: Reportage Incendie à Los Angeles : "Le pire est passé, mais on reste inquiets", témoignent des rescapés
À quelques mètres de la réception de son hôtel où les évacués des incendies à Los Angeles défilent toute la journée, Brad nous accueille en pyjama - et en français - devant la porte de sa chambre. "Bonjour, je suis ici avec mon mari John et notre fils Oliver. Nous sommes d'Altadena, dans la banlieue du nord-est de Los Angeles. Notre maison n'a pas été touchée, mais tout autour de nous, tout est détruit", raconte-t-il.
Comme cette famille, des milliers d'habitants de Californie vivent toujours dans l'angoisse et l'attente face aux violents incendies des derniers jours. Certains, sommés de quitter leurs habitations face à la violence des flammes, se sont pressés aux check-points tenus par les forces de l'ordre durant ce week-end dans l'espoir de pouvoir récupérer des médicaments ou des vêtements chez eux, ou tout simplement voir si leur maison a été détruite ou non… Ceux qui n'ont pas pu être hébergés par des proches ont trouvé refuge dans les hôtels des environs et attendent de pouvoir retrouver leur domicile.
"On s'est mariés dans cette cour…"
Brad et John ont eu de la chance : leur maison, encerclée par les flammes, a été sauvée in extremis. "John, aidé par des cousins et des passants, a utilisé de la terre humide et l'eau de la salle de bains pour éteindre les flammes et sauver la maison", glisse Brad. Mais une partie de la propriété est partie en fumées, Brad nous montre une vidéo : "Comme vous le pouvez voir, toute l'arrière-cour et la dépendance ont brûlé…" John, ému, confie : "On s'est mariés dans cette cour, il y avait tellement de joie, d'amour et de bonheur".
Sur la centaine de milliers de personnes évacuées, beaucoup, comme le couple, ne demandent qu'une chose : pouvoir faire un rapide aller-retour à leur domicile quitté en urgence. "Ils ont tout bloqué car tous les habitants revenaient chez eux. Les pillages ont commencé et la garde nationale envoyée sur place a dit plus personne ne passe c'est trop dangereux. On comprend, mais ça nous fend le cœur, avoue Brad. On veut juste prendre quelques affaires pour notre fils et d'autres objets personnels."
Et alors que les incendies nourris par les vents reprennent, ils angoissent pour leur maison : "Le pire est passé, mais on reste inquiets", confie Brad. "Dans notre secteur à Altadena, ça fume encore par endroits, chaque jour on se dit c'est bon notre maison est encore debout, on verra demain. En fait tant que les vents ne retombent pas et que les incendies ne sont pas maîtrisés, on n'est sûrs de rien." Les pompiers ont annoncé qu'elles autoriseraient, si c'est hors de danger, les personnes évacuées à rentrer chez elles à partir de jeudi.
"On a d'abord vu une petite lueur"
Robert, lui, est resté. D'ailleurs, il ne reste plus que lui dans sa rue ombragée bordée de pins à Altadena. Ce menuisier de 34 ans déblaie sans relâche tout autour de sa maison de plain-pied, intacte au milieu d'un champ de ruines. En marcel, balai à la main, il explique se débarrasser des "débris". Comprenez des branches, des feuilles séchées mélangées à de la terre qui s'accumulent dans sa cour depuis le début des incendies. "J'évacue tout ça dans la rue. C'est tout ce que le vent a chargé jusqu'ici… Il y a de la végétation qui risque de s'enflammer si ça repart, donc je veux éviter ça et je me prépare", explique-t-il.
Il l'avoue : il est toujours sidéré par la rapidité et l'intensité de l'incendie. Et Robert de se remémorer ce soir où tout a basculé : alors qu'il s'apprêtait à passer une soirée tranquillement chez lui après avoir fait ses courses pour la semaine, au cœur de la nuit, il se souvient de cette image des flammes qui déferlent depuis les montagnes.
"C'était comme un domino géant, un à un, on voyait les pins s'enflammer comme des bougies... Puis le feu a gagné les maisons qui ont commencé à flamber les unes après les autres. "
Robert, habitant d'Altadenaà franceinfo
"Regardez les montagnes derrière vous, on a d'abord vu une petite lueur. Et elle a grossi, encore, et encore et encore. Au lieu d'aller vers l'ouest, elle est descendue vers nous. Toutes ces maisons ont brûlé en 20 minutes", témoigne-t-il. Tout son voisinage a flambé, sauf sa maison, qu'il a refusé de quitter alors que, dans la panique générale, ses voisins étaient déjà partis.
"Impossible d'avoir de l'eau de la borne d'incendie"
En désignant la rue en face de son domicile, où des voitures, des maisons, des restaurants… Tout est calciné, il reconnaît avoir eu la chance "d'avoir une petite arrivée d'eau, c'est ce qui a stoppé l'incendie. J'ai refusé de partir pour sauver ma maison, c'est fait, maintenant je nettoie et je monte la garde jusqu'à ce que tout le monde rentre."
Aujourd'hui, Robert salue le travail des pompiers qu'il a vu se démener face aux flammes déchaînées. "Par contre, impossible d'avoir de l'eau de la borne d'incendie, juste en face. Rien ne sortait. J'ai vu les pompiers essayer de remplir leur citerne, abandonner et passer à la suivante", dénonce-t-il. Avant de pointer un autre problème : "La mairie a baissé le budget des pompiers, voilà le résultat. Il faudra en tirer une leçon."
Brit, elle, ne sait plus où elle habite. Dans les deux sens du terme : sa maison, où elle vivait avec son compagnon, a brûlé mercredi 8 janvier, en pleine nuit. Et depuis une semaine, les pensées se bousculent dans sa tête. "Je suis traversée par une foule d'émotions. Je fais mon deuil, mais, hier, pendant des heures, je me suis mise en colère, j'ai hurlé… Je suis perdue, pourquoi tout ça est arrivé ? Je suis énervée parce que je n'ai pas reçu de message d'alerte incendie sur mon portable, mais aussi contre moi-même de ne pas m'être mieux préparée… Et, en même temps, comment se prépare-t-on à un tel évènement ?", explique-t-elle. Avant de conclure : "Je m'en veux d'être aussi dure avec moi-même…"
Des centaines de psychologues sur place
La trentenaire est venue chercher un peu de réconfort dans un centre d'art d'Altadena, où les dons affluent. "Je n'ai pas pris de jouets pour ma fille de deux ans et demi, juste l'essentiel pour survivre. J'ai peu de place, je vis dans ma voiture", confie-t-elle. Une vie sans refuge qui ne fait qu'augmenter ses angoisses et ses tourments. "C'est très dur de voir la ville où on a grandi partir en fumées. On culpabilise un peu parce que notre maison est toujours là quand tant d'autres ont disparu. Là, c'est trop d'émotions, beaucoup trop d'un coup".
Comme Brit, des sinistrés ont besoin de parler. Ce sont les psychologues de la FEMA, l'agence fédérale de la gestion des urgences dépêchés en cas de catastrophes, qui recueillent leurs histoires. "Nous sommes une centaine parce que c'est une immense catastrophe. On essaie d'aider tout le monde…", indique Eugenia Davis, psychologue de l'équipe. "Ce sont des histoires de perte : la perte d'une maison, de biens, un décès. Ils racontent leur vie d'avant l'incendie,leur situation actuelle et leurs inquiétudes pour l'avenir. On essaie de les apaiser, d'être dans l'empathie, leur dire que ça va aller", détaille-t-elle. Les psychologues de la FEMA assisteront les sinistrés aussi longtemps qu'ils en auront besoin.
Reste que ces habitants de Californie le confient avec angoisse : les feux de forêts sont chaque année toujours plus violents dans la région. Et à court terme, quid de l'air vicié à cause des fumées toxiques qu'ils respirent en ce moment ? Cette pollution de l'air, chargée de fumées toxiques, dont beaucoup d'habitants se protègent comme ils peuvent en portant depuis une semaine les masques bleus comme du temps du Covid.
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