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Mort du général Soleimani : de quels leviers de riposte dispose l'Iran face aux Etats-Unis ?

L'assassinat du chef de la Force Qods des Gardiens de la Révolution lors d'un raid aérien américain a provoqué un vif esprit de vengeance en Iran. Franceinfo fait le point sur les moyens dont dispose Téhéran pour riposter après cette attaque.

Article rédigé par franceinfo - Jean-Loup Adénor & Noémie Leclercq
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le président iranien Hassan Rohani lors d'une prise de parole commune avec le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif, à Tokyo (Japon) le 20 décembre 2019. (IRANIAN PRESIDENCY / HANDOUT / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les mots de l'ayatollah Ali Khamenei laissent peu de place à l'interprétation : "Une vengeance implacable attend les criminels" qui ont tué le chef de la Force Qods des Gardiens de la Révolution, a prévenu le leader iranien vendredi 3 janvier, peu après la mort de Qassem Soleimani, visé par un raid américain à l'aéroport de Bagdaden Irak.

A Téhéran, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté pour dénoncer les "crimes" commis par les Etats-Unis. Après la prière du vendredi, une foule a rempli des rues du centre de la capitale iranienne, scandant "Mort à l'Amérique" et brandissant des portraits du défunt général. Mais de quels leviers dispose réellement l'Iran pour répliquer après cette attaque ? Franceinfo fait le point.

Mobiliser ses alliés dans la région 

"Penser que tuer Soleimani, c'était comme de tuer Al-Baghdadi, c'était une erreur ! Dans le chiisme, on est dans une logique d'émulation des troupes, surtout lorsqu'une icône tombe en martyr", explique à franceinfo la chercheuse au CNRS spécialiste de l'Iran Amélie Chelly. Depuis l'annonce de la mort du général iranien, un front uni semble se constituer autour de Téhéran. "La ligne rouge a été franchie, et cette attaque complètement disproportionnée de Washington a un effet rassembleur en Iran, développe également Emmanuel Dupuy, président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE) auprès de franceinfo. Désormais, des groupes de différentes sensibilités font front commun face à l'ennemi américain." 

D'où une véritable recrudescence de groupes pro-Iran, dont certains se sont même réveillés pour l'occasion. C'est notamment le cas de l'armée du Mahdi, une milice chiite affiliée à la République islamique d'Iran, qui sévissait au début des années 2000 en Irak, lorsque les Américains occupaient le pays. L'organisation, considérée comme terroriste par les Etats-Unis depuis avril 2019, possède des forces armées capables d'une riposte lourde : elle avait notamment participé à la libération de Mossoul en 2017 face à l'Etat islamique. Moqtada Sadr, le chef de cette milice, a demandé à ses soldats de se "tenir prêts", peu après l'annonce de la mort de Qassem Soleimani.

En tant que chef de la résistance patriotique irakienne, j'ordonne à tous les moudjahidines, particulièrement à ceux de l'armée du Mahdi, de la Brigade du jour promis et à tous les groupes patriotiques aguerris de se tenir prêts à protéger l'Irak.

Moqtada Sadr, chef de l'armée du Mahdi

Israël s’est d'ailleurs montré particulièrement inquiet par les éventuelles représailles menées par des alliés de l'Iran dans la région. Le Hezbollah s'est déclaré prêt à répondre à l'appel de Téhéran, ainsi que le groupe Jihad islamique palestinien (JIP) et le Hamas. Ce dernier, basé dans la bande de Gaza, a fait savoir qu’il condamnait l'assassinat de Qassem Soleimani et présentait ses "plus sincères condoléances" à l'Iran. Un officiel du Hamas, Bassem Naim, a publié un message sur Twitter dans lequel il estime que la mort du général iranien "ouvre la porte à toutes les éventualités dans la région, sauf le calme et la stabilité". "C'est la responsabilité des Etats-Unis", a-t-il ajouté. Le JIP, soutenu par l'Iran, a qualifié Soleimani de chef qui "a toujours fait frémir d'horreur les cœurs des Américains et d'Israël". Abu Hamza, l'un des porte-parole du groupe, a juré que leur "alliance de résistance ne sera pas défaite, que nous ne serons pas brisés".

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qui a écourté un déplacement en Grèce, a pour sa part exprimé la solidarité de l'Etat hébreu avec son allié américain dans son "juste combat". Selon la radio de l'armée israélienne, le niveau d'alerte des forces de sécurité du pays a été relevé d'un cran. Le dirigeant israélien a estimé que "Qassem Soleimani est responsable de la mort de citoyens américains et de beaucoup d'autres personnes innocentes. Il préparait de nouvelles attaques de ce type."

Mener des "guerres par procuration"

Bien sûr, l'Iran sait "qu’elle ne fait pas le poids dans le cadre d’un conflit militaire direct avec les Etats-Unis", explique Thierry Coville, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). "Mais leur présence est partout dans la région : en Irak, au Yémen, dans le détroit d'Ormuz..." Téhéran n'a vraisemblablement pas l'intention de s'engager dans un conflit armé avec les Etats-Unis, mais "ne peut pas ne pas réagir et sa réaction, ce sera probablement des 'proxy wars' [des 'guerres par procuration', sur un territoire voisin], indique la spécialiste Amélie Chelly. Si l'on reste dans cette configuration, on aura des gestes forts, des gestes violents mais qui ne seront pas directement dirigés sur les territoires intérieurs des Etats-Unis ou de l'Iran, mais plutôt sur des cibles symboliques américaines ou alliées dans la région."

"Logiquement, pour répondre à hauteur du symbole qu'ont touché les Etats-Unis en s'en prenant à Soleimani, on peut imaginer que Téhéran s'en prendra aux ambassades américaines et aux troupes américaines présentes dans la région", indique également Emmanuel Dupuy. 

Dans le cadre de cette 'guerre', on est dans une lutte de symbole. On ne s'en prend pas aux civils avec des armes mais plutôt à une ambassade. La réplique de Trump était d'ailleurs tout aussi symbolique : il a abattu la tête des Gardiens de la Révolution.

Amélie Chelly, chercheuse au CNRS

à franceinfo

L'Irak a de fortes chances d'être le théâtre de ces affrontements. Bagdad a d'ailleurs dit redouter "une guerre dévastatrice" sur son sol, après le raid inédit qui a tué l'homme-clé de l'influence iranienne au Moyen-Orient, mais également son premier lieutenant irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi, groupe paramilitaire irakien. Proche militairement des Etats-Unis et de l’Iran, l'Irak se retrouve pris entre deux feux : une prise de position, dans un sens ou l'autre, serait dommageable pour le pays. 

"Les Iraniens vont vouloir montrer que les Américains doivent quitter l'Irak, estime Emmanuel Dupuy, de l'IPSE. C'est un paradoxe, parce que malgré la victoire symbolique que ce serait pour l'Iran, ça pourrait également jouer en faveur de Donald Trump : l'application d'une promesse de campagne aussi attendue que le retrait des troupes en Irak, quelques mois avant l'élection présidentielle à laquelle il est candidat, lui ferait une bonne pub auprès de ses électeurs."

Compromettre la sécurité du détroit d'Ormuz

Hormis l'Irak, l'autre endroit stratégique dont dispose l'Iran, c'est le détroit d'Ormuz. Téhéran peut, s'il le souhaite, influer sur la sécurité et la fluidité des échanges. Dès l’annonce de la mort de Soleimani, les prix du pétrole ont d’ailleurs bondi de plus de 4%, les marchés craignant une escalade des tensions dans la région. Il faut dire que plus de 30% des hydrocarbures utilisés dans le monde y transitent : un blocage du détroit aurait des conséquences très importantes. "Mais l'Iran est un Etat extrêmement rationnel : s'ils voulaient fermer le détroit, ils le feraient. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils n'y ont pas intérêt", assure Amélie Chelly.

En revanche, la sécurité peut s'y trouver fortement perturbée. "Téhéran dispose de missiles à proximité, dont il pourrait se servir contre la flotte américaine qui transite par Ormuz, indique Emmanuel Dupuy. Ces frappes pourraient également se répercuter sur les navires d'autres nationalités se trouvant à proximité d'une potentielle cible."  

L'assassinat de Soleimani intervient trois jours après que la ministre des Armées française, Florence Parly, a passé son réveillon sur une frégate dans le golfe d'Ormuz, pour le lancement d’une mission européenne de surveillance maritime dans la région, du fait de l'escalade des tensions dans la zone. Depuis mi-novembre déjà, la frégate Courbet, composée de 180 marins, y assure la sécurité maritime et lutte contre les trafics qui alimentent les caisses des réseaux terroristes. Washington a lancé, également en novembre, sa propre opération (dénommée "Sentinel") pour protéger le transport maritime dans les eaux du golfe.

La mission européenne, qui vise à "garantir la liberté de circulation dans le golfe", devrait pour sa part être pleinement opérationnelle fin février – mais la situation actuelle pourrait retarder sa mise en place.

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