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Moraliser la vie politique : il y a trois ans, déjà…

Après l'affaire Bettencourt, une commission installée par Nicolas Sarkozy avait inspiré un projet de loi sur les conflits d'intérêts. Mais le texte n'a jamais été débattu au Parlement.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Jean-Marc Sauvé (G), vice-président du Conseil d'Etat, et François Fillon, alors Premier ministre, en septembre 2009 à Paris. (PATRICK KOVARIK /AFP)

L'affaire Cahuzac va-t-elle provoquer un changement radical des pratiques chez les élus ? Le "choc de moralisation" promis par François Hollande va se traduire par la présentation d'un projet de loi lors du Conseil des ministres du 24 avril, a annoncé Jean-Marc Ayrault, lundi 8 avril. Les ministres devront en outre publier leur patrimoine avant le 15 avril. L'Elysée veut frapper "vite et fort". Mais l'exécutif aura fort à faire : jusqu'à présent, les tentatives pour moraliser la vie politique sont restées vaines.

Retour près de trois ans en arrière. Autre affaire, autre scandale : à l'été 2010, l'affaire Bettencourt bat son plein. Le ministre Eric Woerth, qui avait été en même temps ministre du Budget et trésorier de l'UMP, est mis en cause à plusieurs titres dans cette affaire. Son épouse a été embauchée par le gestionnaire de fortune des Bettencourt et ce dernier a reçu la Légion d'honneur des mains du ministre.

Un sulfureux mélange des genres auquel Nicolas Sarkozy, alors président de la République, doit s'attaquer en annonçant, le 12 juillet 2010, la création d'une commission pour "réfléchir à la façon dont on doit ou non compléter ou modifier la loi pour éviter dans l'avenir toute forme, qui pourrait intervenir, de conflit d'intérêts". 

Des règles "imprécises et dispersées"

Six mois plus tard, le 26 janvier 2011, ladite commission, présidée par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, rend son rapport (fichier PDF). Le document constate que les textes censés garantir la déontologie des acteurs publics échappent à toute cohérence. Concernant les membres du gouvernement, "les règles applicables sont souvent imprécises et dispersées, quand elles ne sont pas inexistantes. En témoigne, par exemple, la multiplicité des circulaires d’ordre déontologique à l’intention des ministres, qui sont parcellaires et dont l’effet utile pâtit de la dispersion (...)", souligne le rapport. 

De plus, la commission observe qu'aucune institution n'est chargée de prévenir les éventuels conflits d'intérêts. "Les acteurs publics, quels que soient leur situation ou leur statut, ne disposent quasiment d’aucune information, et sont le plus souvent livrés à eux-mêmes pour identifier les situations susceptibles d’être regardées comme délicates", écrit-elle.

Le rapport Sauvé préconise alors une série de mesures pour améliorer la prévention. Il s'agit d'abord d'établir la définition du conflit d'intérêts. Mais la commission propose aussi la publication d'une "déclaration d'intérêts" pour les membres du gouvernement et leurs proches. Des déontologues seraient désignés dans les administrations et une "Autorité de déontologie de la vie publique" créée. Cette dernière serait compétente pour enquêter et vérifier les déclarations d'intérêts des personnalités concernées, éventuellement en s'autosaisissant.

L'ancienne majorité hostile à une "République du soupçon"

Mais, à peine rendu, le rapport Sauvé avait soulevé l'hostilité d'une partie de la classe politique. "Attention à ne pas sombrer dans la République du soupçon généralisé et ensuite de la délation. Un responsable politique est-il un délinquant possible au seul prétexte qu'il exerce une activité professionnelle en marge de son activité politique ?", s'interrogeait par exemple Gérard Longuet, alors ministre de la Défense, dans Les Echos.

Le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, et le président du groupe UMP, Jean-François Copé (souvent critiqué pour ses activités parallèles d'avocat d'affaires), s'étaient également montrés sceptiques. Un projet de loi a tout de même été présenté en Conseil des ministres le 27 juillet 2011, puis transmis à l'Assemblée nationale. Mais le texte n'a jamais été mis à l'ordre du jour, avant d'être discrètement enterré, comme le notait Le Monde.

La déclaration d'intérêts, un premier pas insuffisant

Seule mesure prise immédiatement par François Fillon après la remise du rapport Sauvé : la publication de la déclaration d'intérêts des ministres. Une disposition à nouveau imposée au gouvernement Ayrault dès son arrivée, mais qui n'a pas empêché Jérôme Cahuzac de passer entre les mailles du filet. Et pour cause : la déclaration d'intérêts n'étant pas une déclaration de patrimoine, l'ancien ministre n'avait pas à dresser la liste de ses comptes bancaires. Même s'il avait été obligé de le faire, Jérôme Cahuzac n'aurait de toute façon pas révélé l'existence du compte litigieux dissimulé à l'étranger dans le cadre d'un système déclaratif.

Depuis, le rapport sur la rénovation de la vie politique confié à Lionel Jospin a formulé une batterie de mesures pour tenter de lutter contre les conflits d'intérêts, passées relativement inaperçues en regard de celles concernant, par exemple, le cumul des mandats. Il aura fallu un scandale pour que le gouvernement s'empare réellement de la question. Reste à savoir s'il ira jusqu'au bout.

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