisé, le Brésil, puissance confirmée dans le continent, Le Salvador, le Costa Rica et l’Uruguay soutiennent le président guatémaltèque. Les Argentins commencent à en débattre : une loi est à l'étude au Parlement. La consommation personnelle et l’autoproduction pourraient devenir légales. Son voisin chilien semble être d’accord avec ce principe à condition que tout le continent le fasse. Le président équatorien, Rafael Correa, est du même avis. Et c’est bien là le problème.
Qui est pour ? Qui est contre ?
[{http://maps.google.fr/maps/ms?msid=212886064576135597627.0004c4a25d12560e06995&msa=0&ll=19.808054,-85.78125&spn=110.852826,156.09375}]
Cliquez sur les icônes de couleur pour découvrir en détail quels sont les pays qui s'opposent et ceux qui sont pour la légalisation.
Dans un continent qui compte 34 pays aux conceptions très différentes du problème, arriver à un accord sur un enjeu de cette envergure s’avère plus que compliqué. Plusieurs pays, dont des Etats clés dans la production et le trafic, s’y opposent. La Bolivie – où le poids des producteurs de coca est important dans les décisions du gouvernement – a déjà exprimé son veto. Le Pérou, le Venezuela, le Honduras, le Nicaragua et le Mexique -fidèle à son grand frère du Nord – s’y opposent catégoriquement, pour le moment.
Le nouveau président élu du Mexique trace sa stratégie dans la lutte contre les cartels : les forces militaires resteront déployées dans le Nord du pays. PBS 3 juillet 2012.
Certains exemples, qui ont fait leurs preuves, commencent à convaicre les dirigeants latinos. Lors de la dernière Conférence latino-américaine sur la politique des drogues, le cas portugais a été cité à plusieurs reprises. Le pays ibérique a décriminalisé, depuis 2001, la possession de drogues pour la consommation personnelle, y compris de cocaïne, d’héroïne et de méthamphétamine. On y propose des thérapies plutôt que des peines d’emprisonnement. Le modèle des Pays-Bas, qui rencontre tout de même des limites, fait également pâlir d'envie les chefs d’Etat du continent.
Statu quo ?
La situation actuelle ne risque pas de changer de sitôt. En pleine campagne électorale, les Etats-Unis, principaux avocats de la répression, n’engageront pas de nouvelles discussions sur les stratégies actuelles. La légalisation n'est pas une option pour le président américain. Même si ses concitoyens sont les premiers consommateurs de drogues au monde.
Barack Obama : "Je suis contre la légalisation des drogues". The Daily conversation janvier 2011.
Pour contrer le pouvoir de l’Organisation des Etats américains (OEA), les pays latino-américains ont fondé la Communauté des Etats latinos américains et des Caraïbes (CELAC) en décembre dernier. Basée à Washington, l'OEA existe depuis 1948 et a toujours eu une emprise de taille dans les affaires latino. La CELAC vient donc s’ajouter à l’Union des nations sud-américaines (Unasur). Ces deux dernières pourraient jouer un rôle clé dans le passage de la prohibition à la légalisation. L’OEA, pour sa part, a lancé une étude globale sur les possibilités et les conséquences de la légalisation des stupéfiants. Les résultats seront prêts en fin d’année et rendus publics en mars 2013.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.