"Vous ne trouverez jamais un centime libyen", se défend Nicolas Sarkozy à son procès pour des soupçons de financement illégal de sa campagne en 2007

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Nicolas Sarkozy au procès des soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007, devant le tribunal correctionnel de Paris, le 9 janvier 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
L'ex-président de la République a pris la parole pour la première fois devant le tribunal correctionnel de Paris.

Il s'est avancé à la barre avec aplomb, avant d'égrener des chiffres : "Dix années de calomnie, 48 heures de garde à vue, 60 heures d'interrogatoire, dix ans d'enquête et maintenant quatre mois devant le tribunal correctionnel." Nicolas Sarkozy s'est exprimé pour la première fois, jeudi 9 janvier, au procès des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Deux jours après l'ouverture de l'audience, l'ancien chef de l'Etat était invité par la présidente, Nathalie Gavarino, à tenir un propos liminaire avant d'entrer dans le vif des débats.

Le ton est offensif, l'attitude théâtrale : "Vous ne trouverez jamais non pas un euro libyen mais pas un centime libyen dans ma campagne", clame Nicolas Sarkozy, buste en avant, mains expressives. "Mes déclarations n'ont jamais varié, aucun mensonge n'a pu m'être opposé, j'ai toujours assumé mes responsabilités et je compte bien le faire tout au long de ces quatre mois car moi je ne suis pas en fuite", ajoute-t-il, en référence à plusieurs prévenus de ce dossier, dont l'ex-argentier du régime libyen Béchir Saleh.

"Quelle étrange coïncidence !"

Fixant tour à tour la présidente du tribunal et les trois magistrats du Parquet national financier (PNF), l'ex-président, rompu aux tribunes politiques mais aussi aux enceintes judiciaires – c'est son cinquième procès – dit vouloir "deux choses" : "La vérité et le droit, si ce n'est pas un gros mot, le droit !" Déroulant sa démonstration, Nicolas Sarkozy liste "trois groupes de menteurs ou d'escrocs bien identifiables" dans cette affaire tentaculaire. "Le premier, c'est le clan Kadhafi. Les révélations sur le prétendu financement de ma campagne ont suivi de quelques heures mes déclarations disant 'Kadhafi doit partir' et ma rencontre avec le comité de transition [libyen]", assène-t-il.

"La deuxième catégorie de menteurs, c'est ceux qui ont fabriqué et diffusé cette soi-disant note sur le financement libyen qui est sortie entre les deux tours de la présidentielle [2012], quelle étrange coïncidence", poursuit l'ancien président de la République. Bien que sa plainte pour "faux" contre Mediapart, qui a publié ce document, se soit soldée par un non-lieu définitif en 2019, Nicolas Sarkozy persiste à parler de "faux" et de "complot" – tout en admettant que celle-ci "n'est plus le centre de l'accusation".

"Troisième catégorie d'escrocs" dont se dit victime le médiatique prévenu : "C'est Takieddine." L'homme d'affaires franco-libanais, un des deux intermédiaires officieux des transferts de fonds au centre du dossier, est l'accusateur principal de Nicolas Sarkozy. Il a notamment affirmé avoir transporté entre Tripoli et Paris trois valises de billets, d'un montant total de 5 millions d'euros, entre fin 2006 et début 2007. "Je ne sais pas pourquoi cet individu me poursuit d'une haine tenace, il a donné 16 versions différentes", tempête l'ex-locataire de l'Elysée, rappelant sa condamnation "à cinq ans de prison" dans le volet financier de l'affaire Karachi, notamment pour "faux témoignage".

"On n'a rien trouvé !"

Nicolas Sarkozy, qui a retrouvé sa robe d'avocat, l'assure, "il ne s'agit pas de plaider" à ce stade du procès mais de faire ressentir au tribunal "l'indignation, la sincérité et la colère". Amateur de bons mots, l'ex-président cherche aussi l'adhésion de son auditoire en maniant l'humour. "Dix ans d'enquête ! On dit que la justice manque de moyens : quand c'est moi, non !" ironise-t-il, déclenchant des rires dans la salle. "Le juge Gentil, qui n'a de gentil que le nom, a rendu une ordonnance de non-lieu dans l'affaire Bettencourt", récidive-t-il, martelant que sa campagne a été passée au peigne fin par la justice "deux fois", un "record" mondial, et qu'"on n'a rien trouvé !" Et d'ajouter avec malice : "En ce qui me concerne en tout cas."

"On a trouvé quoi ? On a la preuve de quoi ? L'argent de la corruption, voilà le grand absent, il n'y a pas d'argent de corruption car il n'y a pas eu de corruption."

Nicolas Sarkozy, ancien président de la République

devant le tribunal correctionnel de Paris

Dressant enfin un étrange parallèle entre la situation actuelle des otages israéliens dans la bande de Gaza et celle des infirmières bulgares détenues en Libye entre 1999 et 2007, l'ancien président s'est targué d'être parvenu à les faire sortir des geôles libyennes quand "80 prix Nobel de la Paix" s'y seraient cassé les dents. "Si je n'étais pas intervenu de toutes mes forces pour sortir ces malheureuses, elles seraient mortes", soutient-il, alors que les investigations sur leur libération ont établi depuis que le Qatar et l'Union européenne avaient joué un rôle décisif. Peu importe, Nicolas Sarkozy maintient que la visite controversée de Mouammar Kadhafi à Paris fin 2007 était la "contrepartie" à cette libération et non à un éventuel financement de sa campagne. "Croyez-moi, je m'en serai bien passé", glisse-t-il.

"Si Kadhafi et ses sbires avaient le moindre document, ils avaient tout loisir de les donner"

Saisissant une deuxième occasion de s'exprimer après un résumé de la présidente sur la situation géopolitique de la Libye entre 2004 et la chute du régime en 2011, c'est un Nicolas Sarkozy professoral qui revient sur son rôle actif dans l'opération de la coalition internationale lors du Printemps arabe. Employant un mot qu'il affectionne, il fustige "la fable" qui consiste à dire que des documents sur le financement de sa campagne "ont été détruits" [par l'aviation française] à cette occasion. "Si Kadhafi et ses sbires avaient le moindre document, ils avaient tout loisir de les donner, développe-t-il. Et imaginez que Kadhafi ait eu des documents sur moi, un virement, un compte, croyez-vous que j'avais intérêt d'être le leader de l'intervention ?"

Brice Hortefeux et Claude Guéant ont à leur tour été invités à prendre la parole sur les faits qui leur sont reprochés. Le premier, à l'époque ministre délégué aux Collectivités territoriales, a assuré qu'il n'avait "jamais cherché à cacher" son entrevue en Libye avec Abdallah Senoussi, le patron du renseignement militaire libyen et beau-frère de Mouammar Kadhafi. Selon l'accusation, ce rendez-vous fait partie des contreparties du "pacte de corruption", Abdallah Senoussi, condamné en France pour l'attentat du DC10 d'UTA, cherchant à négocier son amnistie en échange de fonds libyens. Claude Guéant, lui, a répété "avec force" n'avoir "jamais bénéficié" ni "vu circuler d'argent libyen". L'ancien bras droit de Nicolas Sarkozy est non seulement soupçonné d'avoir "organisé des transferts de fonds" mais de s'être enrichi au passage. Ces deux fidèles encourent, comme leur mentor, dix ans de prison.

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