"On va essayer l'ère Macron" : sur l'esplanade du Louvre, un vent d'espoir mais peu de magie dans l'air
A Paris, des dizaines de milliers de supporters ont fêté la victoire du candidat d'En marche ! au son de Magic System. Une parenthèse euphorique qui laisse déjà apercevoir quelques doutes.
La queue, peu avant 19 heures, dimanche 7 mai, pour accéder à l'esplanade du Louvre, à Paris, en dit long sur le nom du futur vainqueur de la présidentielle. Les premières estimations n'ont pas encore été annoncées mais la victoire d'Emmanuel Macron bruisse déjà sur les réseaux sociaux avec le mot-dièse #RadioLondres. Le candidat d'En marche !, donné favori au second tour face à Marine Le Pen, avait donné rendez-vous à ses supporters dans ce lieu hautement symbolique de la capitale. Etat d'urgence et menace terroriste obligent, les 1 800 journalistes accrédités et le public ont dû passer par plusieurs sas de sécurité et fouilles avant de pouvoir accéder aux lieux. Et pour cause, la célèbre place a été brièvement évacuée en début d'après-midi en raison d'une alerte.
Les "helpers", ces bénévoles du camp Macron, veillent au grain, distribuant tee-shirts et drapeaux tricolores. Les fanions s'agitent devant la pyramide en verre, sous les objectifs des médias du monde entier, venus assister au triomphe du plus jeune président président français de la Ve République. Yahia travaille pour Arab News. Mais c'est en tant que citoyen que ce journaliste de 48 ans est venu assister à la soirée électorale, avec ses deux enfants et sa femme, macroniste de la première heure. "J'ai voté Mélenchon au premier tour et Macron au second, un peu par défaut, pour faire barrage à Marine Le Pen", explique-t-il, bonnet sur la tête pour affronter des températures plutôt fraîches.
"Marine Le Pen, ça faisait peur"
Véronique, couvant Efinas, 9 ans, et Manaëlle, 12 ans, est plus enthousiaste : "Hamon était trop utopique, Mélenchon, trop en colère. Macron, je le trouve bien par rapport aux femmes. Il veut un gouvernement paritaire, aller plus loin dans l'égalité salariale. Et on aura une bonne Première dame, on sent qu'elle va être active", pronostique cette secrétaire médicale de 48 ans aux yeux bleus, également coiffée d'un bonnet. Le couple habite Bobigny (Seine-Saint-Denis), "là où vivent les oubliés de France". "On a voulu montrer à nos enfants ce que c'était, concrètement, que d'être au cœur d'une soirée électorale", lance Yahia. Il s'avoue bluffé par la performance d'Emmanuel Macron, alors que les premières estimations viennent de tomber au milieu des hurlements de joie : plus de 65% des voix, contre moins de 35% pour la candidate du Front national.
Personne ne le connaissait, c'est incroyable, comme quoi, tout est possible.
Yahia, 48 ansà franceinfo
Leur fille ado, joli minois au sourire bagué, y va de son commentaire : "Marine Le Pen, ça faisait peur, notamment le fait qu'elle veuille sortir de l'euro." Son père se rembrunit : "Là, on se dit, ça va, c'est passé, mais dans cinq ans..." "C'est la première fois que je me rends compte de l'importance des législatives", abonde Véronique. Ils iront voter les 10 et 17 juin prochains.
Un peu plus loin, serrées au milieu de la foule, Héloïse et Edouard veulent, eux aussi, transformer l'essai, en confortant le nouveau président aux législatives. "Vu le pourcentage qu'il a obtenu, il y a moyen de faire quelque chose pour le mouvement en nombre de sièges", juge Edouard, 25 ans, chargé d'inspection au bureau Veritas. Si le Front national a encore échoué à se hisser au sommet, le jeune parisien aux airs britanniques ne se fait guère d'illusion : "Les cinq ans qui arrivent seront déterminants. Ça passe ou ça casse."
"Enfin un président qui parle anglais"
En 2012, il avait voté François Hollande, sa compagne avait voté "blanc". Pourquoi avoir choisi Emmanuel Macron cette fois ? Les deux tourtereaux répondent en chœur : "Parce qu'il est jeune." "Il correspond à nos attentes sur le plan économique, il est pro-européen, on appartient à une génération où il n'y a pas de frontières, on voyage souvent", complète Héloïse, 24 ans, responsable de travaux à la RATP, toute en blondeur. "Il présente bien. Et puis on aura enfin un président qui a l'air de parler anglais", sourit son petit ami.
Ça ne fait pas trente ans qu'il cumule les mandats. Et il n'a pas de casseroles pour l'instant.
Edouard et Héloïseà franceinfo
Ils pardonnent au débutant ses maladresses au soir du premier tour. "La Rotonde, c'était pas le Fouquet's non plus", tranche Edouard. Quant à la soirée du second tour, qui ne fait que commencer, "le Louvre, c'est une belle image pour la com'".
Il devient difficile de se frayer un chemin à travers la foule de "marcheurs", de plus en plus compacte sur l'esplanade. Pas moins de 40 000 personnes ont répondu au rendez-vous, selon l'équipe de campagne. Sur les écrans géants, les plateaux télé des chaînes défilent. Mais seules les interviews des partisans de Macron sont diffusées. Le discours de défaite de Marine Le Pen ne résonnera pas ce soir. Assez vite, les émissions politiques sont zappées pour laisser place au DJ.
"Je ne voyais plus rien à gauche"
Un peu en retrait, le long des barrières, Borja papote avec deux macronistes tout juste rencontrés. Tout trois sont originaires d'Afrique et espèrent que leur champion va œuvrer pour ce continent et "mettre fin à la Françafrique et son soutien aux dictateurs en place". Mais ce qui l'a le plus attiré, c'est "l'âge" de l'ancien ministre de l'Economie. "A 39 ans, être président, bravo ! Chapeau !", lance ce comptable de 34 ans à Paris, joignant le geste à la parole. Ce père de deux enfants, écharpe nouée sur un pull en laine, avait voté François Hollande en 2012. Mais il veut en finir avec "cette vieille classe politique. Je ne voyais plus rien à gauche, c'était pas clair, dispersé. On va essayer l'ère Macron, l'ère nouvelle, l'ère de la jeunesse", hurle-t-il, pour couvrir le bruit de la musique.
Tout à coup, le niveau sonore baisse. L'apparition du visage du huitième président de la Ve République a fait taire Magic System, le groupe invité pour la soirée. Emmanuel Macron s'apprête à prononcer son premier discours de président, depuis son QG de campagne. "Une nouvelle page de notre histoire s'ouvre ce soir. Je veux que ce soit celle de l'espoir et de la confiance retrouvée", déclare-t-il avec gravité. Borja et ses compagnons commentent en direct : "Sa voix, elle est grave. C'est bien. Là il est président. Pas de 'perlimpinpin' dans son vocabulaire, il est calme, il a été coaché." Même s'il va lui falloir "trouver une majorité pour gouverner", ses fans sont confiants et se projettent au-delà de cinq ans.
Avec Macron, il y a de l'espoir. Je pense qu'avec deux mandats, il va réussir.
Borja, 34 ansà franceinfo
Dans les rangs, les discussions s'enchaînent. "Il y a tous les âges, toutes les origines, c'est très mélangé", observe un participant. "Taisez-vous!", lance une "marcheuse" aux troupes. La Marseillaise retentit et l'assemblée se met à chanter. Au milieu, un jeune Marocain à lunettes a engagé la conversation avec un couple plus âgé. Redouane, 27 ans, n'a pas pu voter car il n'est pas naturalisé français. Mais il est soulagé de voir Marine Le Pen échouer. Alain, son interlocuteur, parle d'un vrai vote d'adhésion pour l'ex-banquier d'affaires. Cet ancien soixante-huitard à l'air bonhomme, âgé de 66 ans, n'y voit aucune contradiction. "Je n'avais jamais vu autant de réunions avec un tel foisonnement d'idées, c'est vraiment collaboratif, il faut travailler avec la société civile", s'enthousiasme-t-il, ses yeux vert d'eau illuminés par les spots.
"Il va nous surprendre"
Cet inspecteur du travail, originaire des Yvelines, a troqué sa carte du Parti socialiste pour celle d'En marche ! à la fin 2016. Il n'a pas "pardonné à Benoît Hamon d'avoir mis des bâtons dans les roues à François Hollande" et n'a "pas du tout adhéré à sa fausse bonne idée sur le revenu universel". Alain, qui a voté socialiste à toutes les élections, excepté en 2002, était en 1981 au Panthéon pour l'élection de François Mitterrand. Selon lui, Emmanuel Macron s'inscrit dans la droite ligne de l'ancien président socialiste. "Il va nous surprendre, je le pense sincère. C'est pas un attrape gauche et droite, il a une vraie vision moderne."
Ça ne fait pas un pli, il se passe quelque chose, tout l'enjeu est de pouvoir maintenir ça.
Alain, 66 ansà franceinfo
"Il faut y aller, il faut garder la dynamique pour les législatives, il va falloir se battre", poursuit le sexagénaire. La sono crache le titre phare de Magic System : "Feel the magic in the air, Allez, allez, allez ! Levez les mains en l'air. Allez, allez, allez..."
"La tâche est immense"
Bras dessus, bras dessous, Reginald, 51 ans, et Marc, 46 ans, ont fait la route depuis Caen (Calvados). La dernière fois que Reginald, petit homme trapu au crâne dégarni, était sorti fêter une victoire présidentielle, c'était aussi pour l'élection de François Mitterrand en 1981, à Orléans. Ce chef de secteur en GMS a convaincu son compagnon, électricien plutôt réservé, de faire le trajet. Ce soir, ils célèbrent avec soulagement "le renouvellement" et "l'espoir" incarnés, selon eux, par Macron. "Je suis plutôt de droite pour tout ce qui est économique et de gauche pour ce qui est sociétal alors je me suis trouvé dans sa candidature", résume Reginald. Lui aussi est inquiet pour les législatives : "Les Républicains vont chercher à faire barrage. Mais j'aimerais que les gens arrivent à discuter. Je crois qu'il faut expliquer aux gens le programme."
Danseurs, "marcheurs" et curieux s'agglutinent. Circuler devient de plus en plus difficile. Soudain, tous les visages se tournent vers les écrans. Le président élu vient de faire son entrée sur l'esplanade et s'avance, depuis les Arcades, jusqu'à l'estrade. Une longue marche, de plus de trois minutes. "Il vient de loin dis donc", lance un supporter. "Bah, il marche", ironise sa voisine. Cette mise en scène très solennelle, sur l'air de L'Hymne à la joie de Beethoven – qui est aussi l'hymne européen –, n'est pas sans rappeler l'investiture de François Mitterrand, le 21 mai 1981. Le président socialiste avait remonté la rue Soufflot avec ses militants, avant de pénétrer, seul, dans le Panthéon. Emmanuel Macron, lui, monte sur scène et lance à la foule, bras levés au ciel : "La France l'a emporté." Le jeune président sait toutefois que "la tâche est immense" et que le plus dur ne fait que commencer. Pour lui, l'état de grâce n'aura peut-être duré que le temps d'une soirée.
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