Etats-Unis : quatre choses à savoir sur Alexandria Ocasio-Cortez, la nouvelle élue qui va faire bouger le Congrès
Elle représente désormais au Congrès la 14e circonscription de New York. Mais qui est cette nouvelle venue en politique ? Franceinfo revient sur quelques éléments de sa carrière.
Depuis quelques mois, on ne parle que d'elle. Et pourtant, en juin dernier, personne ne connaissait encore son nom. A 29 ans, Alexandria Ocasio-Cortez devient, jeudi 3 janvier, la plus jeune élue à la Chambre des représentants des Etats-Unis. Cette militante latino-américaine, née dans le Bronx et partisane de Bernie Sanders, représente désormais au Congrès la 14e circonscription de New York, qui comprend une partie du Bronx et du Queens. Elle fait sa rentrée, jeudi, à Washington, deux mois après les midterms.
>> Suivez en direct les réactions au lendemain des midterms
Sa victoire avec un score de 78% face au républicain Anthony Pappas (13,7%), "incarne à elle seule plusieurs tendances de ces midterms", comme le note Libération. Alors qui est-elle ? Franceinfo vous détaille quatre choses à savoir pour mieux cerner ce personnage clé de l'avenir de la politique américaine.
Scientifique et serveuse avant d'arriver jusqu’au Capitole
Dans sa famille, la politique n'est pas une voie habituelle, même si les dîners sont animés de débats, selon le New York Times*. Sa mère, portoricaine, est femme de ménage ou conductrice de bus, son père, né dans le Bronx à New York, est architecte. Avec son petit frère, ils vivent à Parkchester, une résidence dans le Bronx. "Sa famille raconte les différences de destins dans une ville comme New York : 'Une partie est entrée dans la police, l'autre s'est fait arrêter'", écrit Vanity Fair.
La jeune Alexandria, elle, se lance dans les sciences. Au lycée, en 2007, elle remporte même un prix lors d'une importante foire internationale des sciences et de l'ingénierie, pour un travail sur les vers ascaris. Mais déjà, la politique l'attire. "Ses recherches avaient pour but d'aider les gens dans tous les milieux, pas juste les gens qui ont de l'argent", se souvient un de ses professeurs. Elle y fait ses premiers pas à l'université. "Elle abandonne les cours de biochimie pour se spécialiser en économie et en relations internationales" à l'université de Boston, raconte Vanity Fair. En même temps, elle travaille sur l'immigration pour le sénateur démocrate Edward "Ted" Kennedy.
Mais à peine diplômée, elle doit retourner dans le Bronx pour aider sa famille. "Quand la crise a frappé, elle a pris des boulots de serveuse", rapporte le site Politico*. Elle n'abandonne pas pour autant ses convictions : "Elle a fondé une maison d'édition de livres pour enfants, pour représenter son quartier sous un angle positif", écrit le New York Times. Alexandria Ocasio-Cortez en profite aussi pour donner des cours à l'Institut national hispanique. Elle s'engage en parallèle dans la campagne de Bernie Sanders pour la primaire démocrate en 2016. De quoi bien occuper ses journées avant de prendre le service, le soir, dans un restaurant de tacos de Manhattan, jusqu'en février dernier.
This photo is from Nov. 14, 2017. Alexandria Ocasio-Cortez, 28, was then working as a bartender.
— Jeff Stein (@JStein_WaPo) 27 juin 2018
Less than a year later, she defeated the likely next Speaker of the House, and will almost certainly be the youngest woman ever elected to Congress pic.twitter.com/JgHjdQWAF6
Sa course pour entrer au Capitole démarre avec le mouvement "Brand New Congress" (BNC), créé par les soutiens déçus de Bernie Sanders. "Un soir, lors d'une émission télé, l'un des fondateurs de BNC annonce que le mouvement présentera un candidat dans chaque circonscription [aux midterms]. Aussitôt, le site web reçoit près de 11 000 candidatures. Parmi elles, un certain Gabriel Ocasio-Cortez, qui écrit pour sa grande sœur", relate Vanity Fair. Son dossier est retenu et tout s'enchaîne à la vitesse grand V.
Je me demandais ce que j'allais faire là-dedans. Comment moi, simple serveuse, je pouvais dire aux gens que j'allais les représenter au Congrès ?
Alexandria Ocasio-Cortezà "Vanity Fair"
Elle n'a pas vu venir sa victoire aux primaires démocrates
Le 26 juin dernier, à la surprise générale, Alexandria Ocasio-Cortez remporte la primaire démocrate avec 57% des voix contre 43%, selon le site Ballotpedia*. Un "résultat stupéfiant", un "renversement titanesque", alors qu'elle était opposée à l'élu actuel de la circonscription Joe Crowley : ce soir-là, journalistes et cadres politiques en restent bouche bée. Mais la plus surprise est la principale intéressée : Alexandria Ocasio-Cortez elle-même.
Le jour du scrutin, "je n'avais pas regardé les sondages", raconte-t-elle. Dans la voiture pour se rendre à la soirée de rassemblement de ses équipes, tout le monde évite son téléphone, "anxieux", précise le New York Times. "On sort de la voiture et dehors je vois tous les journalistes qui courent vers notre fête. Personne n'y était à la base. Alors je me mets à courir derrière eux. Je rentre, je lève les yeux vers une télévision et je vois l'écart des votes et le nombre d'arrondissements dépouillés. C'est à ce moment précis que je me rends compte qu'on a remporté cette élection", raconte-t-elle euphorique, à l'animateur Stephen Colbert au cours d'une interview*. Son visage, lors de cette scène, parle de lui-même :
Challenger @Ocasio2018 toppled one of the top Democrats in Congress, @repjoecrowley, Tuesday night in their primary in the 14th District. The victory stunned even her, live on our channel. #NY1Politics https://t.co/fnK1O0bacz pic.twitter.com/RjuqHJpn1p
— Spectrum News NY1 (@NY1) 27 juin 2018
Si elle est si étonnée, c'est qu'elle est partie de (très) loin. En face d'elle, Joe Crowley, 56 ans, en a passé 20 à siéger à la Chambre des représentants. Tout le monde le considère comme un potentiel successeur de Nancy Pelosi, l'actuelle chef des démocrates à la Chambre. Et les sondages suivent cette tendance : "Elle cumulait un retard de dizaines de points dans les sondages il y a quelques mois", rapporte en juin le HuffPost. La campagne que mènent les deux adversaires reflète le déséquilibre : "Crowley a dépensé 1,5 million de dollars [soit 1,3 million d'euros]. C'est cinq fois plus que sa rivale", souligne le Washington Post*. Alexandria Ocasio-Cortez a donc fait figure d'outsider jusqu'au dernier moment. Mais désormais, fini l'anonymat. Quand le New York Times lui demande ce qu'elle pense de tous ces gens qui l'arrêtent dans la rue pour prendre un selfie, elle n'a qu'un mot pour décrire la situation : "C'est dingue."
Elle est le visage des minorités
Née dans sa circonscription, Alexandria Ocasio-Cortez vit toujours dans le deux-pièces familial de Parkchester. Latino-américaine et issue des classes populaires, la représentante est bien plus à l'image de ses électeurs que son ancien adversaire Joe Crowley, élu démocrate blanc, quinquagénaire et habitué du pouvoir.
Il y a une profonde incompatibilité entre la communauté et ceux qui la représentent [aujourd'hui]. Qu'est-ce qu'il y a de nouveau dans des candidats qui sont blancs, qui ne sont pas des femmes, qui ne sont pas issus des classes populaires et qui ne défendent pas des politiques progressistes ?
Alexandria Ocasio-Cortezà "Politico"
La 14e circonscription de New York englobe une partie du Bronx et du Queens : 54% de ses habitants sont en effet hispaniques, 26% afro-américains et 5% asiatiques, selon Paris Match. "C'est une candidate issue de la minorité, dans une circonscription constituée majoritairement de minorités", analyse ainsi le journaliste Harry Enten, cité par Le Monde. Et la jeune femme en a fait la force de sa candidature. Ses affiches de campagne ont toutes été imprimées en anglais, et en espagnol.
"Les femmes comme moi ne sont pas censées être candidates. Je ne suis pas née dans une famille riche ou puissante", confie Alexandria Ocasio-Cortez dans son clip de campagne, vu plus de 600 000 fois sur YouTube. Visant Joe Crowley, elle poursuit en expliquant "qu'un démocrate (...) qui ne vit pas ici, n’envoie pas ses enfants dans nos écoles, ne boit pas notre eau, ne respire pas notre air, ne peut pas nous représenter". La socialiste assure qu'elle le peut, car elle et ses proches font face aux mêmes réalités économiques qu'une grande partie de ses électeurs. "Ma famille vit dans le Bronx depuis trois générations, et ma propre mère ne peut plus vivre dans la même ville ou dans le même Etat que moi. C'est devenu trop cher", glisse la jeune femme dans un entretien pour le magazine Vogue*.
Elle défend une ligne à la gauche de la gauche
"Alerte rouge !", titre le tabloïd New York Post, au lendemain de la victoire d'Alexandria Ocasio-Cortez face à Joe Crowley. La jeune parlementaire, sur la même ligne que Bernie Sanders, se revendique ouvertement socialiste, une identité politique encore peu endossée dans les rangs des démocrates – et quasi tabou aux Etats-Unis. Membre des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), une organisation soutenant des candidats très progressistes dans des circonscriptions démocrates, l'habitante du Bronx voit dans le socialisme "l'assurance d'un niveau minimum de dignité" pour tous.
"Pour moi, le mot socialisme signifie simplement une participation démocratique pour notre dignité économique – en fait, pour une dignité économique, sociale et ethnique", développe-t-elle auprès de Vogue. "C'est une question de représentation directe, de permettre aux gens d'avoir le pouvoir sur leur bien-être économique et social", poursuit la jeune femme. Sur le plateau de l'émission "The Late Show with Stephen Colbert", Alexandria Ocasio-Cortez résume une nouvelle fois le fond de sa pensée socialiste. "Personne en Amérique ne devrait être trop pauvre pour vivre décemment", insiste-t-elle.
Ce nouveau visage de la gauche défend ainsi l'accès aux soins, à l'assurance-maladie et à un logement décent "comme un droit humain", accessible à tous. Alexandria Ocasio-Cortez milite pour le soutien des emplois publics et pour un salaire minimum horaire de 15 dollars. Elle promet de se battre pour davantage d'universités publiques gratuites et pour l'abolition de l'agence fédérale de contrôle aux frontières. L'élue compte également s'attaquer aux promoteurs immobiliers, et en particulier au marché du luxe, responsable selon elle d'une augmentation intenable des loyers pour les new-yorkais.
*tous ces liens sont en anglais.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.