Les Américains vont-ils tous pouvoir consommer légalement du cannabis ?
Le respecté "New York Times" prône la légalisation de la marijuana aux Etats-Unis, dont la consommation est déjà autorisée dans deux Etats.
En déplacement dans le Colorado début juillet, Barack Obama n'y a pas échappé. Le président des Etats-Unis s'est vu proposer, par l'un de ses concitoyens, de partager un joint dans un bar. Refus poli du locataire du bureau ovale, sous la forme d'un éclat de rire. La scène est inédite pour un président américain, mais elle pourrait bien se reproduire dans le futur.
Le Colorado est l'un des deux Etats, avec celui de Washington, sur la côte ouest, à avoir pour l'instant autorisé l'usage du cannabis à des fins récréatives. Et le très respecté New York Times milite dans un éditorial (en anglais), samedi 26 juillet, pour la légalisation de la substance, considérée au niveau fédéral comme aussi dangereuse que l'héroïne depuis une loi de 1970.
Tous les Américains vont-ils finir par se convertir à l'or vert ? Partisans et opposants du cannabis affûtent leurs arguments, à quelques mois de nouvelles élections nationales.
Oui, l'administration Obama laisse faire les Etats
Barack Obama n'en fait pas mystère : il est lui-même un ancien consommateur de cannabis. Le président des Etats-Unis en fait la confession dans son livre Les rêves de mon père, paru en 1995 outre-Atlantique. Dans cette autobiographie, il ne défend pourtant pas son comportement, assurant qu'il a failli devenir un "junkie".
Dans une interview au New Yorker (en anglais) en janvier, il considère toujours cela comme "une mauvaise habitude" et "un vice", mais finalement "pas si différent des cigarettes" et "pas plus dangereux que l'alcool". Le chef de l'Etat américain, dans cet entretien, regrette que de nombreux jeunes issus des minorités pauvres soient condamnés à de la prison pour avoir fumé de l'herbe. Même s'il ne s'agit pas d'une "panacée" selon lui, il ne s'oppose pas à la décision du Colorado et de l'Etat de Washington de légaliser le cannabis.
Dans les faits, son administration est même plutôt tolérante. Même si, officiellement, le cannabis est interdit au niveau fédéral, le Département de la Justice s'en remet aux Etats pour ce qui est de la consommation de "petites quantités" de marijuana, préférant se concentrer notamment sur la lutte contre la consommation des mineurs ou les usages criminels.
Oui, le processus est en marche
La fin de la prohibition est déjà en marche, assure le New York Times (en anglais). D'après le quotidien de référence, 76% de la population américaine vit déjà dans des Etats où la législation sur le cannabis a été assouplie. Dans la grande majorité des cas, son usage a été autorisé pour des raisons médicales ou la consommation personnelle a été décriminalisée.
This map is interesting. Look at middle America. http://t.co/nSypSVLFWl pic.twitter.com/KbLsURUUBm
— Jennifer Pham (@phenniferjam) 26 Juillet 2014
Le Colorado a été le premier à autoriser la consommation de cannabis à des fins récréatives, avec une loi entrée en vigueur début 2014, pour les plus de 21 ans. Depuis, le business de la "weed" est florissant dans cet Etat qui bénéficie d'importantes retombées sous la forme de taxes sur les ventes. L'argent servira à financer la construction d'écoles ainsi que des campagnes de prévention contre l'usage de la drogue chez les jeunes. Depuis début juillet, des coffee shops ont également ouverts dans l'Etat de Washington.
Oui, de nouveaux référendums sont prévus
Le Colorado et Washington pourraient ne pas rester seuls bien longtemps. Les Etats-Unis se préparent à de nouvelles élections législatives, programmées en novembre. A cette occasion, et comme il est d'usage, les citoyens seront également appelés aux urnes pour se prononcer sur des référendums locaux.
Dans deux Etats, l'Alaska et l'Oregon, les habitants pourront décider d'autoriser la consommation de cannabis pour un usage récréatif. Les partisans de la légalisation ont obtenu suffisamment de signatures pour organiser un référendum et mènent désormais campagne pour que la mesure soit validée par les électeurs. Les derniers sondages leur sont plutôt favorables, rapporte Vox (en anglais).
Et ce n'est pas fini : des initiatives similaires sont en route dans une demi-douzaine d'Etats américains, comme le Nevada, l'Arizona et la Californie, précise Slate. 2016, année présidentielle aux Etats-Unis, sera peut-être également l'occasion d'une poussée en faveur du cannabis à travers le pays.
Non, les Américains restent très divisés sur la question
Inenvisageable il y a quelques années seulement, le mariage pour tous gagne du terrain aux Etats-Unis : désormais, les unions entre couples de même sexe sont légales dans 20 Etats, selon le décompte de CNN. La légalisation du cannabis suivra-t-elle la même voie ? C'est la thèse défendue par certains libéraux, comme dans le magazine The American Prospect (en anglais).
Mais tout n'est pas aussi simple. La plupart des Américains soutiennent l'autorisation de la consommation de cannabis à des fins médicales : 78%, selon un récent sondage de la radio NPR. Le pourcentage tombe à 43% quand il s'agit de la légalisation à des fins récréatives. Cette question divise nettement les générations, note Politico (en anglais) : seul un quart des plus de 65 ans sont en faveur d'un tel changement.
Les Etats-Unis sont donc loin du consensus et les politiques se gardent bien de s'aventurer sur ce terrain glissant. A ce jour, aucun gouverneur ou sénateur n'a osé soutenir la légalisation, note le Huffington Post (en anglais). D'autant que les anti-cannabis sont aussi mobilisés, à la recherche d'anecdotes pour alimenter leur discours, raconte Politico, comme des accidents supposément provoqués par des conducteurs drogués ou des pâtisseries surdosées en cannabis.
Non, il reste un obstacle majeur pour les consommateurs
Certes, les habitants du Colorado et de Washington peuvent désormais acheter leur herbe au grand jour, sans crainte d'être arrêtés par la police. Mais la légalisation ne signifie pas pour autant qu'ils sont à l'abri d'autres mesures de représailles.
Les consommateurs risquent toujours de subir les foudres de leur employeur, explique Fortune (en anglais). Dans le Colorado, par exemple, un paraplégique qui consommait du cannabis pour des raisons médicales a été renvoyé par son entreprise, au motif qu'il enfreignait le règlement interne anti-drogue. En 2013, la Cour d'appel de l'Etat a validé le licenciement, même si la consommation a eu lieu en dehors du temps de travail, au motif que l'herbe est toujours illégale au niveau fédéral.
Amy Dannemiller, organisatrice de soirées cannabis, a subi le même sort. Son employeur principal n'a pas apprécié de la voir apparaître à la télévision pour raconter ses activités, il lui a donc demandé de démissionner, raconte le site spécialisé The Cannabist. Dans la plupart des cas, même si un Etat américain se décide à légaliser le cannabis, explique Salon, il faudra aussi une loi spécifique pour éviter aux consommateurs de perdre leur emploi. Le chemin risque donc d'être long.
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