Pour dire non à Donald Trump, ils perturbent ses meetings : "Il faut résister à son discours de haine"
Depuis le début de sa campagne, le milliardaire, candidat à la primaire républicaine, est régulièrement interrompu par des opposants venus perturber le déroulement de ses réunions publiques. Francetv info a retrouvé trois d'entre eux.
"Salam. Je viens en paix." Musulmane, Rose Hamid a voulu rassurer les supporters de Donald Trump en imprimant ce message sur son tee-shirt. Cette Américaine de 56 ans s'est rendue voilée à un meeting du milliardaire, vendredi 8 janvier, à Rock Hill, en Caroline du Sud. "En entrant, une femme m'a dit que je n'avais pas l'air inquiétante, mais plutôt sympathique, se souvient-elle en riant, interrogée par francetv info via Skype. Les gens pensaient que je soutenais Trump, donc ils se sont dit : 'Génial, on en a une de notre côté'."
En réalité, si Rose Hamid s'est installée dans le public, ce n'était pas pour écouter le discours du businessman, mais pour au contraire dénoncer son message. A plusieurs reprises durant sa campagne, le candidat à la primaire républicaine pour la présidentielle américaine a tenu des propos pour le moins polémiques. Que ce soit sur les femmes, les immigrés ou l'islam. Allant jusqu'à réclamer la fermeture des frontières pour les musulmans.
Une étoile jaune sur la poitrine
Sur scène ce soir-là, Donald Trump ne dévie pas de ses cibles habituelles. Il s'en prend aux réfugiés syriens, "probablement" liés, selon lui, aux jihadistes du groupe Etat islamique. Installée dans les tribunes, quelques mètres derrière le pupitre du milliardaire, Rose Hamid ne fait pas d'esclandre. Elle se lève, tout simplement, avec sur la poitrine une étoile jaune sur laquelle est inscrit un mot : "Musulmane." Rien de spectaculaire, mais une protestation silencieuse, qui se veut pacifique et symbolique, pour dénoncer "le discours de haine" de l'homme d'affaires.
Depuis le début de la campagne des primaires outre-Atlantique, plusieurs candidats, démocrates comme républicains, ont ainsi vu leurs meetings perturbés par des opposants, parfois de façon bien plus véhémente. Bernie Sanders, Hillary Clinton, Ted Cruz, Jeb Bush… Mais pour Donald Trump, la scène n'en finit pas de se répéter. A tel point que ses équipes diffusent un message à ses supporters en début de meeting, des consignes pour réagir si des anti-Trump se décident à perturber son discours.
Mesdames et messieurs, nous savons tous que, président des Etats-Unis, Donald Trump continuera de défendre – comme il l'a fait toute sa vie – la liberté d'expression. (...) Cependant, certains ont profité de l'hospitalité de M. Trump en perturbant ses meetings et en les utilisant pour diffuser leurs propres messages politiques. Bien qu'ils aient le droit à la liberté d'expression, ceci est un événement privé financé par M. Trump. Nous avons mis en place une zone sécurisée pour les manifestations en dehors du bâtiment. Si des manifestants commencent à protester autour de vous, s'il vous plaît, ne les touchez pas et ne les blessez pas. C'est un meeting pacifique. Pour prévenir les forces de l'ordre de l'endroit où se trouvent les protestataires, tendez s'il vous plaît une pancarte au-dessus de votre tête et commencez à hurler 'Trump ! Trump ! Trump !' Demandez à vos voisins de faire de même jusqu'à ce que les agents escortent le manifestant. Merci de nous aider à rendre sa grandeur à l'Amérique.
Announcement at Donald Trump rally: "If a protester starts demonstrating in the area around you please do not touch or harm the protester…"
Posted by C-SPAN on Wednesday, January 20, 2016
"Il désigne des boucs émissaires"
Aux côtés de Rose Hamid à Rock Hill, Marty Rosenbluth a déjà assisté à trois meetings de Donald Trump. Impossible pour lui, soutien du démocrate Bernie Sanders, de ne pas réagir. "Souvenez-vous, Trump a commencé à s'en prendre aux Latinos, explique-t-il par Skype à francetv info, vêtu d'un tee-shirt de "Bernie". Je suis avocat en droit de l'immigration. Quatre-vingt-quinze pour cent de mes clients sont des Latinos. Puis, il s'en est pris aux musulmans. Et j'ai plusieurs bons amis qui le sont. Il désigne des communautés entières, des religions entières qui deviennent pour lui des boucs émissaires. C'est très dangereux."
D'où l'étoile jaune accrochée au revers de leurs vêtements. "C'est une étoile à huit branches, pas une étoile de David, tient à préciser Rose Hamid. On ne voulait pas récupérer un symbole qui a tant de signification pour les Juifs. Mais il s'agit de rappeler aux gens ce qui peut arriver quand on commence à accuser un groupe de personnes de tous les maux, à vouloir les intégrer à une base de données, à demander de les surveiller plus attentivement, comme Trump l'a proposé."
"Donald Trump a ouvert la boîte de Pandore"
Sans jamais le nommer, les opposants interrogés par francetv info dressent un parallèle avec l'émergence d'Adolf Hitler en Allemagne. La comparaison peut choquer, Marty Rosenbluth le reconnaît lui-même. "O.K., je ne pense pas que Donald Trump va construire des camps de concentration, concède le militant. On parle des années 1920-1930, il crée la même atmosphère que les nazis avant leur arrivée au pouvoir, les nazis de la Nuit de cristal, les nazis qui agressaient des gens dans la rue, les nazis qui attaquaient des meetings communistes." Il n'est pas le seul à penser ainsi : des survivants de l'Holocauste ont confié au Washington Post (en anglais) leurs inquiétudes face aux discours de Donald Trump et d'autres candidats en lice.
"Donald Trump n'est pas le seul à parler de cette façon, d'autres républicains ont suivi le mouvement, estime Rose Hamid. Tous ceux qui essayent de marginaliser des gens, qui désignent des boucs émissaires sont dangereux. Ce ne sont pas les valeurs des Etats-Unis." Hôtesse de l'air, elle a longtemps dû se battre pour que son entreprise l'autorise à travailler avec son voile. Elle évoque aujourd'hui la résurgence de l'islamophobie outre-Atlantique. "Les gens ont peur, affirme-t-elle. Récemment, une de mes amies avait réservé dans un hôtel. Le responsable n'a pas aimé la façon dont elle s'habillait. Il a tout simplement annulé sa réservation."
Certains assimilent les musulmans aux terroristes, c'est comme dire que le Ku Klux Klan représente les chrétiens aux Etats-Unis.
"Je suis engagé politiquement depuis les années 1970 et je n'ai jamais vraiment vu un phénomène comme ça, raconte Marty Rosenbluth. Donald Trump a ouvert la boîte de Pandore. Il a donné la permission aux gens de tenir un discours de haine. Où cette énergie va-t-elle aller ? Même s'il perd, il a créé une atmosphère très dangereuse pour le pays."
"Ses partisans se sentent laissés pour compte"
Mary Hart évoque elle aussi un discours qui rappelle "l'Europe avant la deuxième guerre mondiale". Enseignante en arts graphiques dans une université, elle a choisi de braver le froid de début janvier (-12°C selon elle) pour protester elle aussi contre Donald Trump, venu tenir meeting dans sa petite ville de Lowell, dans le Massachusetts. "J'ai manifesté contre la guerre en Irak, explique-t-elle au téléphone à francetv info. Mais c'est la première fois que je le fais contre un candidat. La première fois que je tiens une pancarte pour dire : 'Ce type est un abruti'."
Pas question pour elle de mettre un pied dans le bâtiment qui abritait l'événement. "J'ai 64 ans, ma pression artérielle aurait explosé, ironise-t-elle. Ses partisans, ce sont les gens qui auraient le plus à perdre s'il était élu. Ce sont des gens de la classe ouvrière, des gens qu'il maltraiterait comme il maltraite tous ceux qui travaillent pour lui. Je les comprends, c'est un peu comme ces gens qui soutiennent Le Pen chez vous en France, ils ont l'impression que le pays a changé, qu'ils sont laissés pour compte. Mais voir ces gens encourager Donald Trump, ça me rend malade."
"Les zombies de la haine"
Maintenue à l'écart du bâtiment, Mary Hart a pu protester comme elle le souhaitait. Ce n'est pas le cas de Rose Hamid et Marty Rosenbluth, évacués de la salle par la sécurité, après leur coup d'éclat. C'est là qu'ils ont fait face à la foule. "Mon fils les appelle 'les zombies de la haine', explique Rose Hamid. A ce moment-là, ce n'étaient plus des individus, ils étaient dans une sorte de frénésie. Un vieux monsieur est venu me voir en me huant et en hurlant : 'Vous avez une bombe ?' Je voulais qu'il me regarde dans les yeux. Je lui ai répondu : 'Non, je n'en ai pas, vous en avez une, vous ?' Il a continué à crier."
"C'est vraiment effrayant de regarder les visages de la foule, assure Marty Rosenbluth. Début décembre, j'ai assisté à tout un meeting de Trump. Plus il parlait, plus la colère, la haine, la peur apparaissaient sur le visage de ses supporters. A l'extérieur, pendant qu'on attendait pour entrer, j'ai discuté avec un couple très gentil. Ils étaient assis deux-trois rangs devant moi. A la fin, leurs visages étaient rouges de colère, ils avaient complètement changé."
"Jetez-les dehors !"
L'avocat ne compte pas s'arrêter là, si Donald Trump revient dans la région. Le milliardaire commence, lui, à perdre patience. En déplacement à Iowa City, mardi 26 janvier, il a dû stopper son discours pas moins d'une demi-douzaine de fois, perturbé par des sifflets dans la salle, raconte la chaîne locale KCRG (en anglais). "Oh non, pas encore… a-t-il fini par souffler. Jetez-les dehors ! Est-ce que j'ai le droit de leur arracher leurs sifflets de la bouche ?" Le même soir, il a évité deux tomates, lancées par un spectacteur. Quelques jours plus tard, il a finalement encouragé ses partisans à s'en prendre physiquement aux trouble-fête en cas de jet de légumes. Avec une promesse : "Je paierai les frais d'avocat."
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