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Présidentielle américaine : Bill est-il un boulet pour Hillary Clinton ?

Cible privilégiée des attaques de Trump et fin politique au magnétisme quasi-solaire, Bill Clinton est une force et une faiblesse pour la campagne de la candidate démocrate.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
La candidate démocrate Hillary Clinton et son mari, l'ancien président Bill Clinton, lors d'un meeting dans l'état de New-York, le 26 septembre 2016.  (AFP)

La question n'était pas de savoir si Donald Trump allait utiliser les scandales sexuels qui ont émaillé la vie de Bill Clinton afin de nuire à son adversaire démocrate, Hillary Clinton, épouse de l'intéressé. La question était de savoir quand.

Dimanche 9 octobre, le milliardaire en a fait l'un des arguments choc du second débat présidentiel. En préambule, il a organisé une conférence de presse avec trois femmes qui accusent l'ancien président d'agressions sexuelles – seule l'une de ces accusations a donné lieu à des poursuites judiciaires qui se sont soldées par un arrangement entre les parties.

Mis en difficulté par la diffusion d'une ancienne vidéo dans laquelle il tient des propos dégradants envers les femmes, se vantant de les embrasser et de les toucher à sa guise, voire sans leur consentement, Donald Trump a contre-attaqué au beau milieu du second débat : "Si vous regardez Bill Clinton, [ce qu'il a fait] est bien pire (...) Moi, ce n'était que des mots, mais lui, il a agi", a-t-il accusé. 

Et la caméra de zoomer sur le visage impassible de l'ancienne sénatrice et secrétaire d'Etat. Pour cause : depuis qu'elle a décidé de mener sa propre carrière politique à la fin des années 1990, alors que Bill occupait encore le bureau ovale, Hillary Clinton a dû composer avec le lourd passé de son partenaire, ce 42e président des Etats-Unis à la fois apprécié et controversé.

Une présence sulfureuse

Souvent accusé de sexisme, Donald Trump a choisi de dévier l'attaque vers Bill Clinton. Objectif : décrédibiliser, par ricochet, la candidate démocrate – plutôt en tête chez les électrices – à travers son mari.

Une stratégie sexiste ? Pas du tout, estime le camp Trump. Pour se justifier, il martèle qu'Hillary Clinton a en réalité joué un "rôle-clé" dans ces affaires qui ont entaché la réputation du président américain dans les années 1990. "Le problème qui attend Hillary Clinton ne concerne pas l'attitude de son mari, mais le rôle qu'elle a joué dans la réponse qui a été faite aux accusatrices", résume The Washington Post, dans une enquête consacrée à la façon dont les Clinton ont fait face aux scandales sexuels.

Citant d'anciens assistants du couple, le quotidien indique que la First Lady de l'époque "a discrédité des témoignages qui se sont révélés vrais et a travaillé en coulisse à la gestion de ces accusations". Ainsi, selon une autre enquête du New York Times, elle était présente lorsque, en 1992, l'équipe de campagne de Bill Clinton, alors candidat à la présidentielle, a décidé d'engager un détective privé afin de chercher dans le passé d'une maîtresse présumée quelque élément embarrassant.

Aujourd'hui, les opposants d'Hillary Clinton utilisent ce soutien sans faille à son mari pour décrédibiliser les déclarations de la candidate sur le sujet sensible des violences contre les femmes. En novembre 2015, quand Hillary Clinton a tweeté que "toutes les victimes d'agressions sexuelles méritent d'être entendues, crues et supportées", le camp d'en face a immédiatement répliqué : "A l'exception de celles qui ont été victimes de votre mari ?" Lors d'un meeting donné le 8 octobre, c'est à l'ancien président de répondre de ces accusations. "Personne ne peut nier que...", commence-t-il, avant d'être interrompu par un manifestant : "... que vous êtes un violeur !" 

Une cible de choix pour le camp Trump

Et le camp Trump met les moyens pour communiquer autour des accusations portées contre Bill Clinton. Kathleen Willey, qui accuse l'ancien président de l'avoir agressé sexuellement alors qu'elle travaillait bénévolement à la Maison Blanche, a été nommée en février porte-parole d'un groupe anti-Clinton chargé de les relayer. L'acronyme de ce comité politique (appelé "super-PAC" aux Etats-Unis) ? Le "VIOL PAC".

Mais pour le blog du New York Times First Draft, attaquer Hillary via les comportements présumés comme avérés de Bill peut se révéler contre-productif. En décembre, il rappelait que la popularité de Hillary Clinton avait grimpé auprès des Américains après la révélation des infidélités de son mari, en pleine affaire Lewinsky. Début octobre, dans un sondage réalisé pour le compte du site Politico, 56 % des personnes interrogées indiquait qu'il serait déplacé de la part de Donald Trump de ressortir les scandales sexuels de Bill Clinton dans le cadre de la campagne, contre 32 % de personnes favorables à cette stratégie. 

Un choix tactique d'autant plus malvenu qu'il transpire davantage l'opportunisme que la volonté de dénoncer les violences faites aux femmes. En 1998, Donald Trump avait d'ailleurs été interrogé à l'antenne de Fox News sur les scandales sexuels de Bill Clinton. A l'époque, il qualifiait le président de "victime", rapporte The Daily Beast. Son calvaire ? Etre accusé par "des femmes si moches". Classe. 

Une aura positive mais envahissante

Hillary Clinton a officialisé sa candidature en avril 2015, mais n'a invité son mari à prendre publiquement part à sa campagne qu'en janvier 2016. Pour les observateurs de la vie politique américaine cités dans le livre de Lauren A. Wright On Behalf of the President: Presidential Spouses and White House Communications Strategy Today (Ed. Praeger, 2016), la démocrate avait tout intérêt à laisser son mari dans l'ombre, mieux employé à lever des fonds qu'à enchaîner les discours. 

"C'est difficile de briller quand vous vous tenez à côté du soleil", a résumé l'ancien stratège et conseiller de Barack Obama, David Axelrod, cité par The Washington Post en mai 2015. Car Bill Clinton est charismatique. Trop. La facilité avec laquelle il communique fait même l'objet de livres ou de tutoriels sur Youtube – "Il se peut que Bill Clinton établisse le meilleur contact visuel au monde", dit-on dans celui-ci –. Bref, de quoi faire de l'ombre à Hillary Clinton.

Puisqu'elle a concédé ne pas être "une politicienne 'naturelle', comme c'est le cas du président Obama ou de [son] mari", elle doit donc s'appuyer sur ce dernier. "Je vais sortir Bill de sa retraite, parce qu'il a plus d'idée à la minute que quiconque", a même annoncé la démocrate au mois de mai.

"Un génie politique sans égal, sauf lorsqu'il s'agit de son épouse"

Mais l'animal politique a vieilli. A 70 ans, il est un acteur de seconde zone dans cette campagne, selon des cadres démocrates cités par le site Politico. Si le soutien public de Barack et Michelle Obama est indispensable à la candidate, un meeting animé par Bill Clinton compte moins qu'une intervention du vice-président Joe Biden ou de de son colisitier Tim Kaine, estiment-ils.

Moins affûté, Bill Clinton enchaîne les bourdes : début octobre, en roue libre, il a critiqué la réforme de la santé d'Obama que défend Hillary Clinton. Plus tôt, au début de l'été, il avait déjà mis en péril la campagne en s'entretenant en privé avec la procureure Loretta Lynch, chargée d'enquêter sur l'affaire des e-mails envoyés par son épouse quand elle était secrétaire d'état.

Les deux s'étaient croisés par hasard sur le tarmac de l'aéroport de Little Rock (Arkansas). La discussion alimente pourtant les accusations de conflits d'intérêt brandits par les pro-Trump. Echange fortuit et anodin, ont tenté de justifier les intéressés face à des démocrates hallucinés par un tel manque de jugeote. 

Pour David Axelrod, "Bill Clinton est un génie politique sans égal, sauf lorsqu'il s'agit de son épouse. C'est comme si son jugement se troublait," a-t-il expliqué au Washington Post. Si doué pour se vendre lui-même, il peine à susciter l'enthousiame pour Hillary. En témoigne son long discours lors de l'investiture de la candidate, fin juillet, très en-dessous de celui qu'il avait donné en 2012 pour Obama. 

A travers la présence de son mari, Hillary Clinton veut toutefois "capitaliser sur la nostalgie des années 1990, sur l'attrait de cette décennie heureuse, quand l'Union soviétique s'est effondrée en paix et que les cours de la bourse ne cessaient de grimper", explique Politico. Elle peut "rappeler aux gens ce qu'ils aimaient chez Bill Clinton et sa façon de gouverner (...)".

Ce qui peut marcher, selon l'institut de sondage Gallup. Au mois d'août, Bill Clinton se maintenait encore 9 points au dessus de la candidate démocrate en terme de popularité, à 49 % d'opinions favorable.

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