"Parqués comme des animaux" : des élus américains dénoncent les conditions de détention des migrants à la frontière mexicaine
En mai, 144 000 personnes ont été arrêtées et placées en détention dans ces centres à la frontière mexicaine. La surpopulation et l'insécurité qui y règnent ont été reconnues par un rapport du ministère américain de la Sécurité intérieure.
"Des camps de concentration". La déclaration de la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez (ou AOC) a déclenché une vive polémique la semaine passée aux Etats-Unis. Mais elle a eu le mérite de provoquer une prise de conscience sur la situation désastreuse dans les centres de rétention à la frontière avec le Mexique. Plusieurs parlementaires démocrates américains se sont rendus, lundi 1er juillet, dans des centres de rétention à El Paso et Clint (Texas), des villes frontalières du Mexique pour vérifier les conditions de vie des migrants. Plusieurs d'entre eux ont raconté leur déplacement sur Twitter et décrit des conditions de détention effroyables, avec des cellules surpeuplées dans lesquelles il est impossible de s'asseoir ou de s'allonger, des enfants séparés de leurs parents, privés de douches ou de repas chauds et très peu de moyens pour se laver.
Pas d'eau courante pour boire ou se laver
Le chef de la délégation parlementaire, Joaquin Castro, a longuement raconté : "Au poste de patrouille frontalière numéro 1 d'El Paso, des femmes cubaines, des grands-mères, s'entassent dans une cellule semblable à celle d'une prison. Il y a un seul cabinet de toilettes, sans eau courante pour boire ou se laver les mains", décrit-il sur Twitter.
Après avoir rencontré quelques-unes de ces femmes, l'élu poursuit : "Beaucoup ont dit qu'elles ne s'étaient pas lavées depuis quinze jours. Certaines ont été séparées de leurs enfants, d'autres sont détenues depuis plus de cinquante jours. Plusieurs se sont plaintes de ne pas avoir reçu leurs médicaments, dont un contre l'épilepsie. Certaines ont craqué et ont été réconfortées par des membres du Congrès".
Here’s another photo from inside taken by @JoaquinCastrotx, where we’re trying to comfort women trapped in cells.
— Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC) 2 juillet 2019
This woman was telling me about her daughters who were taken from her - she doesn’t know where they’ve taken them.
We held & listened to them. They were distraught. pic.twitter.com/ca1GwKfDfU
Devant la presse, Joaquin Castro, a aussi évoqué des cellules pour femmes "sans eau courante" où les détenues devaient "boire l'eau des toilettes". Dans une vidéo, le parlementaire montre notamment les douches du centre de Clint, visiblement alimentées par un tuyau d'arrosage et construites dans du béton. D'autres photos montrent des détenus entassés dans des cellules bondées ou des salles séparées par des grillages, certains migrants portant des masques sur la bouche.
The showers at Clint Border Patrol Station. pic.twitter.com/z0ATi67q1i
— Joaquin Castro (@JoaquinCastrotx) 2 juillet 2019
Une autre députée démocrate, Judy Chu, a évoqué des conditions de détention "effroyables et dégoûtantes", tandis que Madeleine Dean, elle aussi membre démocrate du Congrès, a confié que la situation est "bien pire que ce que nous aurions pu imaginer".
C'est une crise des droits de l'homme.
Madeleine Dean, députée démocratesur Twitter
Elle souligne que la délégation parlementaire avait été accueillie avec "hostilité" par les policiers mais que cela n'avait rien à voir avec le traitement des personnes détenues. "Les détenus sont constamment maltraités et harcelés verbalement sans motif. Privés physiquement et déshumanisés mentalement tous les jours", écrit-elle sur Twitter.
Moqueries et insultes de policiers
Le même jour, le site d'information indépendant ProPublica a révélé l'existence d'un groupe Facebook où des agents de la police aux frontières échangent moqueries et insultes sexistes et racistes sur les migrants et les parlementaires opposés à la politique migratoire de Donald Trump. Créé en août 2016, le groupe intitulé I'm 10-15 (code des policiers pour les "prisonniers en détention") se décrit comme un groupe de discussion "amusant" et "sérieux" sur le travail de la police aux frontières.
Dans ce groupe comptant 9 500 agents frontaliers actuels et anciens, certains membres plaisantent, par exemple, sur la mort de migrants, discutent de la possibilité de lancer des burritos sur les parlementaires originaires d'Amérique latine ou fabriquent des photomontages de l'élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez en train d'avoir une relation sexuelle avec un migrant détenu. Cette dernière est particulièrement ciblée par les agents. Un autre photomontage la montre penchée sur l'entrejambe d'un Donald Trump souriant. L'auteur de l'image commente : "C'est bon les salopes. Les masses se sont exprimées et maintenant la démocratie a gagné."
Dans une autre conversation, plusieurs membres ont réagi avec ironie à la mort d'un migrant guatémaltèque de 16 ans en mai, détenu dans un centre à Weslaco (Texas). L'un d'entre eux réagit avec un gif animé d'Elmo (marionnette de Sesame Street, programme célèbre aux Etats-Unis) disant "Oh, bien". Un autre répond à l'aide d'une image "s'il meurt, il meurt".
As @CBP reps go on the media offensive, claiming the agents in the secret FB group are not representative, one former agent we spoke to said demeaning and dehumanizing language re: migrants is “normal, everyday terminology” on the force. https://t.co/eIuYuGooVl
— ProPublica (@propublica) 2 juillet 2019
Après avoir quitté un établissement d'El Paso, Alexandria Ocasio-Cortez a écrit dans un tweet : "Je vois pourquoi les agents du CBP [le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis] étaient si physiquement et sexuellement menaçants envers moi", une référence apparente au groupe Facebook.
A la suite de ces révélations, la patronne de l'agence de la police aux frontières, Carla Provost, a dénoncé des messages "complètement inappropriés" et "contraires à l'honneur et à l'éthique" de ses agents. Le service fédéral de protection des frontières a de son côté annoncé une enquête.
Un rapport alarmant du ministère
Le ministère américain de la Sécurité intérieure (DHS) a admis mardi avoir pris la mesure de la situation déplorable dans les centres de rétention. "Nous sommes inquiets de la surpopulation et la détention prolongée qui représentent un risque immédiat pour la santé et la sécurité des agents et officiers du DHS ainsi que des détenus", indique dans un rapport (pdf en anglais) l'Inspection générale du ministère, un organisme de surveillance interne.
Des membres de ce ministère ont visité en juin cinq centres de rétention situés près de la frontière mexicaine, qui connaît ces derniers mois un afflux massif de migrants tentant d'entrer illégalement sur le territoire américain. Certains mineurs non accompagnés âgés de moins de sept ans attendaient leur transfert depuis plus de deux semaines, alors que ces enfants doivent normalement être remis à leur famille ou pris en charge par des agences gouvernementales dans les 72 heures, indique le rapport.
Plusieurs candidats à l'investiture démocrate pour la présidentielle de 2020 se sont insurgés des conditions décrites par le rapport. "Aucun être humain ne mérite d'être traité ainsi", a écrit sur Twitter Kamala Harris, deuxième dans les sondages. Les responsables des centres de rétention ne respectent pas "les droits humains basiques", s'est pour sa part indigné le sénateur indépendant Bernie Sanders. "Ignoble", a réagi la sénatrice démocrate Elizabeth Warren.
Des êtres humains sont parqués comme des animaux actuellement dans notre pays.
Elizabeth Warren, sénatrice démocratesur Twitter
Les conditions de vie dans un centre de Clint avaient déjà été dénoncées par l'ONG Human Rights Watch la semaine dernière. Il accueillait alors trois cents mineurs isolés qui ont depuis été transférés. Pour un responsable de centre, cité dans le rapport, la situation est une "bombe à retardement".
"Tolérance zéro" contre l'immigration
Donald Trump a décrété au printemps 2018 la "tolérance zéro" contre l'immigration. Il a, entre autres, promis de faire cesser la pratique dite du catch and release ("attrape et libère"), qui permet aux migrants d'être relâchés sur le sol américain le temps de l'examen de leur dossier de demande d'asile.
Un tribunal fédéral de Seattle a toutefois jugé mardi que son gouvernement ne pouvait pas maintenir en détention les demandeurs d'asile ayant franchi illégalement la frontière sans leur donner une chance d'être libérés sous caution. Un arrêté pris en avril ordonnait de ne plus autoriser ces demandes de libération.
Cette décision intervient après une semaine marquée par des drames à la frontière, notamment la diffusion d'une photo des corps d'un migrant et de sa fille en bas âge gisant au bord du Rio Grande. Pour faire face à cette grave crise migratoire, le Congrès américain a approuvé la semaine dernière en urgence une enveloppe de 4,6 milliards de dollars. Elle prévoit des financements pour l'accueil des mineurs, mais aussi pour le renforcement du contrôle de la frontière.
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