François Bayrou qui se présente comme le seul candidat crédible au centre, se prépare pour la présidentielle 2012
Le président du MoDem a constitué un "Shadow Cabinet" de 22 membres pour porter ses propositions.
"C'est une nouvelle étape de la mise en marche de notre organisation pour affronter les temps qui viennent. C'est une équipe soudée (...) pas publicitaire", a expliqué M. Bayrou lors de la présentation de ce cabinet fantôme, fin septembre.
Cela sera-t-il suffisant ? Rien n'est moins sûr.
Outre la multiplication des formations centristes, la stratégie d'une "troisième voix" entre la droite et la gauche ne laisse au Président du MoDem qu'un périmètre électoral limité.
Le projet politique du parti centriste a-t-il pour autant atteint ses limites ? Après avoir perdu un grand nombre d'adhérents et enregistré le départ de plusieurs grands leaders, François Bayrou peut-il se relancer et réitérer voire dépasser son score électoral de 2007 ?
Plus largement, le centre est-il condamné en France à n'être qu'une force politique d'appoint ?
Roland Cayrol, directeur de recherches à Sciences Po et directeur général de l'Institut CSA, livre son analyse.
Quelle est la place du centre aujourd"hui ?
R.C. En France, le centre s"est toujours défini par deux mots: indispensable et introuvable.
Indispensable, car depuis qu"il y a des sondages, et ne veulent pas se situer dans un bloc ou dans un autre. Ces 8% sont évidemment déterminants dans tout scrutin.
En même temps, ne représenter que 8% des suffrages alors qu"on a une vocation gouvernementale, contraint à des stratégies complexes.
Lesquelles ?
R.C. Soit on se situe directement dans un camp - le centre en France a plutôt eu tendance à être dans celui de la droite - en étant un « petit frère » d"une coalition et du coup, on n"a pas un rôle fondamental
Soit on essaye d"être autonome et c"est alors très compliqué de franchir la barre de qualification pour un second tour présidentiel.
C"est toute l"ambigüité du centre et c"est le problème du MoDem. Il a eu la chance avec Bayrou d"avoir un candidat à la présidentielle qui a franchi une fois la barrière avec 18,6 % des voix. Il a donc le rêve de reproduire ce score, voire de faire un peu mieux, et de devenir un acteur majeur d"un scrutin présidentiel.
Comment se porte le MoDem aujourd"hui ?
R.C. Il a toujours son président, un président toujours populaire, toujours doté d"une ambition présidentielle et d"une image d"homme d"Etat dans l"opinion.
Mais en même temps, il est devenu un petit parti. Il a progressivement perdu ses parlementaires, ses élus locaux, ses réseaux militants, dispose de peu de moyens financiers et a donc une vrai difficulté à s"insérer dans le débat politique.
A vous entendre, réitérer le score de 2007 semble difficile ?
R.C. En dix-huit mois, tout est possible dans la vie politique actuelle. Qui aurait dit que François Bayrou ferait 18,6 %, dix-huit mois avant la présidentielle de 2007 ?
Mais il est évident qu"aujourd"hui, le centre est encombré : il y à la fois le MoDem, le Nouveau centre qui a quand même fini par exister et qui a, en la personne d"Hervé Morin, une visée présidentielle. Et il y a Dominique de Villepin qui chasse aussi en partie sur les terres du centre.
Dans ses conditions, réitérer la performance de 2007 est très compliqué. Le seul espoir serait de parvenir à unifier l"ensemble de ces centres. Leurs dirigeants en parlent de temps en temps, mais de là à le faire…
Comment les Français perçoivent-ils la doctrine du MoDem ?
R.C. Concernant le centre et en particulier le MoDem, ils ont d"abord l"idée de la modération, de personnalités qui se situent "au milieu", censées être raisonnables et qui s"entendent pour gouverner et affronter les problèmes de la crise.
C"est donc l"idée d"un mélange des valeurs de gauche et de droite qu"ils réconcilient, comme par exemple ordre et liberté, autorité et pluralisme ou nation et Europe.
C"est une espèce de volonté de modération et de conciliation.
Et sur le plan économique ?
R.C. C"est identique sur le plan du mélange des valeurs. C"est l"acceptation des grands principes du capitalisme et de son fonctionnement mais avec un correctif social, c"est-à-dire l"efficacité économique assortie d"une justice sociale.
Les Français peuvent-ils s"y retrouver dans cette "balkanisation" du centre ?
R.C. C"est là le vrai problème du centre. L"opinion ne sait pas ce qui sépare Hervé Morin, de Jean-Louis Borloo, de Dominique de Villepin, et ce sur quoi ils s"affrontent exactement.
Il y a bien le sentiment qu"ils se battent pour le pouvoir. Mais de là à comprendre les batailles d"appareil, les raisons des oppositions, et les raisons pour lesquelles il est impossible de les réconcilier… cela échappe totalement aux citoyens.
Mais qu"est-ce qui différencie ces personnalités politiques sur le fond ?
R.C. Au-delà des stratégies individuelles, il y a une question : « Est-ce que oui ou non le centre doit accepter d"être partie prenante d"une coalition ? » Même si Hervé Morin a une visée de candidature, il est dans une majorité et ne se situe pas en rupture avec cette coalition.
A l"inverse, la stratégie de François Bayrou est d"être en dehors des coalitions et d"amener à lui des électeurs déçus des deux camps, ce qui lui permettrait de refonder le système politique autrement.
Une réconciliation entre François Bayrou et Hervé Morin est-elle possible ?
R.C. Tout est possible. Après tout, ils ont travaillé ensemble pendant longtemps. Hervé Morin a été le fidèle lieutenant de François Bayrou (Hervé Morin fut secrétaire national de l'UDF de 1999 à 2007, une UDF présidée alors par François Bayrou. Il fut aussi son porte-parole lors de la campagne présidentielle de 2002, ndlr).
Pour les sympathisants, cela serait opportun de se dire que toutes les formations du centre pèsent plus toutes ensemble que séparées, mais entre cette constatation raisonnable et les calculs politiques des uns et des autres, il y a évidemment un fossé.
Quelle place occupe le centre dans les autres pays d"Europe ?
R.C. C"est lorsqu"il y a une représentation proportionnelle qu"un parti centriste a le plus de chance d"exister. Les groupes charnières peuvent jouer un rôle et le centre peut-être indispensable à la constitution d"une majorité.
On l"a vu avec les libéraux démocrates en Angleterre et on le voit depuis très longtemps en Italie ou en Allemagne.
La France cumule tous les inconvénients pour le centre : un scrutin majoritaire et un régime présidentiel, des systèmes qui favorisent la bipolarisation de la vie politique.
A qui cette multiplication des formations au centre peut-elle profiter ? A l"UMP ? Au PS ou aux extrêmes ?
R.C. Tout dépend des candidats. Mais il y a une loi de base dans toute élection, c'est qu'au final, le total fera toujours 100 %.
Et donc plus il y a de candidatures, chacun faisant quelques pourcentages, plus il y a de risques que l"un des deux camps "leaders" soient tellement affaibli qu"il n"atteigne pas le second tour.
Que montrent les tendances à dix-huit mois des présidentielles ?
R.C. La situation est plus compliquée que jamais pour le centre et on ne voit pas pour le moment de candidat centriste capable de venir troubler le jeu gauche/droite.
Les candidats crédibles pour emporter le pouvoir sont à droite Nicolas Sarkozy et à gauche, Dominique Strauss-Kahn voire Martine Aubry. Et si c"était Dominique Strauss-Kahn, ce serait encore plus compliqué pour le centre puisque DSK exerce une véritable attraction sur l"électorat centriste.
Quel message François Bayrou peut-il faire passer ce week-end aux Universités d"été et dans les prochains mois ?
R.C. Je crois qu"il n"a pas le choix. Il a défini une stratégie qu"il a tout de même réussi à faire comprendre à pas mal de militants, aux médias et aux gens qui s"intéressent à la politique.
Maintenant, quelles que soient les initiatives tactiques qu"il peut être amené à prendre, il ne peut pas rompre avec sa stratégie initiale d'indépendance vis-à-vis de la droite et de la gauche.
Son problème aujourd"hui consiste à regrouper autour de lui des personnalités qui puissent compter dans une élection présidentielle, c"est-à-dire lui ré-apporter des réseaux, de la crédibilité et éventuellement des soutiens financiers.
* Roland Cayrol est l"auteur notamment de "Le Grand Malentendu, les Français et la politique", de "Sondages, mode d"emploi" et "Médias et démocratie : la dérive", parus aux éditions Sciences-Po en 2000 et 2004, ainsi que "La revanche de l"opinion", édité chez Jacob-Duvernet en 2006.
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