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Yvonnick Denoël, expert du renseignement, sur les règles de déclassification

Dans le contexte de révélation par la France et les Etats-Unis d'éléments secrets rassemblés par leurs services sur l’attaque au gaz sarin attribuée à Damas, Yvonnick Denoël explique comment se déroule le processus de déclassification de documents dans ces deux pays.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
 
Yvonnick Denoël est historien, spécialiste chevronné des services de renseignement. Il a écrit plusieurs livres sur le sujet dont Le livre noir de la CIA (J’ai lu), Comment devient-on espion? (Nouveau Monde éditions) ou encore Les guerres secrètes du Mossad (Nouveau Monde éditions).
 

En France, quels sont les principes de la déclassification?
Quels qu'ils soient, les services produisent du renseignement à destination d'un «client» particulier, qui est le sommet de l'Etat. Les principaux destinataires de ses rapports sont l'Elysée, Matignon, le ministère de la Défense, et souvent les Affaires étrangères. 
 
Le délai «normal» de déclassification en France est de 50 ans, mais il existe des exceptions, en particulier pour la protection des personnes privées, des agents et des sources et aussi la protection du secret de la Défense nationale. 
 
Et quelles en sont ses limites ?
Même les juges qui souhaitent avoir accès à certains rapports doivent obtenir au préalable un feu vert du ministre, lequel s'appuie sur l'avis de la CCSDN (Commission consultative du secret de la Défense nationale) et les refus ne sont pas rares. Il est rarissime de déclassifier officiellement des rapports de renseignement tout récents.
 
Quand il y a un besoin politique, on préfère en général plutôt organiser des fuites en direction de la presse, ce qui permet de sauvegarder les apparences (exemples: lors de la révélation de l'affaire Farewell au moment de l'expulsion des diplomates soviétiques, ou encore la révélation de l'espionnage par la CIA lors des négociations du GATT). Ici l'Etat déclassifie officiellement une information brûlante. Mais on ne livre jamais tous les éléments d'analyse, seulement la synthèse.
 
Il est impératif de protéger à la fois les méthodes et les sources. Les services français disposent-ils d'informateurs dans l'appareil sécuritaire, militaire ou politique syrien? Ont-ils accès à certains types de communication radio, email, fax, etc. Il est essentiel pour préserver la qualité de leur production future de ne rien laisser deviner à ce sujet. 
 
Comment fonctionne le système américain ?
Le président Obama a codifié et reprécisé les règles de classification et de déclassification. En gros, le principe général est une durée de 25 ans, ce qui est bien plus court qu'en France, mais avec la possibilité d'ajouter 25 ans supplémentaires à l'issue du délai.
 
Les principes sont d'une part le droit d'information du public et d'autre part la protection des agents, sources et méthodes de la CIA, mais aussi les secrets militaires états-uniens, les informations recueillies auprès d'agences étrangères, les traités de coopération, les méthodes de lutte antiterroriste, etc. Bref, au-delà des règles, on déclassifie ce que l'on veut bien livrer au public.
 
Certains documents publiés sont même partiellement censurés. Donc, disons que le système est formellement plus ouvert qu'en France: le Freedom of Information Act donne une voie d'accès au système et de réclamation pour les chercheurs, obligeant l'institution à toujours motiver précisément la raison de ses refus.
 
On n'en est pas là en France où, dans les faits, la règle des 50 ans n'est pas vraiment appliquée pour ce qui est des archives conservées par la DGSE. Les chercheurs arrivent néanmoins à travailler tant bien que mal en consultant les archives ministérielles qui leur sont plus facilement accessibles et recèlent des copies des rapports les plus diffusés à l'époque.

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