: Reportage "Un niveau inédit de suspicion et de méfiance" : à deux semaines de la présidentielle américaine, chaque camp surveille l'autre en Géorgie
Chacun son allée. Dans le petit hall d'exposition de la North Georgia State Fair, fête foraine qui a lieu chaque année en banlieue d'Atlanta, les partis démocrate et républicain ont tous les deux monté leur stand, ce samedi 21 septembre. D'un côté de la cloison, les conservateurs font la queue pour être photographiés auprès d'une effigie taille réelle de Donald Trump. Dans l'allée voisine, les démocrates ont opté pour de sobres pancartes "la Géorgie pour Harris", et des bonbons. La stratégie est différente, mais l'objectif est le même : mobiliser un maximum d'électeurs avant la présidentielle.
Il faut dire qu'à l'approche du 5 novembre, la Géorgie est scrutée par tous les analystes politiques et toutes les équipes de campagne. Comme quatre ans plus tôt, cet Etat du Sud figure parmi les Swing States, cette poignée d'Etats clés où se jouera l'élection. Et le vote s'y annonce aussi serré – Donald Trump n'a qu'un point d'avance sur Kamala Harris en moyenne, selon les sondages publiés ces 14 derniers jours – que contesté. En 2020, un recours en justice du républicain avait mené à un recomptage des voix en Géorgie. La procédure avait confirmé la courte victoire de Joe Biden, mais sans faire taire les accusations de fraudes proférées, sans preuve, par le milliardaire.
"Il faut surveiller les républicains"
Quatre ans plus tard, la Géorgie ne s'est toujours pas remise de cette élection disputée. "On a volé la victoire à Donald Trump", affirme Paula, militante républicaine venue animer le stand de son parti ce samedi matin. Devant elle, une table est couverte de tee-shirts à la gloire de l'ex-président. Sur l'un des modèles, on retrouve la photo de Donald Trump le poing levé, quelques instants après avoir échappé à une tentative d'assassinat en plein meeting, en juillet en Pennsylvanie. Plus loin, une casquette promet que le milliardaire "va revenir" à la Maison Blanche.
Paula, Afro-Américaine de 59 ans, a voté démocrate presque toute sa vie. Mais en 2016, elle a eu "une révélation", constatant son profond désaccord avec la politique "socialiste" menée selon elle par la gauche. "J'ai grandi dans la pauvreté, mais je m'en suis sortie à force de travailler. Sous Donald Trump, j'ai prospéré." Pour cette entrepreneuse travaillant dans l'import-export, "il ne fait aucun doute" que des fraudes ont eu lieu en Géorgie en 2020.
"Je suis très inquiète de ce qui va se passer lors de cette élection. C'est pour ça que je m'engage avec le Parti républicain, en tant que bénévole."
Paula, militante républicaineà franceinfo
Lors de la dernière présidentielle, Paula était assesseure dans un bureau de vote du comté de Cobb, au nord d'Atlanta. Cette année, elle sera "observatrice". Aux Etats-Unis, chaque parti est autorisé à nommer des personnes chargées de surveiller le bon déroulement du scrutin, et à signaler aux responsables politiques toute irrégularité potentielle. Un rôle qui semble désormais "plus important" à Paula que celui d'assesseure. "Je serai bien plus efficace pour m'assurer qu'il ne se passe rien d'anormal, garantit-elle. Comme j'ai déjà travaillé dans un bureau de vote, je saurai à quoi faire attention !"
Dans le camp démocrate aussi, certains préfèrent observer plutôt que dépouiller. "Il faut surveiller les républicains, car les trumpistes vont tenter de perturber le vote, de créer du chaos", accuse Debbie Wnukowski, responsable du Parti démocrate dans un des districts du comté de Cobb. Venue assister à la réunion mensuelle de sa section à Smyrna, la retraitée de 69 ans arbore un tee-shirt "Harris et Walz" d'un bleu éclatant, à la gloire de la candidate et de son colistier.
"Ils n'ont pas du tout respecté la loi"
Au moment d'évoquer le scrutin, son visage se rembrunit. En 2020, Debbie Wnukowski était travailleuse électorale, chargée du dépouillement des votes par correspondance dans le comté de Cobb. "Des observateurs [républicains] sont venus un jour, une vingtaine d'entre eux, alors qu'ils n'étaient pas assignés à notre bureau. Il a fallu qu'on appelle la police", raconte la militante.
Les règles imposées aux observateurs, quel que soit leur parti, sont pourtant strictes : ils sont affectés à un bureau de vote spécifique et ont interdiction de parler aux assesseurs ou aux électeurs, et ne peuvent se placer derrière les machines à voter. "Ils n'ont pas du tout respecté la loi, et se sont montrés menaçants alors qu'on essayait juste de faire notre travail, dénonce Debbie Wnukowski. C'était très intimidant." A l'approche de l'élection, le rôle d'observatrice lui semble donc, comme à Paula, plus crucial.
"Les républicains ont des sessions de formations pour les observateurs presque tous les jours. Nous aussi, nous devons être présents le jour du vote."
Debbie Wnukowski, responsable démocrate dans le comté de Cobbà franceinfo
La tension qui entoure ce scrutin emplit l'air glacé, climatisation oblige, de la petite salle de conférences du centre des arts de Smyrna. Face à une assistance attentive, Essence Johnson, présidente de la section locale du Parti démocrate, rappelle les règles du vote. Suivent plusieurs interventions pour rassurer les militants sur les mesures empêchant toute fraude et garantissant la sécurité le jour de l'élection. "Des officiers seront là", insiste le shérif, invité à prendre la parole. "Nous ne sommes pas inquiets, mais vigilants, relativise Essence Johnson à l'issue de la réunion. On connaît les tactiques des républicains depuis 2020. Alors, on s'assure d'être prêts, et que nos électeurs le soient aussi."
"On pensait que notre système fonctionnait"
Dans les allées de la North Georgia State Fair, cette "vigilance" est aussi de mise. Terry, infirmière originaire de New York, s'est installée près d'Atlanta il y a dix-sept ans. "Jusqu'en 2020, on pensait que notre système fonctionnait : on n'était pas forcément contents des résultats du vote, mais on les acceptait", explique la quinquagénaire aux cheveux poivre et sel, venue animer le stand démocrate. Mais depuis la dernière présidentielle, "il y a un niveau inédit de suspicion et de méfiance" autour de chaque élection. "Mais seulement du côté d'un candidat", juge-t-elle, visant Donald Trump sans le nommer.
De l'autre côté de la cloison, un partisan de l'ex-président confirme avoir "des doutes". David est tombé dans la marmite du Parti républicain quand il était petit : dans la famille de ce Géorgien de 63 ans, tout le monde vote conservateur, de génération en génération. "Si [Kamala] Harris l'emporte, j'aurai de sérieux soupçons sur l'élection", explique l'ancien scout, chapeau de pêche enfoncé au-dessus de ses yeux bleu glacier.
Rien ne semble pouvoir le rasséréner sur l'intégrité du scrutin à venir, si ce n'est une victoire de Donald Trump. Pas même les nouvelles règles adoptées la veille par la commission électorale de Géorgie, qui imposent de recompter à la main tous les bulletins le soir du 5 novembre, dans un Etat où le vote se déroule sur des machines. La mesure, adoptée à moins de cinquante jours de la présidentielle par des élus républicains, est vue par les démocrates comme une tentative de ralentir la certification des résultats, rapporte CNN. "Peut-être que ça prendra plus de temps, mais si ça permet de sécuriser l'élection, alors ça en vaut la peine", avance David.
Au passage, le militant républicain nous glisse un conseil. "Préparez-vous : si [Kamala] Harris gagne, il y aura des émeutes d'une côte à l'autre des Etats-Unis", prédit le sexagénaire. Dans l'armurerie qu'il fréquente, "les armes et les balles se vendent comme des petits pains", assure-t-il. "Ici, les gens préfèrent être prudents et prêts si jamais cela chauffe."
Dans l'allée voisine, le risque de violences au lendemain de la présidentielle effraie sans démobiliser les démocrates. "Espérons que les autorités feront ce qu'il faut pour protéger les citoyens", lance Mitch, un retraité de 70 ans venu tenir le stand aux côtés de Terry. Peu importe les menaces ou les craintes d'interférences : le 5 novembre prochain, il sera directeur d'un bureau de vote, et scrutera de près les résultats en Géorgie.
À regarder
-
Kamala Harris reconnaît sa défaite
-
Election américaine : pourquoi un tel raz-de-marée républicain ?
-
Donald Trump encense Elon Musk après avoir déclaré sa victoire
-
Donald Trump revendique "une victoire politique jamais vue"
-
Comment les expatriés américains font pour voter ?
-
La mort de cet écureuil est récupérée par le camp de Donald Trump
-
Peut-on comparer démocrates et républicains à la gauche et la droite française ?
-
Donald Trump imite Emmanuel Macron
-
Présidentielle américaine : l'artiste Bad Bunny soutient Kamala Harris
-
Election américaine : qu'apporte Elon Musk à la campagne de Donald Trump ?
-
Election américaine : quand connaîtra-t-on le nom du prochain président élu ?
-
Maya Harris, plus proche conseillère de Kamala depuis plus de 50 ans
-
Quelle est la position des candidats à la présidentielle américaine sur le conflit au Proche-Orient
-
Aux Etats-Unis, "Superman" appelle les Américains à voter
-
Présidentielle américaine : des cookies Trump et Harris controversés
-
Election américaine : plus de 6 millions de dollars de paris sur le duel Harris-Trump
-
Les célébrités peuvent-elles influencer le scrutin américain ?
-
Pourquoi n'y a-t-il que deux grands partis aux Etats-Unis ?
-
Élection présidentielle aux États-Unis : le business des produits dérivés
-
Election américaine : "I have a Glock", quand Kamala Harris parle de son arme
-
Élection américaine : les démocrates contrôlent-ils la météo ?
-
Un bar à thème présidentiel aux États-Unis
-
La "Bible Trump" bientôt dans les écoles ?
-
Une interview de Melania Trump à 250 000 dollars ?
-
Une statue géante de Donald Trump aux États-Unis
-
Kamala Harris traite Donald Trump de poule mouillée
-
Des singes prédisent le résultat de l'élection américaine
-
Élection américaine : rencontre avec Raymond, électeur de Donald Trump
-
Visée par Donald Trump, la communauté haïtienne de Springfield est devenue la cible de l'extrême droite
-
Une possible tentative d'assassinat visant Donald Trump
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.