Présidentielle américaine 2024 : trois questions sur l'inéligibilité prononcée contre Donald Trump dans l'Etat du Colorado

La cour suprême de cet Etat américain pointe la responsabilité de l'ancien chef d'Etat dans l'assaut du Capitole, en janvier 2021, et estime qu'en vertu d'un passage de la Constitution des Etats-Unis, il "n'est pas habilité à occuper le poste de président".
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
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Le candidat aux primaires républicaines pour l'élection présidentielle de 2024, Donald Trump, lors d'un événément à Waterloo, dans l'Etat de l'Iowa (Etats-Unis), le 19 décembre 2023. (SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Une décision inédite, dans une campagne présidentielle déjà marquée par de nombreuses affaires judiciaires. La cour suprême du Colorado a déclaré, mardi 19 décembre dans un arrêt (en PDF), que Donald Trump, grand favori pour les primaires républicaines, n'était plus éligible à la présidence des Etats-Unis dans cet Etat. En cause : le rôle de l'ex-président américain dans l'assaut lancé contre le Capitole par ses partisans, le 6 janvier 2021 à Washington, à l'heure de la certification des résultats de l'élection présidentielle de 2020, qu'il avait perdue face au démocrate Joe Biden. 

"Il s'agit d'une décision majeure et extraordinaire de la part d'une cour suprême d'Etat, estime le professeur de droit et de science politique Derek Muller, cité par le New York Times. Jamais dans l'histoire, un candidat à la présidentielle n'avait été exclu du scrutin en vertu de la section 3 du 14e amendement" de la Constitution américaine. Franceinfo répond à trois questions que soulève cette décision de justice, à moins d'un mois du coup d'envoi du processus de désignation du candidat républicain pour la présidentielle 2024.

1 Pour quelles raisons Trump est-il déclaré inéligible dans le Colorado ?

Cette action en justice a débuté en septembre, rappelle le New York Times. Six électeurs, deux indépendants et quatre républicains ont lancé cette procédure contre Donald Trump (en PDF) en collaboration avec l'association Citizens for Responsibility and Ethics in Washington (Crew). Pour les plaignants, l'ancien dirigeant et actuel candidat "est disqualifié en vertu de la section n°3 du 14e amendement" de la Constitution. Celui-ci dispose qu'une personne ayant "participé à une insurrection ou une rébellion" contre la loi suprême américaine, après avoir prêté serment pour la "soutenir", ne peut être de nouveau éligible. Les personnes à l'initiative de cette action relèvent que Donald Trump a prêté serment lors de son investiture, le 20 janvier 2017, et que l'assaut du Capitole a bien constitué "une insurrection contre la Constitution américaine".

En première instance, le 17 novembre (en PDF), la juge Sarah Wallace a déclaré que le candidat, refusant sa défaite à l'élection de novembre 2020, avait "agi avec l'intention spécifique d'inciter à la violence politique et de la diriger vers le Capitole dans le but d'empêcher la certification de l'élection" de Joe Biden. Néanmoins, la section 3 du 14e amendement ne s'applique pas, selon elle, au cas d'un ancien président. Pour la magistrate, la mention de "fonctionnaire des Etats-Unis" dans cet amendement "n'inclut pas le président des Etats-Unis". "L'absence du président de la liste des postes pour lesquels l'amendement s'applique", et le fait que le serment présidentiel est de "préserver, protéger et défendre" la Constitutionet non de la "soutenir" comme le dit l'amendement, l'amènent à la conclusion suivante : les auteurs de ce passage ne visaient pas une personne ayant prêté serment en tant que président. 

Mardi, la cour suprême du Colorado en a donc décidé autrement. Par une majorité de quatre voix contre trois, la plus haute cour de cet Etat américain conclut que Donald Trump "n'est pas habilité à occuper le poste de président". Et ajoute : "Etant donné qu'il est disqualifié, ce serait un acte illicite au regard du Code électoral que le secrétaire d'Etat du Colorado l'inscrive comme candidat au scrutin primaire présidentiel".

2 Quelles sont les réactions après cette décision ? 

"Nous avons gagné !", s'est félicité sur le réseau social X l'association Crew. Dans un communiqué, son président, Noah Bookbinder, a salué un arrêt "non seulement historique et justifié, mais nécessaire pour protéger l'avenir de la démocratie dans notre pays". Le camp Trump, au contraire, a dénoncé un arrêt "profondément antidémocratique". "Nous allons rapidement saisir la Cour suprême des Etats-Unis et réclamer une suspension de cette décision", a annoncé le porte-parole de la campagne du candidat, Steven Cheung. "Nous sommes pleinement convaincus que la Cour suprême des Etats-Unis se prononcera rapidement en notre faveur." 

Dans leur décision, les juges de la cour suprême du Colorado, bien que se disant "conscients d'avancer en terre inconnue", ont prévu un tel scénario. Ils ont enjoint aux autorités électorales de l'Etat de retirer le nom de Donald Trump des bulletins pour les primaires républicaines. Mais ils ont suspendu cette injonction jusqu'au 4 janvier, dernier jour avant la certification des bulletins de vote pour les primaires, en cas de recours d'ici là devant la Cour suprême fédérale. Dans le cas d'un recours devant la plus haute instance judiciaire du pays, la suspension "restera en vigueur et la responsable des élections devra encore inclure le nom du président Trump sur le bulletin des primaires pour 2024, jusqu'à ce qu'elle reçoive une quelconque injonction ou mandat de la Cour suprême"

Quelle sera la réponse apportée par la Cour suprême, à majorité conservatrice ? Pour le spécialiste de la politique et de l'histoire américaines Lauric Henneton, ses membres "peuvent difficilement ne pas se prononcer, dans un sens ou dans l'autre, rapidement". "Ils peuvent aussi dire que cela n'est pas de leur ressort, ou revenir à l'arrêt en première instance", estime-t-il. Mais il est toutefois "probable" que la Cour suprême, compte tenu de son positionnement plutôt conservateur, "trouve une manière de protéger Donald Trump de l'application de l'alinéa 3 du 14e amendement". 

3 Peut-il y avoir des arrêts similaires dans d'autres Etats ? 

Des actions en justice ont été lancées dans plusieurs autres Etats concernant l'éligibilité de Donald Trump pour la prochaine présidentielle. Comme le rapporte le New York Timesla cour suprême du Minnesota a déjà rejeté une action similaire à celle qui a abouti dans le Colorado. Dans un arrêt rendu en novembre, elle a disposé que les tribunaux ou les responsables électoraux ne pouvaient empêcher le Parti républicain de présenter Donald Trump comme candidat pour les primaires. Un juge de l'Etat du New Hampshire a également rejeté une demande similaire, tout comme un magistrat du Michigan. Dans cet Etat, les plaignants ont fait appel.

De l'avis de Lauric Henneton, l'arrêt de la Cour suprême du Colorado "peut très bien être une exception, quelque chose qui reste de l'ordre de l'événement unique" et qui ne sera pas forcément suivi par d'autres Etats. Il relève également que "si la Cour suprême fédérale se prononce avant", cela pèsera davantage que des décisions prononcées localement.

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