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Présidentielle américaine : on vous explique comment Donald Trump a tenté de faire modifier le résultat en Géorgie en un coup de fil

"Tout ce que je veux, c'est trouver 11 780 votes", a demandé le président sortant au secrétaire d'Etat de Géorgie, Brad Raffensperger, dans un enregistrement dévoilé lundi par le "Washington Post".

Article rédigé par franceinfo avec AFP et Reuters
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Donald Trump, le 23 octobre 2020, à Washington DC. (ALEX EDELMAN / AFP)

Un coup de fil aux allures de coup de tonnerre aux Etats-Unis. A deux jours d'une élection cruciale pour le contrôle du Sénat et à trois d'une session du Congrès destinée à graver dans le marbre la victoire de Joe Biden à la présidentielle, le Washington Post (en anglais) a dévoilé, dimanche 3 janvier, un enregistrement de Donald Trump appelant Brad Raffensperger, le secrétaire d'Etat républicain de Géorgie, chargé des élections, pour tenter de le rallier à sa cause. Franceinfo vous détaille ces révélations explosives.

C'est quoi cet enregistrement dont tout le monde parle ?

Dimanche 3 janvier, le Washington Post a révélé une conversation téléphonique (lien en anglais) de plus d'une heure entre le président sortant des Etats-Unis, Donald Trump, et le secrétaire d'Etat de Géorgie, Brad Raffensperger. D'autres personnes participaient à cet appel datant de la veille : le chef de cabinet de la Maison Blanche, Mark Meadows, et plusieurs avocats. L'objectif de Donald Trump est clair : faire pression sur le principal responsable des opérations électorales de Géorgie pour tenter d'obtenir qu'il modifie, en sa faveur, le résultat du scrutin présidentiel du 3 novembre dans l'Etat.

Durant cette conversation, le président sortant affirme à de nombreuses reprises, sans en apporter la preuve, que les résultats du scrutin dans l'Etat ont été truqués. Mais même s'il avait remporté les 16 grands électeurs de Géorgie, Donald Trump aurait perdu à l'échelle nationale.

Que demande exactement Donald Trump au cours de cet appel ?

Une phrase de Donald Trump a retenu l'attention : "Tout ce que je veux, c'est trouver 11 780 votes", a lancé le président sortant au responsable des élections de Géorgie. Cela correspond à peu près au nombre de voix qui sépare le milliardaire de son rival démocrate, selon les résultats officiels. Une demande tout à fait légitime, selon Donald Trump, "parce que nous avons gagné l'Etat", réaffirme-t-il, sans fondement.

Au mépris des différents recomptages déjà effectués, et qui ont tous confirmé la victoire de Joe Biden, Donald Trump propose au secrétaire d'Etat de modifier le résultat du scrutin. "Le peuple de Géorgie est en colère, le peuple de tout le pays est en colère… Et il n'y a rien de mal à dire, vous savez, euh, que vous avez recalculé", demande ainsi le président sortant.

Durant toute cette conversation, Donald Trump martèle ainsi qu'il a, selon lui, bien remporté l'Etat de Géorgie. "Il n'est tout simplement pas possible que j'aie perdu la Géorgie. Ce n'est pas possible… Mais ils ont rajouté beaucoup de votes, tard dans la nuit. Vous le savez bien, Brad", affirme-t-il.

Que répond le secrétaire d'Etat de Géorgie ?

Face aux affirmations mensongères et aux demandes insistantes de Donald Trump, Brad Raffensperger semble rester calme et ne dévie pas de sa position. "Monsieur le président, le problème est que les données que vous avez sont fausses", répond le républicain.

Le secrétaire d'Etat de Géorgie marque même clairement son opposition à celui qu'il a pourtant soutenu durant la campagne présidentielle : "Nous ne sommes pas d'accord sur le fait que vous ayez gagné. Il y a eu plusieurs recours en justice… Nous avons procédé à un recomptage manuel de tous les bulletins de vote et avons comparé le résultat à ceux des comptages par les machines et nous avons obtenu pratiquement le même résultat… Je ne pense pas qu'il y ait un problème à ce sujet", explique-t-il. "Nous pensons que nous avons eu une élection régulière", conclut Brad Raffensperger.

Suivent des réactions outrées du président sortant. "Vos chiffres ne sont pas justes ! Ils sont complètement faux, Brad !" lance-t-il avant de réitérer ses propos sur de soi-disant fraudes lors de l'élection. Donald Trump affirme ainsi qu'un assesseur d'Atlanta aurait scanné trois fois les bulletins en faveur de Joe Biden ou encore que 5 000 morts auraient voté… "Monsieur le président, ça n'a pas été le cas", contredit Brad Raffensperger.

Les résultats de l'élection présidentielle en Géorgie ont-ils été vérifiés ?

Contrairement à ce que laisse entendre Donald Trump dans cet appel, les résultats de l'élection du 3 novembre en Géorgie ne présentent pas de fraudes. Et pour cause : ils ont été vérifiés deux fois après le décompte réalisé à l'issue du vote, avec un résultat très similaire à chaque fois et toujours une victoire de Joe Biden d'environ 12 000 voix.

Un premier "audit manuel" avait ainsi été effectué, suivi d'un "second recomptage via les machines à voter", rappelle Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire et spécialiste des Etats-Unis, sur Twitter. Ainsi, les résultats en faveur de Joe Biden ont déjà été certifiés puis recertifiés (lien en anglais) par Brad Raffensperger et les grands électeurs de l'Etat.

De plus, toutes les plaintes déposées par le camp républicain pour contester ce vote ont été rejetées par la justice.

Quelles sont les réactions des démocrates et des républicains ?

Les révélations du Washington Post ont fait l'effet d'une bombe aux Etats-Unis. Logiquement, le camp démocrate a dénoncé des pressions "potentiellement répréhensibles". "Le mépris de Trump pour la démocratie est mis à nu", a ajouté le président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, Adam Schiff. Sa consœur Debbie Wasserman Schultz a dénoncé l'acte d'un "président désespéré et corrompu". Enfin, la future vice-présidente Kamala Harris, qui faisait justement campagne en Géorgie, a fustigé un "abus de pouvoir éhonté".

Mais le trouble était également palpable chez certains républicains. "C'est accablant", a tweeté le représentant de l'Illinois Adam Kinzinger, en appelant les membres de son parti à ne pas suivre le président sortant dans sa croisade. "Vous ne pouvez pas faire ça en ayant la conscience tranquille", leur a-t-il lancé.

Restent les indéfectibles soutiens de Donald Trump. A la Chambre comme au Sénat, quelques élus ont promis d'exprimer leurs objections mercredi, lors d'une session du Congrès destinée à enregistrer formellement le vote des grands électeurs en faveur de Joe Biden (306 contre 232). Au même moment, les partisans du milliardaire doivent se rassembler à proximité de la Maison Blanche pour une démonstration de force.

Quel impact peuvent avoir ces révélations sur les sénatoriales en Géorgie, mardi ?

Le contexte politique en Géorgie est tout particulier. Cet Etat, que Donald Trump avait remporté de justesse en 2016 puis perdu en 2020, est aussi au cœur de la bataille pour le contrôle du Sénat. En effet, des élections sénatoriales partielles s'y déroulent ce mardi. Pour que la chambre haute revienne dans le giron démocrate, les candidats du parti devront remporter les deux sièges, un pari difficile. Donald Trump et Joe Biden s'y rendront d'ailleurs tous les deux lundi afin de soutenir les prétendants de leur camp.

"L'avenir du pays se joue ici, en Géorgie, sur nos bulletins de vote", a déclaré sur Fox News la sénatrice républicaine Kelly Loeffler, qui espère conserver son siège face au pasteur noir Raphael Warnock. "Nous sommes sur le point de décrocher une victoire historique après quatre ans d'incompétence grossière, de racisme, de haine et de préjugés", a rétorqué sur CNN le démocrate Jon Ossoff qui, à 33 ans, espère ravir le siège du républicain David Perdue, 71 ans.

Sur le papier, les deux républicains font figure de favoris : David Perdue est arrivé en tête au premier tour, Kelly Loeffler devrait bénéficier du report des voix d'un autre conservateur. Mais les démocrates misent sur la dynamique créée par la victoire de Joe Biden pour provoquer la surprise. La guérilla de Donald Trump pourrait aussi les servir : convaincus de l'existence de fraudes, les électeurs républicains pourraient être tentés de rester chez eux.

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