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Vous allez enfin comprendre Obamacare, la loi que Donald Trump lui-même ne comprend pas

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Des manifestants protestent contre l'abrogation de la loi dite Obamacare, à Denver, dans le Colorado, le 17 janvier 2017. (CHRIS SCHNEIDER / AFP)

Donald Trump veut supprimer et remplacer cette loi emblématique de l'ère Obama. Mais avec le système de santé particulièrement complexe en vigueur aux Etats-Unis, cette promesse de campagne sera difficile à tenir. 

Sans surprise, Donald Trump va demander au Congrès de promulguer une loi pour "remplacer" Obamacare, la loi sur la santé emblématique du mandat de Barack Obama. "Ce soir, j'appelle ce Congrès à abroger et à remplacer Obamacare avec des réformes qui étendront le choix, donneront un meilleur accès (aux soins) et réduiront les coûts", a déclaré le président américain lors de son premier discours sur l'état de l'union, dans la nuit du mardi 28 février au mercredi 1er mars.

Une déclaration logique pour ce president qui avait, dès son installation dans le Bureau ovale, vendredi 20 janvier, signé un décret marquant la toute première étape du démantèlement d'Obamacare. 

Le président est parti en guerre contre cette mesure, qui a permis à quelques millions d'Américains d'accéder à une couverture santé. Retour sur une réforme ambitieuse et imparfaite, profondément détestée par les républicains, y compris ceux qui en bénéficient.

D'abord, c'est quoi au juste Obamacare ? 

Obamacare est le surnom donné à l'"Affordable Care Act", promulgué le 30 mars 2010 par Barack Obama et appliqué depuis le 1er janvier 2014. Ce texte, qui peut se traduire par "loi sur les soins abordables", constitue un élément phare de la réforme du système de santé américain mis en œuvre par l'ancien président. L'ambition de la loi est de permettre au plus grand nombre de bénéficier d'une couverture santé. Concrètement, elle oblige tous les citoyens à souscrire une assurance santé auprès d'un assureur privé répertorié sur le site Healthcare.gov. Pour reprendre l'expression d'un journaliste canadien, Obamacare, "c’est un marché d’assurances créé et épaulé par l’Etat." 

En contrepartie de cette obligation, l'Etat fournit des aides fiscales à ceux qui n'ont pas les moyens de se payer cette couverture. Cette loi a ainsi permis de couvrir une vingtaine de millions d'Américains qui vivaient sans assurance auparavant, faisant chuter la proportion de ces derniers de 16% à 8,9% de 2010 à 2016.

Or, aux Etats-Unis, les soins sont loin d'être "abordables" : par exemple, une consultation pour une simple angine ou une gastro-entérite chez un médecin généraliste coûte en principe 80 dollars, soit environ 75 euros (50 euros de plus qu'en France, où la consultation passera à 25 euros en mai 2017). Pour une consultation chez un spécialiste, la facture peut s'élever à plusieurs centaines de dollars. Enfin, les traitements de maladies longues et graves, nécessitant interventions chirurgicales ou séances de chimiothérapie, peuvent dépasser le million de dollars, selon ces patients interrogés par franceinfo. Dans ces conditions, le moindre pépin ou accident peut mener à la ruine (voire à la mort).

L'Etat aide financièrement les gens pour qu'ils s'assurent dans le privé : c'est bizarre, non ? 

Le système de santé aux Etats-Unis n'a rien à voir avec celui que nous connaissons en France. Outre-Atlantique, il n'existe pas de couverture universelle et seul un quart des Américains bénéficient d'un service équivalent à notre Sécurité sociale. Depuis une loi de 1965, les citoyens les plus pauvres bénéficient de Medicaid. La limite de revenus au-dessus de laquelle un malade ne peut en bénéficier, ainsi que les taux de remboursement, varient d'un Etat à l'autre. L'autre assurance publique américaine, elle aussi créée en 1965, s'appelle Medicare et concerne uniquement les plus de 65 ans. 

Les moins de 65 ans et ceux qui ne vivent pas sous le seuil de pauvreté, soit les trois quarts des Américains, doivent souscrire une assurance auprès d'organismes privés. Dans la majorité des cas, cette couverture est financée par l'employeur. Toutefois, plusieurs millions d'Américains (comme les indépendants ou les salariés sans assurance) doivent la payer eux-mêmes. Les tarifs sont d'ailleurs très variables d'une personne à une autre et d'un assureur à un autre. Jusqu'à 2014, les assureurs pouvaient même refuser d'assurer une personne avec des antécédents médicaux ou une maladie chronique (appelés "pre-existing condition"). Mais Obamacare a interdit cette discrimination.

Par ailleurs, les entreprises de plus de 50 salariés qui ne financent pas l'assurance de leurs employés doivent désormais payer des pénalités. Enfin, avec Obamacare, les enfants peuvent rester couverts par l'assurance de leurs parents jusqu'à l'âge de 26 ans, ce qui n'était pas le cas avant. 

Donc, on bénéficie soit de Medicaid, soit de Medicare ou d'Obamacare, c'est ça ?

Non, non ! En fait, les trois dispositifs se superposent et se complètent. Par exemple, Obamacare a rendu gratuits un certain nombre de tests de dépistage, autrefois payants, même pour les bénéficiaires d'une couverture publique. Ainsi, les séniors (bénéficaires de Medicare) devaient quand même verser 275 dollars (255 euros) de leur poche pour subir une coloscopie de dépistage du cancer colorectal. Avec Obamacare, cet examen est gratuit pour tous les bénéficiaires de Medicare et des milliers de vies ont ainsi été sauvées, selon une étude de l'université de Virginie, citée par NBC.

Enfin, Obamacare a instauré une politique d'expansion de Medicaid, encourageant les Etats américains à élargir les critères d'éligibilité à cette assurance publique. Cependant, 19 Etats (sur 51) refusent d'appliquer cette partie de la loi, selon la fondation Kaiser Family. Pourquoi ? Parce que le programme est financé en partie par l’Etat fédéral et en partie par les Etats. Or, plus un Etat compte de bénéficaires, plus la part des dépenses de santé est importante dans son budget. 

Et les républicains trouvent qu'Obamacare coûte trop cher, c'est ça ? 

Les républicains mènent une guerre sans relâche contre Obamacare depuis sa promulgation. Si le texte n'a que 6 ans, il a déjà fait l'objet de 60 votes au Congrès. A chaque fois, les républicains tentaient d'empêcher son application. La Cour Suprême a même été saisie quatre fois ! Non seulement ils jugent la réforme trop coûteuse, mais ils dénoncent également la logique de redistribution selon laquelle les cotisations des personnes en bonne santé doivent compenser les coûts des plus malades. Pour eux, qui dit obligation de souscrire une assurance dit restrictions des libertés individuelles et ingérence de l'Etat. 

Mais, outre ces principes idéologiques, ils estiment qu'Obamacare dessert nombre d'Américains. Les assureurs – qui rappelons-le ne peuvent plus refuser de clients – estiment en effet que ce marché n'est plus assez rentable. Conséquence : soit ils refusent de jouer le jeu du gouvernement et se retirent des catalogues d'assurances privées compatibles avec Obamacare, soit ils augmentent leurs primes (en 2017, les Américains paieront en moyenne leur assurance 25% plus cher que l'année précédente), détaille The Washington Post. Par ailleurs, chacun de ces assureurs propose des services différents : il arrive qu'un assureur ne couvre pas les consultations dans tel ou tel hôpital, ou auprès de tel ou tel médecin. Les opposants à Obamacare s'indignent donc de payer de plus en plus cher, pour un service de plus en plus restreint. 

Alors, que va faire Donald Trump ?

Durant la campagne, Donald Trump a promis d'abroger Obamacare et de la remplacer ("repeal and replace"). Dès son entrée à la Maison Blanche, il a signé un décret qui, selon l'expression employée par son porte-parole, ordonne aux diverses agences fédérales de "soulager le poids" de cette loi en attendant son abrogation et son remplacement. Mais plus d'un mois après son investiture, lors de son discours devant le Congrès, il n'a toujours pas détaillé son plan. Car la loi en elle-même ne peut pas être effacée d'un coup de plume : le Congrès, à majorité républicaine, devra voter, selon un calendrier qui n'a pas encore été annoncé. La presse américaine, elle, table sur une abrogation complète d'ici deux ou trois ans. En attendant, les deux chambres peuvent agir sur Obamacare via des votes budgétaires, lesquels ne nécessitent qu'une majorité simple. 

Dans un premier temps, Trump souhaite détricoter Obamacare en utilisant une procédure accélérée "permettant de modifier tous les aspects de la réforme ayant un effet sur le budget", explique Courrier International. Il pourrait ainsi "éliminer les pénalités qui s’appliquent actuellement aux personnes qui ne s’assurent pas et aux employeurs qui ne fournissent pas de couverture à leurs salariés" et supprimer "les aides destinées à étendre le programme Medicaid (...)."

Enfin, le plan républicain devrait interdire aux patients de bénéficier d'Obamacare lorsqu'ils se rendent dans certaines cliniques, telles que le Planned Parenthood, équivalent américain du Planning familial. Une telle mesure reviendrait à priver des millions de femmes d'un accès gratuit à la contraception

Par quoi va-t-il remplacer Obamacare ? 

Donald Trump n'a cessé de marteler qu'aucun citoyen américain ne serait privé de son assurance, ce qui implique la préparation d'un plan susceptible de remplacer Obamacare. Dans un entretien accordé au Washington Post peu avant son investiture, il a assuré qu'il était en train d'apporter sa touche finale à sa réforme de la santé, promettant simplement "une assurance géniale, simplifiée dans la forme, moins chère et bien meilleure."

Si certains, y compris dans le camp républicain, craignent que le président n'ait pas saisi l'ampleur de la tâche qui l'attend, vantant un plan "imaginaire", rapporte Slate, ce dernier peut s'appuyer sur les alternatives préparées par les républicains. Ainsi, le président républicain de la Chambre des Représentants, Paul Ryan, s'est fait l'avocat d'un plan qui supprimerait l’obligation d’assurance ainsi que les conditions de revenus pour les aides, dont le montant baisserait. Selon ce plan, les patients "à risque" seraient regroupés dans des groupes d’assurance subventionnés par les Etats, afin de désengager l’Etat fédéral, détaille Le Monde. "En revanche, les républicains ne veulent pas toucher à la possibilité pour les enfants de rester sur l’assurance de leurs parents jusqu’à 26 ans", poursuit le quotidien. 

Enfin, ce nouveau plan devrait également prévoir une transition pour les Américains bénéficiaires d'Obamacare, afin qu'ils ne perdent pas leur couverture entre ces deux systèmes. Et pour cause, "une abrogation rapide sans le moindre remplacement créerait une situation, au moins provisoire (...), de grande incertitude pour les personnes concernées, ainsi que pour les républicains, en proie à une énorme pression politique", rapporte National Review. Car le GOP joue gros : en gardant, même pour un temps, une version d'Obamacare vidée de sa substance (par exemple, en supprimant les taxes qui la financent), le parti républicain prend le risque de voir les assureurs quitter le navire les uns après les autres, laissant les citoyens sans possibilité de s'assurer et donc de se soigner. Soit un retour à l'avant-Obamacare dont personne, pas même Donald Trump, ne veut. 

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