: Reportage Election américaine : dans le comté de Cobb, en Géorgie, "c'est maintenant l'heure des démocrates"
Ce comté de 800 000 habitants, situé à une demi-heure d'Atlanta, est à l'image de l'Etat de Géorgie. Après plusieurs décennies de domination républicaine, les bulletins de vote ont changé de camp.
La pauvre équipe de baseball a dû changer d'endroit fissa. On venait de sortir de table, dimanche 8 novembre, quand 150 militants démocrates se sont rués sur les pelouses du parc Taylor-Brawner, à Smyrna (Géorgie, Etats-Unis). Ambiance petits yeux mais grand sourire pour ce "meeting de la victoire", comme l'ont appelé les organisateurs. "Bienvenue chez les winners ! taquine Rich Pellegrino, masque de Donald Trump sur le visage, rayé au marqueur de la mention "purged" ("purgé"). Ça fait des années qu'on attend ça. C'était donc pour 2020 !"
Même s'il n'en a désormais plus besoin pour poser ses valises à la Maison Blanche, Joe Biden est en effet en passe d'accrocher aussi la Géorgie à son tableau de chasse électoral. Au moment d'écrire ces lignes, et alors que le dépouillement de la dernière élection présidentielle américaine n'était pas encore terminé, l'ancien vice-président de Barack Obama disposait d'un peu plus de 10 000 voix d'avance. Un Etat du Sud, anciennement ségrégationniste, qui pourrait filer dans les bras des démocrates pour la première fois depuis 1992 et un certain Bill Clinton, "c'est juste dingue", souffle-t-on parmi les pontes locaux du parti. Sans oublier qu'il peut encore espérer chiper en janvier les deux sièges de sénateurs de la Géorgie sur lesquels sont assis pour le moment des républicains.
Dans ce comté de Cobb, à une demi-heure de voiture au nord-ouest d'Atlanta, les démocrates ont presque fait "carton plein", sur cette terre qui est pourtant acquise aux adversaires républicains depuis les années 1980. Joe Biden y a obtenu 56 000 voix de plus que Donald Trump. Le désormais 46e président des Etats-Unis fait surtout huit fois mieux que sa prédécesseure Hillary Clinton qui n'avait battu que d'un cheveu le milliardaire (à peine 7 200 voix) il y a quatre ans. Et à l'époque, la presse du coin parlait déjà de mini-exploit.
"Les choses bougent"
Ce n'est pas le seul trophée que le Parti démocrate local va pouvoir ranger sur ses étagères. C'est aussi son candidat, Craig Owens, qui a été élu au poste de shérif. Derrière cette victoire, un autre symbole : il devient ainsi le premier Afro-Américain à prendre cette responsabilité dans l'histoire du comté. "Une personne noire à ce poste, c'était juste inimaginable il y a encore quelques années, ne semble toujours pas en revenir l'heureux élu, qui travaille depuis vingt ans dans la police. Comme quoi, les choses bougent, et elles bougent dans le bon sens."
Vous en voulez encore ? Ce sont également trois démocrates, trois femmes, qui viennent d'être choisies pour représenter le comté de Cobb, poussant vers la sortie des élus républicains, dont certains étaient déjà en poste sous Ronald Reagan, au début des années 1980. Parmi les nouvelles têtes, Jerica Richardson, 31 ans, pantalon beige et haut bleu. "Je crois que l'on peut dire que c'est historique ce que l'on vit en ce moment, lâche-t-elle, alors qu'on la demande encore pour une photo. C'est maintenant l'heure des démocrates. Les gens voulaient du changement, des visages qui ressemblent plus à ce qu'ils sont. Voilà."
Ce n'était pourtant pas gagné d'avance : dans le comté de Cobb, on a voté conservateur pendant "quarante ans et c'était naturel". Le Parti démocrate s'est donc retroussé les manches ces derniers mois pour "aller chercher chaque électeur". "C'était tous les jours, rue par rue, maison par maison. J'étais sur un rythme de 500 portes par semaine, se remémore Martine Claude, âgée d'une cinquantaine d'années. La professeure faisait "ça entre deux cours". La cible : "des gens qui ne votent pas habituellement", "des gens qui avaient presque oublié qu'ils avaient le droit de voter", "les minorités", "les jeunes"... Cheryl Stephens, c'était le "phone banking", "une moyenne de 600 appels par semaine". "Tu appelais, tu argumentais, et tu rappelais si besoin", détaille-t-elle. Stratégie plus que payante : les listes électorales du comté ont gonflé, gonflé... De 424 176 personnes en 2016, elles sont passées à 537 611 cette année. Soit plus de 113 000 nouveaux inscrits en quatre ans.
C'est ce "travail de fond" qui a fini par convaincre Ivory Coast, casquette Nike vissée sur la tête, de se déplacer "cette fois". Huit ans que cette salariée dans le numérique n'avait pas glissé un bulletin dans une urne. "Je retrouvais des tracts électoraux quasiment tous les jours. Dans la boîte aux lettres, sur le pas de la porte... Je me suis dit qu'il fallait que je me bouge", admet-elle, accoudée dans l'entrée de sa maison située le long de Cobb Road, à Smyrna.
Elle n'est pas la seule. Dans la région, il fallait par moments attendre onze heures avant de pouvoir voter par anticipation. "Dans les files d'attente, j'ai vu plus de gens comme moi, des Latinos, témoigne Sebastian. On a toujours été là, c’est juste qu'avant, on restait à la maison."
"Biden, ce n'est pas parfait mais c'est ce qu'il nous faut là, maintenant."
Sebastianà franceinfo
La participation des citoyens afro-américains, qui représentent plus de 30% de la population de Géorgie, a aussi favorisé le camp démocrate. "On voit grandir ces dernières années une population plus jeune, plus diverse, plus motivée aussi, analyse pour franceinfo Trey Hood, professeur en sciences politiques à l’université de Géorgie. A l'intérieur, il y avait une part importante de personnes qui voulait en finir avec Trump."
Il y a quelques jours, Ivory Coast a reçu un SMS d'une amie d'enfance qui habite à Chicago. "Bienvenue dans la liste des Etats démocrates", disait le message. "En fait, ça doit surtout nous pousser à être au rendez-vous, insiste Jerica Richardson. Parce que, comme les Républicains, nos électeurs n'ont jamais promis qu'ils voteraient pour nous à vie."
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