François Fillon est-il, comme il le dit, victime d'un traitement partial de la justice ?
Le candidat de droite à la présidentielle considère qu'il est particulièrement malmené dans l'enquête sur les soupçons d'emploi fictif de sa femme. Ses accusations sont-elles fondées ?
"Depuis l'origine, je n'ai pas été traité comme un justiciable comme les autres." Mercredi 1er mars, François Fillon s'est livré à une virulente contre-attaque en annonçant son maintien dans la course à l'Elysée malgré sa convocation par la justice en vue d'une probable mise en examen dans l'affaire de l'emploi présumé fictif de son épouse, Penelope Fillon.
"Je ne céderai pas, je ne me retirerai pas (...) J'irai jusqu'au bout", a déclaré le candidat des Républicains, avant de dénoncer un "assassinat politique" et de sous-entendre à nouveau l'existence d'une manœuvre derrière ses déboires judiciaires. "L'Etat de droit a été systématiquement violé", a-t-il encore plaidé.
France info a passé son argumentaire au crible.
Une convocation décidée très vite ?
"Il est sans exemple, dans une affaire de cette importance, qu'une convocation aux fins de mise en examen soit lancée quelques jours à peine après la désignation des juges (...)", s'est indigné François Fillon depuis son QG de campagne.
C'est vrai, mais... Après un mois d’enquête préliminaire, le 24 février, le Parquet national financier a confié le dossier Penelope Fillon à trois juges d’instruction chargés d'instruire l'affaire et de décider d’une éventuelle mise en examen de son mari. Cinq jours plus tard, François Fillon a confirmé avoir été convoqué le 15 mars, en vue de sa mise en examen. Or, pour le candidat, il est évident qu' Aude Buresi, Stéphanie Tacheau et Serge Tournaire, les trois magistrats en charge du dossier, n'ont pas pu prendre "connaissance du dossier, ni procédé à des investigations supplémentaires", en l'espace de cinq jours. "Les seuls cas [de mises en examen si rapides] que l'on connaisse sont ceux où les personnes reconnaissaient les faits et demandaient leur mise en examen pour avoir accès au dossier", a poursuivi le candidat, qui a toujours opposé un démenti formel aux accusations portées à son encontre.
"C'est effectivement un délai très court, mais qui peut s'expliquer par la spécificité de la situation", explique Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'université Paris-II Panthéon-Assas et secrétaire général du think tank indépendant Le Club des juristes. "La rapidité [à laquelle survient cette convocation ] laisse penser que l'enquête a déjà été bouclée par le PNF [Parquet national financier]. Concrètement, les juges ont pu s'appuyer sur le travail des enquêteurs et n'ont pas eu besoin de réaliser d'actes supplémentaires", détaille-t-il auprès de franceinfo.
Enfin, "le PNF avait tout intérêt à passer le relais aux juges d'instruction", explique le juriste, citant deux raisons : "La première tient à la problématique de la prescription liée à l'entrée en vigueur de la loi adoptée le 16 février. Renvoyer le dossier aux juges d'instruction rapidement permet d'éviter une éventuelle prescription soulevée par l'application de cette loi. Enfin, ce choix s'inscrit dans un contexte de polémique sur la compétence du PNF sur la question des détournements de fonds publics." Une question qui a fait débat parmi les juristes.
Une date choisie de manière suspecte ?
Pour François Fillon, on voit "au simple choix de la date du 15 mars, deux jours avant la clôture des parrainages", que cette mise en examen vise à "l'empêcher d'être candidat à la présidentielle."
C'est faux. Cette date témoigne-t-elle d'une volonté de donner un coup d'accélérateur à la procédure ? Elle est en tout cas dans les clous de ce que fait la justice habituellement. En effet, un délai de minimum 10 jours (et de 2 mois maximum) doit s'écouler entre la notification de la convocation et celle-ci. Il n'est donc pas anormal que François Fillon ait reçu sa convocation le 1er mars pour un rendez-vous fixé au 15. Difficile d'imaginer, à moins de deux mois de la présidentielle, qu'une date, quelle qu'elle soit, puisse de toute façon lui convenir.
Une enquête préliminaire ouverte trop vite ?
Les révélations du Canard enchaîné sur l'emploi présumé fictif de Penelope Fillon en tant qu'assistante parlementaire de son mari sont sorties mardi 24 janvier, dans l'édition de l'hebdomadaire datée du lendemain. Dès mercredi 25 janvier, soit quelques heures plus tard, le Parquet national financier (PNF) ouvrait une enquête préliminaire des chefs de "détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits".
C'est plutôt normal. Une rapidité exceptionnelle, comme semble l'indiquer François Fillon ? Pas pour le PNF. En effet, la vitesse est l’une des marques de fabrique de cette entité créée dans la foulée de l'affaire Cahuzac, en 2013. Ainsi, le PNF a lancé des investigations sur des soupçons d’évasion fiscale dès la parution dans la presse des listings des "Panama Papers" ou encore des "Football Leaks". "Nous sommes très attachés à l’égalité de tous devant la loi, a confié à franceinfo Jean-Marc Toublanc, le secrétaire général du Parquet national financier. Dès que nous constatons des soupçons d’un délit qui relève de nos compétences, on se saisit de l’affaire quelles que soient l’importance, la sensibilité ou la couleur politique de la personne concernée. A plusieurs reprises, nous avons engagé très rapidement des enquêtes pour vérifier la réalité des faits présentés dans la presse."
Une présomption d'innocence bafouée ?
Pour François Fillon, les juges ont décidé de cette convocation "sur la simple base d'un rapport de police, manifestement à charge, c'est-à-dire pour condamner". Sur ce même thème, il assure notamment que "la présomption d'innocence a complètement et entièrement disparu".
C'est difficile à démontrer. "Ce sera difficile d'établir qu'il y a eu une violation du secret de l'enquête", estime pour sa part Nicolas Molfessis. "François Fillon pourrait, le cas échéant, se plaindre que des extraits de procès-verbaux se soient retrouvés dans la presse, mais cela ne saurait avoir d'effet sur la validité des actes d'enquête", poursuit le professeur de droit. Bref, si le candidat a bien assuré que "les procès-verbaux ont été communiqués à la presse" – ce qui semble être effectivement le cas –, il risque de ne pas pouvoir avancer les preuves d'un complot politique.
L'accusation a en tout cas fait réagir le garde des Sceaux. Dans la foulée de la conférence de presse de François Fillon, Jean-Jacques Urvoas a défendu les juges d'instruction qui "conduisent leurs enquêtes en toute indépendance, de manière collégiale, dans le respect du contradictoire et de la présomption d'innocence".
Des arguments arbitrairement écartés ?
"Les arguments de fait que j'ai présentés n'ont pas été entendus, ni relayés. Mes avocats ont demandé que la chambre de l'instruction de la cour d'appel statue immédiatement sur les irrégularités de la procédure. Cela leur a été refusé", a encore accusé François Fillon.
C'est faux. L'accusation n'est pas recevable, selon Nicolas Molfessis. Et pour cause, "il était impossible à François Fillon de saisir la chambre de l'instruction avant d'avoir été mis en examen. Seules les personnes ayant un statut dans l’information judiciaire – les personnes mises en examen, les témoins assistés et les victimes qui se sont constituées parties civiles – peuvent la saisir. Une personne simplement 'suspecte' ne bénéficie d'aucun statut." Aussi, la mise en examen de François Fillon permettrait à ses avocats d'avoir accès au dossier afin de mettre en œuvre sa défense.
Si cette mise en examen intervient, le candidat pourra notamment faire valoir ces "arguments de droits, partagés par des grands professeurs de droit, [lesquels] ont été écartés d'un revers de la main", selon lui. Et de mettre en doute la compétence du PNF sur la qualification de "détournement de fonds publics" ainsi que la séparation des pouvoirs.
"Un déchaînement" inédit ?
"Par ce déchaînement disproportionné, sans précédent connu, par le choix de ce calendrier, ce n'est pas moi seulement qu'on assassine, c'est l'élection présidentielle", a plaidé François Fillon.
C'est faux. Depuis l'éclatement de l'affaire, le candidat n'a eu de cesse de dénoncer le traitement, injuste selon lui, que lui réserve la justice, mais aussi les médias. Ces nouvelles accusations font écho aux précédentes, quand il évoquait des "attaques inédites. Du jamais-vu sous la Ve République." Or, France Inter relevait déjà, début février, que cette affirmation était sans fondements : en 1968-1969, l'affaire Markovic a pollué la campagne de Georges Pompidou et plus récemment, en 2007, l'affaire Clearstream a ébranlé Nicolas Sarkozy, accusé à tort de détenir un compte bancaire à l'étranger. La radio cite également l'affaire des diamants de Bokassa pour Valéry Giscard d'Estaing – qui l'a poursuivi pendant toute la campagne de 1981. Bref, "François Fillon n'est donc vraiment pas le premier pris dans la lessiveuse des affaires pendant une campagne électorale..." explique France Inter.
Et si "c'est la liberté du suffrage et la démocratie politique elle-même qui sont violemment percutées", estime François Fillon, il n'existe pas en droit français de "trêve judiciaire", censée épargner les différents candidats à l'approche de scrutins.
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