Présidentielle américaine : j'ai suivi la campagne sur les médias 100% pro-Trump (et ça fait peur)
Tout au long de sa campagne, le milliardaire n'a de cesse de critiquer les médias traditionnels, accusés de couvrir de façon biaisé sa course à la Maison Blanche. A l'inverse, plusieurs sites et émissions sont très bienveillantes avec le républicain. Notre journaliste a tenté l'expérience de suivre la campagne à travers les médias pro-Trump.
J'ai suivi les conseils de Donald Trump. D'après le candidat à la Maison Blanche, les meilleures alliés de sa rivale Hillary Clinton ne sont ni ses supporters, ni ses conseillers, ni ses proches : ce sont "les médias traditionnels", affirme-t-il lors du premier débat présidentiel, lundi 26 septembre. Le milliardaire a même lancé une étude auprès de ses soutiens sur la "responsabilité" de la presse grand public, accusée d'être biaisée en faveur de l'ancienne secrétaire d'Etat.
"Nous ne nous battons pas seulement [contre elle], écrit-il dans un email, lundi 15 août. Nous sommes en campagne contre les médias biaisés et très malhonnêtes. Il est temps de tenir pour responsables les médias qui essayent de truquer l'élection contre nous. Trop souvent, je suis interrogé à propos d'un 'sondage' réalisé par une organisation libérale qui dit que les Américains sont en désaccord avec nos réformes de bon sens. La prochaine fois, j'aurai mon propre sondage qui montrera que les Américains sont en désaccord avec les médias malhonnêtes."
Qu'à cela ne tienne : j'ai fermé le New York Times, reposé mon exemplaire du Washington Post et coupé CNN. De toute façon, la plupart des Républicains les plus conservateurs les ont déjà abandonnés. Ils ne sont que 13% à avoir une grande confiance envers les médias nationaux, à en croire une étude (en anglais) publiée par le Pew Research Center en juillet. Pour me mettre dans la peau d'un fana de Donald Trump, j'ai zappé sur les sites consultés par ses plus fervents soutiens.
Corrompue, à l'agonie, condescendante : le visage d'Hillary selon Breitbart
C'est dans cette galaxie que le milliardaire est allé piocher son nouveau responsable de campagne. Avant de se ranger aux côtés du candidat républicain, Stephen Bannon était surtout le patron de Breitbart (en anglais), un site ultra-conservateur. Dès la page d'accueil, le ton est donné : en ce vendredi 7 octobre, le style de Hillary Clinton, son "dédain", est épinglé. Sa santé est scrutée, jugée chancelante, déjà bien avant son malaise survenu le 11 septembre dernier. Son mari, Bill, est villipendé pour les "scandales sexuels" de son passé. Et surtout, la candidate démocrate est accusée de corruption.
Pour en savoir plus, il faut cliquer sur la colonne de droite, là où Breitbart me propose de regarder gratuitement un documentaire, Clinton Cash. L'affiche est claire : "Avec eux, tout est à vendre." Pendant une heure et cinq minutes, le film s'intéresse aux finances du couple. A grand renfort de musique angoissante, la thèse est la suivante : lorsqu'elle était secrétaire d'Etat, Hillary Clinton a fait des faveurs à des puissances étrangères en échange d'argent versé à la fondation Clinton.
Le mélange des genres est difficilement contestable : de nombreux donateurs ont eu des rendez-vous avec l'ancienne sénatrice, selon l'agence Associated Press (en anglais). Mais la famille Clinton n'en a tiré aucun bénéfice financier, explique Politifact (en anglais). Qu'importe, sur Breitbart, le jugement est sans appel. La conclusion ? "Corruption" et "crime". "Avec les Clinton, plus rien n'est sacré, (...) nous sommes ceux qui payont le prix, assure le documentaire. Peut-être les Américains en ont-ils assez d'être vendus."
Sur Fox News, on prépare Trump au débat
Après cette séance, je me branche sur Fox News pour suivre l'émission de Sean Hannity, un proche de Donald Trump. En plus de ses activités médiatiques, l'animateur a trouvé le temps ces derniers mois de conseiller le candidat, explique le New York Times (en anglais). Et il ne se prive pas pour le faire à l'antenne de la chaîne d'information. Jeudi, j'ai droit à une sorte de simulation du deuxième débat présidentiel. Que les téléspectateurs comme moi ne se fassent pas d'illusions, les modérateurs de l'événement seront bien évidemment biaisés. Contre Donald Trump, cela va s'en dire.
"Les modérateurs ne sont pas vraiment des modérateurs, explique Laura Ingraham, une autre figure conservatrice, comme si elle s'adressait à Donald Trump lui-même. Ils sont là pour faire en sorte que vous perdiez l'élection. Ils ne vont probablement pas être justes." "Les deux modérateurs doivent se disputer pour savoir qui se fera Donald Trump cette fois-ci, qui sera la cinquième roue du carrosse qui l'attaquera", abonde Sean Hannity. Heureusement, ici, pas de mauvais traitement. Le milliardaire et son équipe sont comme en famille. A commencer par son colistier, Mike Pence, encensé pour sa performance lors du débat des vice-présidents : "Super boulot !"
La "guerre", la "résistance" et la "matrice"
Avec cette belle performance, me voilà rassuré sur les chances de Trump. Mon optimisme ne dure pas longtemps, une fois branché sur InfoWars (en anglais). "Nous [les Américains] sommes historiquement, culturellement, spirituellement, économiquement et militairement à deux secondes de minuit sur l'horloge de l'apocalypse", m'assène, d'entrée, le présentateur Alex Jones. Je frémis. Le parti pris du site n'est guère plus réjouissant. "Une guerre est en cours dans mon esprit", assure l'émission, qui m'appelle à la "résistance". Résistance contre le système, bien entendu, contre les médias dominants. "Il est temps de se réveiller et de sortir de la matrice."
Heureusement, Alex Jones et son site sont là pour m'ouvrir les yeux sur Hillary Clinton. C'est lui qui édite les tee-shirts "Hillary en prison", très populaires dans les rues de Cleveland lors de la convention républicaine en juillet. Mais l'ancienne secrétaire d'Etat n'est pas son seul centre d'intérêt. C'est lui aussi, qui remet en cause la thèse officielle du 11-Septembre. C'est lui qui affirme que la fusillade de l'école élémentaire de Sandy Hook, en décembre 2012, n'est qu'un mensonge, que des "acteurs" ont été engagés pour simuler l'événement.
Le site est généreux avec ses lecteurs. InfoWars offre 1 000 dollars à quiconque arrive à passer à la télévision avec l'un de ses tee-shirts "Bill Clinton Rape", "Bill Clinton viol". La récompense monte même à 5 000 dollars si le trublion parvient à hurler "Bill Clinton is a rapist", "Bill Clinton est un violeur". Pas étonnant que Donald Trump trouve "incroyable" la réputation d'Alex Jones. "Je ne vous laisserai pas tomber", promet le milliardaire, qui est même apparu dans son émission en décembre dernier. A moins qu'il ne veuille lui faire de l'ombre ? D'après Vanity Fair (en anglais), en cas d'échec, Donald Trump songerait à construire son propre empire médiatique. J'attends de voir.
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