: Enquête Uber Files : comment Emmanuel Macron s'est impliqué lors de l'arrivée du géant des VTC en France
Des milliers de documents internes d’Uber datant de 2013 à 2017 révèlent que l’entreprise, confrontée à l’hostilité des pouvoirs publics et à de vastes ennuis judiciaires, a pu bénéficier de la bienveillance et de l’appui d’Emmanuel Macron lorsqu’il était au ministère de l’Économie.
"Should we trust Caz ?" Autrement dit : "Devrions-nous faire confiance à Bernard Cazeneuve ?" Ce 3 juillet 2015, l’entrepreneur américain Travis Kalanick, cofondateur d’Uber, adresse cette question par SMS au ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. Le patron de la Silicon Valley regarde avec inquiétude la situation en France, premier pays où il a exporté son activité. Uber fait alors l’objet de nombreuses enquêtes dans l’hexagone, sur le plan pénal comme sur le plan fiscal. Une violente crise a éclaté avec les taxis. Des heurts et manifestations se multiplient dans tout le pays. Principal motif de la gronde des taxis : l’offre "Pop", développée par Uber, qui permet à n’importe qui de s’improviser chauffeur pour arrondir ses fins de mois.
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Jugé illégal, le service continuera pourtant à être déployé pendant plusieurs mois. Une provocation qui irritera jusqu’au plus haut sommet de l’État. "Vous êtes des flibustiers", lâchera, au cours d’une réunion, Bernard Cazeneuve à des cadres de l’entreprise. Le 26 juin 2015, François Hollande annoncera qu’UberPop devra être dissous. Mais les dirigeants de la plateforme américaine garderont confiance car depuis plusieurs mois, ils bénéficient de l’écoute bienveillante de la figure montante du gouvernement, Emmanuel Macron.
"Spectaculaire" rendez-vous à Bercy
Entre Emmanuel Macron et Travis Kalanick, le PDG d’Uber, l’histoire secrète que nous sommes en mesure de vous raconter à travers les Uber Files débute le 1er octobre 2014. Emmanuel Macron n’est ministre de l’Économie que depuis cinq semaines. La loi Thévenoud, censée réglementer l’activité des VTC en France – et bannir les services tels qu’UberPop – est entrée en vigueur il y a quelques heures seulement. C’est alors que quatre figures d’Uber arrivent à Bercy : le "boss", Travis Kalanick, est là en personne, avec le vice-président du groupe, David Plouffe – un ancien conseiller de Barack Obama –, ainsi que Pierre-Dimitri Gore-Coty, directeur d’Uber pour l’Europe de l’Ouest, et le lobbyiste Mark MacGann. Comment se passe la rencontre – qui ne figure pas à l’agenda du ministre ? "Spectaculaire. Du jamais vu", résume Mark MacGann à ses collègues dans un mail que nous avons pu consulter.
"Beaucoup de boulot" en perspective, donc, selon le lobbyiste MacGann. Il aura pour mission de convaincre les pouvoirs publics d’assouplir la réglementation afin qu’Uber puisse se déployer en France comme l’entreprise le souhaite. Les rendez-vous à Bercy s’enchaînent. Le 4 novembre 2014, le directeur général d’Uber France, Thibaud Simphal, et le directeur de la zone Europe de l’Ouest, Pierre-Dimitri Gore-Coty, sont accompagnés de leurs avocats pour un entretien avec deux conseillers d’Emmanuel Macron. Dans un compte-rendu rédigé par la multinationale auquel nous avons eu accès, les représentants de la société américaine écrivent leur satisfaction d’être sur la même ligne que Bercy.
"Globalement, l'objectif du ministère de l'économie est d'avancer afin de clore le dossier VTC-taxis tout en évitant que trop de barrières soient imposées au développement du secteur VTC", peut-on lire. Les auteurs du compte-rendu racontent avoir soulevé, lors de l’entretien à Bercy, "un certain nombre d'inquiétudes quant à la mise en œuvre prévue de la loi Thévenoud", comme la durée de formation des chauffeurs qui constitue, selon eux, un frein à l’expansion de leur activité.
Les milliers de documents des Uber Files récupérés par le journal britannique The Guardian, et partagés avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses partenaires, dont la cellule investigation de Radio France, montrent que dans les mois qui vont suivre, les dirigeants d’Uber insisteront avec force pour une dérégulation progressive du marché et un desserrement de l’étau que constitue, selon eux, la loi Thévenoud.
"Macron a dit à ses collaborateurs de parler à la DGCCRF"
Les discussions se déroulent alors que le contexte, lui, est défavorable. Le géant du transport en véhicule de tourisme avec chauffeur (VTC) est dans le collimateur de la répression des fraudes. Le 13 novembre 2014, des agents investissent les locaux d’Uber à Lyon. Ces enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – un service sous la tutelle du ministère de l’Économie – agacent le directeur d’Uber France. Dans un message à ses collègues, Thibaud Simphal se plaint : "Ils nous harcèlent véritablement en ce moment, tous les jours. Bercy et ses services commencent à se comporter comme l'Intérieur et les petits policiers qui veulent ‘bouffer du Pop’ [référence à UberPop]. Très décevant."
Il n’est pas question, pour autant, de se fâcher avec le ministère de l’Économie. Les lobbyistes d’Uber se contentent de faire part de leur incompréhension et de leur lassitude au jeune ministre Macron. Et, si l’on en croit les documents internes d’Uber, la stratégie semble avoir fonctionné. Ainsi, dans un message adressé aux patrons américains d’Uber, Travis Kalanick et David Plouffe le 17 novembre 2014, Mark MacGann affirme qu’Emmanuel Macron s’est engagé à intervenir auprès de la DGCCRF :
Emmanuel Macron a-t-il fait cette promesse à Uber ? Est-il intervenu auprès de la DGCCRF dans ce dossier ? L’actuel chef de l’État n’a pas répondu précisément aux questions de l’ICIJ et de ses partenaires. Emmanuel Lacresse, l’un de ses anciens conseillers à Bercy, aujourd’hui député, nous a assuré dans une réponse écrite que cela n’avait pas été le cas. D'ailleurs, en cette fin d’année 2014, Uber n’a toujours pas "sauvé" son service Pop, au grand dam du bouillonnant patron de la Silicon Valley, Travis Kalanick. Vu de la Californie, la rigidité de la réglementation française est une aberration. Le 18 décembre, l’entrepreneur décide de se rappeler au bon souvenir du ministre français, avec qui il a beaucoup en commun :
Emmanuel Macron lui répond quatre jours plus tard :
Emmanuel Macron apparaît à ses yeux comme un allié d’autant plus stratégique qu’Uber France connaît un début d’année 2015 chaotique : la justice ouvre une enquête pour "travail dissimulé" ; la police procède à des arrestations de chauffeurs UberPop. Le 20 janvier, une nouvelle rencontre discrète a lieu entre Emmanuel Macron et Travis Kalanick. Maxime Drouineau, un lobbyiste d’Uber présent à Bercy, envoie alors par courriel un compte-rendu aux avocats de l’entreprise : "Le rendez-vous a duré un peu plus d’une heure. Dans un premier temps, la discussion a porté sur UberPop et sur la proposition de réglementation ride-sharing [partage de trajet] que nous avons envoyée à son cabinet la semaine dernière." Mais l’idée ne convainc visiblement pas le ministre, qui appelle ses interlocuteurs à la prudence... "Emmanuel Macron estime que le contexte politique n’est pas opportun pour introduire de telles mesures, et que nos efforts risquent d’être vains, écrit Maxime Drouineau. En revanche, il est favorable à une ‘licence light’ pour les VTC et par conséquent à un allègement significatif des conditions requises renforcées par la loi Thévenoud." En sortant du ministère, les dirigeants d’Uber semblent pleins d’espoir. Un "deal" avec Bercy serait à portée de main.
Uber rédige les amendements
Et en effet, durant plusieurs mois, Emmanuel Macron va plaider, notamment au sein du gouvernement, pour un allègement de la réglementation qui encadre les plateformes VTC. Si cela fonctionne, Uber en sortira grand gagnant. En échange, l’entreprise aux méthodes décriées devra sans doute se résoudre à quelques concessions, en abandonnant ses prestations les plus controversées. Dans le compte-rendu qu’il rédige le 21 janvier 2015, Maxime Drouineau, le lobbyiste d’Uber, résume le "plan" qui aurait été élaboré avec le ministre à Bercy :
"Nous nous sommes mis d’accord avec Emmanuel Macron sur un process en deux temps :
1/ Proposer un ou plusieurs amendements à la loi Macron avant demain soir afin de modifier la réglementation actuelle introduite par la loi Thévenoud.
2/ Nous avons une fenêtre de 4 semaines pour mener une campagne de communication avec Macron afin de faire accepter l’idée qu’une licence VTC "light" serait une solution pour l’emploi et la mobilité. Dans ce contexte, il s’agira de trouver le moment opportun pour rédiger un décret abolissant le régime proposé par la loi Thévenoud et introduire une réglementation plus souple."
Mais pour proposer des amendements au projet de "loi Macron", encore faut-il disposer d’appuis parlementaires. Uber doit convaincre des députés et des sénateurs de le suivre. Dans ce courrier, Maxime Drouineau demande à l’un de ses collègues s’il peut "commencer à tâter le terrain avec les parlementaires qui [leur] sont favorables pour voir quel groupe accepterait de porter [leurs] amendements". Parmi les politiques approchés, il y a le député socialiste de Maine-et-Loire, Luc Belot. Le 22 janvier, le directeur général d’Uber en France, Thibaud Simphal, lui écrit personnellement :
Dans un autre courriel auquel nous avons eu accès, adressé cette fois aux dirigeants d'Uber, et notamment à son patron aux États-Unis, Thibaud Simphal évoque l’échange prometteur qu’il aurait eu avec le député du Maine-et-Loire : "Un appel très utile en ce moment avec Luc Belot, député socialiste (parti au pouvoir), partisan des VTC et promoteur d'Uber – il a fait référence à Macron à plusieurs reprises et très indirectement à notre réunion d'hier soir. Il veut des progrès sur les VTC, on aurait vraiment dit qu'il avait reçu un appel de Julie Bonamy [conseillère d’Emmanuel Macron] ou de Macron lui-même étant donné le niveau de détail et d'intention."
"Favorables aux acteurs disruptifs comme nous"
Thibaud Simphal ajoute que si le député Belot est "contre Pop en raison de problèmes liés au travail dissimulé et à la fiscalité", il reste "ouvert à la discussion" et "veut organiser une conférence en France avec des acteurs disruptifs comme nous, Netflix, Airbnb, BlaBlaCar pour parler de disruption positive et de la manière de réguler les changements plutôt que de les interdire." Le lendemain, l’attachée parlementaire du député Belot prévient Uber que trois projets d’amendements fournis par le géant des VTC ont été retravaillés et déposés. Dans un échange interne que nous avons consulté, une collaboratrice de la plateforme américaine se félicite de cette "collaboration" : "C’est quand même une excellente nouvelle. On a trois amendements déposés par un député socialiste qui portent sur des éléments clés du régime, et il a notamment gardé l’amendement sur les gares et aéroports (...) Ceci permet, comme c’était le but, d’amorcer un débat sur un régime VTC assoupli."
Ces amendements portés par le député Belot n’ont finalement pas été acceptés. Mais le projet ne s’arrête pas pour autant. Emmanuel Macron annonce que certaines des mesures phares souhaitées par les plateformes VTC seront adoptées par décret. C’est ainsi que les 250 heures de formation nécessaires pour devenir chauffeur que prévoyaient la loi Thévenoud sont supprimées. Pour l’obtention d’une licence, la durée de formation est ramenée à… sept heures, soit quasiment une journée. Les entreprises du secteur applaudissent.
Sollicité, l’ancien député Belot reconnaît avoir reçu des amendements prérédigés, mais comme "durant tout [son] mandat, sur tous les sujets possibles et imaginables". "Cela a donc aussi été le cas avec la société Uber, explique-t-il, et s'il m’est arrivé d’en retoucher certains, reprendre d’autres, c’est que les positions exprimées lorsque je les déposais étaient les miennes."
Mais Emmanuel Macron a-t-il agi de concert avec les entreprises de VTC, en coulisses, pour assouplir drastiquement la réglementation, alors même qu’il n’était pas en charge du dossier des transports ? L’actuel Président n’a pas répondu de manière précise à cette question. Mais un message du 20 janvier 2015, envoyé par le lobbyiste Mark MacGann à ses collègues, laisse peu de place au doute :
Interrogé par l’ICIJ, un ancien membre du gouvernement de l’époque dit ne pas avoir d’informations sur un possible "deal" entre Emmanuel Macron et Uber. "Mais je voyais bien qu’il y avait des contacts", raconte-t-il. L’empire cofondé par Travis Kalanick fascinait-il le jeune ministre ? "Cela correspond à ses convictions, c'est la start-up nation", répond cette source qui conclut : "Moi, je n'ai aucune fascination pour les dirigeants d'une entreprise qui fait travailler les gens pour rien et au mépris des règles."
De l’huile sur le feu
Fort de ce soutien au sommet de l’État, en tout cas, les dirigeants d’Uber se sentent pousser des ailes. Ils continuent de déployer le service Pop dans les grandes villes de France. Une provocation pour les chauffeurs de taxis. Le 25 juin 2015, ils sont 3 000 à manifester à Paris. Des violences éclatent. Le préfet de police de Paris déclare Pop illégal. Uber conteste. Furieux, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, dénonce l’"arrogance" de la société américaine. Comme un pied de nez à Beauvau, Uber lance dès le lendemain une nouvelle campagne de recrutement de chauffeurs.
En cette fin du mois de juin, en coulisses, alors que le gouvernement tente de contenir la colère des taxis, les lobbyistes d’Uber font encore des allers-retours à Bercy. Ils savent déjà qu’ils devront respecter leur part du "deal", et abandonner UberPop. Mais, jusqu'au bout, ils laissent planer le suspense. Une sorte de poker menteur.
Macron à Uber : "Cazeneuve va faire taire les taxis"
Ainsi, le 28 juin, Alexandre Quintard Kaigre, lobbyiste pour Uber, écrit à son collègue Mark MacGann : "Je t’ai envoyé la note sur nos propositions pour modifier la réglementation. Je n’ai volontairement pas écrit que la contrepartie serait la mort d’UberPop. C’est un leave-behind [abandon] que l’on peut laisser au cabinet de Macron demain matin." Ce même jour, les dirigeants français de la firme américaine reçoivent une convocation de la police. Thibaud Simphal et Pierre-Dimitri Gore-Coty sont placés en garde à vue. En dépit de ce contexte de défiance, chez Uber on espère encore un soutien politique. Et c’est une nouvelle fois par l’intermédiaire du ministre Macron que l’entreprise entend faire passer son message.
Le 3 juillet, Uber annonce officiellement la suspension de son activité "Pop". Mais Bercy a-t-il rempli sa part du contrat ? Le gouvernement s’est-il laissé convaincre qu’il fallait lâcher du lest en dérégulant le secteur des VTC ? Selon des documents récupérés par The Guardian que nous avons consultés avec nos partenaires de l’ICIJ, le cofondateur d’Uber, Travis Kalanick, contacte ce jour-là Emmanuel Macron. "Pouvons-nous faire confiance à Caz [Cazeneuve] ?", demande-t-il. Le ministre de l’Economie lui répond dans la foulée :
Chez Uber France, on exulte en voyant les captures d’écran des messages échangés entre le "boss" d’Uber et le locataire de Bercy. "C’est énorme. Du pur TK !" [TK pour Travis Kalanick], commente le lobbyiste Alexandre Quintard Kaigre.
"Brandir Macron" pendant une perquisition
Mais pour le géant des VTC, le ciel ne s’éclaircit pas immédiatement. Le 6 juillet 2015, une perquisition est menée par les services fiscaux au siège d’Uber France. À 7h48 Alexandre Quintard Kaigre alerte son collègue Mark MacGann. Nous avons retranscrit leurs échanges :
Quelques minutes plus tard, le lobbyiste revient vers Alexandre Quintard Kaigre, avec plus d’informations. "C’est Uber BV [société de droit néerlandais] qui est visé, écrit Mark MacGann. Ils veulent embarquer du matos. Ils cherchent [des] infos sur [les] chauffeurs. J’ai demandé à Macron d’intervenir car Kohler [Alexis Kohler, alors directeur de cabinet du ministre] ne répondait pas à mon SMS." Selon les documents que nous avons analysés, Mark MacGann a bien contacté Emmanuel Macron, par SMS, à 8h44 ce matin-là, pour lui demander des conseils :
Le ministre de l’économie n’aurait pas répondu pas au lobbyiste d’Uber, laissant le fisc poursuivre son travail. Les deux hommes reprennent cependant contact, quelques semaines plus tard, pour mettre sur pied une nouvelle rencontre avec Travis Kalanick. Mais le patron de la Silicon Valley n'honore pas le rendez-vous. Le 29 juillet, Mark MacGann s’en excuse auprès d’Emmanuel Macron. "Travis est très reconnaissant par rapport aux avancées considérables depuis la tension du mois de juin, et nous avons beaucoup travaillé avec les autres acteurs du secteur VTC afin de vous présenter un ‘front commun’. Sachez que Travis prend très au sérieux votre relation de confiance." Mark MacGann remercie aussi le ministre pour sa "compréhension" et sa "patience". Ce à quoi l’actuel chef de l’État répond dans la seconde par cette formule : "On continue".
Les Uber Files révèlent d’autres contacts directs, réguliers, presque familiers, entre les dirigeants d’Uber et Emmanuel Macron dans les semaines qui suivent. Bercy semble avoir pris la main sur le dossier des VTC–- un secteur pourtant placé sous la responsabilité du ministère des Transports. Et Uber se montre reconnaissant.
Pour Uber, l’accueil dans les autres ministères est en revanche beaucoup plus froid. Aux Transports et à l’Intérieur, on dénonce les méthodes "de cow-boys" ou de "pirates" employées par l’entreprise américaine peu encline à se plier aux lois françaises. À Paris, l’Urssaf ouvre à son tour une enquête, convaincue que la société refuse de payer des cotisations sociales. Dans les grandes villes, de nombreux chauffeurs Uber continuent à exercer sans autorisation. Durant l’été, la tension reste palpable, comme à Marseille où des taxis empêchent des dirigeants d’Uber de participer au salon des entrepreneurs.
À Marseille : "Je vais regarder cela personnellement", écrit Emmanuel Macron
Visiblement agacé par cette mauvaise publicité, l’un des lobbyistes d’Uber se tourne à nouveau vers le ministre de l’Economie le 12 octobre. "Uber se trouve au cœur de l’actualité en France, pas forcément toujours comme on aurait aimé, écrit Mark MacGann à Emmanuel Macron. Pas mal de frustration chez nous par rapport à la situation."
Quelques jours plus tard, invoquant des risques de troubles à l’ordre public, le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Laurent Nuñez, prend un arrêté interdisant les courses privées d’Uber – le service "Uber X" – dans le centre-ville de Marseille, ainsi qu’aux abords des gares et de l’aéroport de la cité phocéenne. Dès qu’il en prend connaissance, c’est encore auprès de Bercy qu’Uber se lamente. Le 21 octobre à l’aube, Mark MacGann écrit à Emmanuel Macron :
Cette fois, le jeune ministre répond. Il promet de s’occuper de la situation.
"On reste en lien", écrit encore Emmanuel Macron au lobbyiste, par SMS trois minutes plus tard. Mark MacGann envoie ensuite au ministre son projet de communiqué de presse, plutôt nuancé, concernant l’arrêté pris à Marseille. "Merci de la réaction proportionnée", lui répond le ministre.
Bercy est-il intervenu dans ce dossier ? Des coups de fils ont-ils été passés pour que le préfet fasse marche arrière ? Dans la soirée, la préfecture des Bouches-du-Rhône explique qu’elle "clarifiera" sa position en publiant un nouvel arrêté dans les jours qui suivront. Cet arrêté concernera l’ensemble du département, mais se révèlera moins restrictif. Uber considérera d’ailleurs ce second arrêté comme une "victoire".
Sollicité, Laurent Nuñez – actuel coordonnateur national du renseignement auprès du président de la République – assure n’avoir reçu "aucune pression, ni eu aucun échange" avec Bercy sur ce sujet. Il précise également que le second arrêté visait à étendre l’interdiction, initialement localisée, à l’ensemble de son ressort de compétence.
Le chef de l’État, lui, n’a pas répondu précisément aux questions que l’ICIJ et ses partenaires lui ont posées. Le service de presse de l’Élysée nous a simplement précisé que les fonctions passées d’Emmanuel Macron "l’ont naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises engagées dans la mutation profonde des services advenue au cours des années évoquées, qu’il convenait de faciliter en dénouant certains verrous administratifs ou réglementaires". Avant de conclure : "Il vous appartient de revisiter ces sujets rétrospectivement sous votre responsabilité éditoriale."
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