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"Mon mari et moi, nous étions conscients de l'illégalité de tout cela" : à la barre, Patricia Cahuzac accable son ex-mari

Le procès de l'ancien ministre du Budget est entrée dans sa deuxième semaine, lundi 12 septembre. Son ex-épouse s'est exprimée pour la première fois.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
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Patricia Cahuzac arrive au tribunal correctionnel de Paris, le 5 septembre 2016. (CHAMUSSY / SIPA)

Patricia Cahuzac se souvient très bien du moment où elle a basculé dans l'illégalité. C'était au milieu de l'année 1996. Son chirurgien de mari, Jérôme Cahuzac, veut alors entrer en politique. "Il m'a dit 'la médecine m'ennuie horriblement, il n'y a que la politique qui me passionne'. Il souhaitait que je vienne travailler à la clinique", pour le décharger et s'occuper "des patients anglais", se souvient la dermatologue âgée aujourd'hui de 61 ans.

>> Revivez la quatrième journée d'audience du procès de Jérôme Cahuzac

A cette époque, Jérôme Cahuzac reprend, progressivement, la clientèle de Pierre Pouteaux, pape de la micro-greffe de cheveux. "En dermatologie, on est formé à la petite chirurgie, couper la peau, cela ne me pose pas de problème", explique-t-elle. Surtout, "j'ai accepté parce que j’étais content qu’il fasse un travail qui lui plaisait". C'est le début d'une longue histoire qui l'a conduite, lundi 12 septembre, devant le tribunal correctionnel de Paris, où elle comparaît, comme son ancien époux, pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale.

Les secrets de Pierre Pouteaux

Selon son souvenir, c'est le confrère de son époux qui met les pieds dans le plat, lors d'une réunion avec le couple Cahuzac. "J'apprends la possibilité de déposer des chèques de patients anglais à l'île de Man. C'est le docteur Pouteaux qui nous donne ses secrets", raconte-t-elle à la barre, d'une voix franche et directe qui tranche avec l'expression policée des autres prévenus. L'expérimenté praticien conseille à ses jeunes ouailles de ne pas déclarer les revenus versés par les patients étrangers, pour les placer discrètement sur cette île britannique.

C'est chose faite, en 1997, via la création en janvier d'une société, Ellendale, sur un compte ouvert en mars à la Royal Bank of Scotland. La périodicité des versements varie. "Cela dépendait des chèques qui arrivaient, décrit Patricia Cahuzac. S’il y avait du rab, cela passait en Angleterre ou sur le compte de ma belle-mère." La manœuvre ne la fait pas tiquer plus que cela. "J'étais un peu surprise, nous n’avions aucune nécessité de faire cela, les revenus étaient suffisants", confie la praticienne au tribunal, avant de reconnaître :

Le docteur Pouteaux, mon mari et moi, nous étions conscients de l'illégalité de tout cela.

Patricia Cahuzac

au tribunal correctionnel

Ce compte va être régulièrement utilisé pour les frais de cette famille de trois enfants, accréditant la thèse d'une fraude fiscale familiale ancienne et bien rodée. Profitant de ses visites à l'Institut de trichologie – "du grec tricho, cheveux" – de Londres, où elle démarchait ses fameux "patients anglais", "environ trois fois par an", Patricia Cahuzac retire 9 000 livres sterling, qu'elle va changer au "petit bureau à côté de la clinique".

"Il était au courant votre mari, que vous alliez chercher des espèces en Angleterre ?" s'interroge le président, Peimane Ghaleh-Marzban. "Ben oui, on vivait ensemble", réplique Patricia Cahuzac. Derrière elle, sur le banc des prévenus, Jérôme Cahuzac regarde ses chaussures. "Je ne suis pas certain qu'on en avait besoin, mais si ma femme le dit, elle le dit", dit-il quelques minutes plus tard. Pendant l'instruction, il a toujours minimisé son rôle quant à ce compte sur l'île de Man, assurant qu'il ne détenait qu'une procuration. Une défense balayée par son épouse.

Ce compte, je n’ai jamais eu l’intention de le garder pour moi. C’était pour nous deux.

Patricia Cahuzac

au tribunal correctionnel

A la barre, Jérôme Cahuzac acquiesce mollement. "Je ne conteste pas avoir eu connaissance de l'ouverture de ce compte" et du versement des chèques, explique l'ancien ministre du Budget. Les documents saisis par les enquêteurs montrent d'ailleurs que les deux époux détenaient, "à part égales", la société Ellendale jusqu'en 2007.

Patricia et Jérôme Cahuzac, le 12 septembre 2016 devant le tribunal correctionnel de Paris. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Un bas de laine en cas de rupture

Cette année-là, le couple Cahuzac commence à se déliter. "Cela fait plusieurs années que je m’étais aperçu que mon mari me mentait, raconte Patricia Cahuzac, sans donner de détails. Pour moi, il n’y avait plus rien de solide dans le couple, donc j’ai éprouvé le besoin d’ouvrir un compte." Elle prend la direction de la Suisse, avec l'objectif de se constituer un bas de laine si son mari venait à la quitter. "Ce n’était pas mon but de transgresser. Si j’avais pu l’ouvrir en France sans qu’il le sache, je l’aurais fait", assure Patricia Cahuzac.

Le compte est ouvert dans la filiale de BNP Paribas, à Genève. Elle y verse régulièrement, en envoyant des chèques par La Poste, les revenus tirés de sa clientèle étrangère. Son mari, qui gère pourtant les comptes de la clinique, ne voit pas la manœuvre. "On peut ne pas s’entendre, ne plus s’aimer, confie ce dernier, amer. Mais se spolier ou se voler... Il y a un chemin que je n’ai jamais imaginé et que j’ai découvert, à mon immense stupéfaction, en procédure." L'affaire Cahuzac est aussi celle d'un couple qui s'unit et se déchire dans la fraude fiscale.

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