Quatre contrevérités sur l'abaissement de la majorité pénale à 16 ans que propose François Fillon
La mesure, qui n'est pas une idée nouvelle, ne figurait pas jusque-là dans le programme de François Fillon, mais dans celui de Nicolas Sarkozy. En la dévoilant, le candidat à la présidentielle a émis des inexactitudes que franceinfo décrypte.
"Il est donc temps d'en finir avec un système qui ne fonctionne pas. C'est pourquoi je propose de fixer désormais la majorité pénale à 16 ans." Le candidat de la droite à la présidentielle François Fillon a annoncé, mercredi 15 février, qu'il souhaitait que les jeunes âgés de 16 à 18 ans soient jugés comme des adultes. Il a d'abord dévoilé la mesure dans un communiqué. Puis il l'a formulée oralement, en allusion "aux récents évènements survenus en Seine-Saint-Denis", à son arrivée à Compiègne (Oise), mercredi après-midi.
Les mineurs sont déjà responsables pénalement
Contrairement à ce que laisse entendre François Fillon, en France, les mineurs ne sont pas irresponsables pénalement. "La loi ne fixe pas d'âge minimum en dessous duquel un mineur ne peut rendre des comptes", indique le site du ministère de la Justice. Car le critère inscrit dans la loi n'est pas l'âge, mais le "discernement".
Comme le rappelle Michel Huyette, ancien juge des enfants, c'est l'article 122-8 du Code pénal qui l'énonce : "Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables." L'ex-magistrat cite cet article fondateur sur son blog. Ainsi, "un enfant de moins de 10 ans peut être responsable pénalement. Seul compte son discernement, sa capacité à comprendre les conséquences de ses actes", précise le site Service-public.fr.
Ils peuvent être condamnés à une peine de prison dès 13 ans
Actuellement, ce qui change selon l'âge, ce sont les sanctions. Un mineur de moins de 10 ans ne peut subir que des mesures éducatives. Idem pour les mineurs de 10 à 12 ans, qui risquent en plus des sanctions éducatives. A partir de 13 ans, un mineur peut être condamné à une peine de prison. Mais elle ne peut excéder la moitié du maximum prévu pour un majeur coupable des mêmes faits. Il risque également une amende de 7 500 euros au maximum et un placement dans un centre éducatif fermé. Et entre 16 et 18 ans, un mineur peut être condamné à plus de la moitié, voire à la totalité de la peine de prison prévue pour un adulte, ainsi qu'à la même amende. Tout dépend de sa personnalité et des circonstances de l'infraction.
Il existe donc des exceptions, mais ce ne sont pas des cas isolés. "Aujourd'hui 800 mineurs sont en prison dont un quart a moins de 16 ans (...) et trois quarts entre 16 et 18 ans", indique Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, sur son blog. L'emprisonnement est même la principale peine prononcée, selon le dernier bulletin d'information statistique du ministère de la Justice (PDF). Ainsi, quand François Fillon dit que "les individus de 16 ou 17 ans profitent de la clémence du système", c'est faux.
"Quand on a 16 ou 17 ans, qu'on attaque un policier, on doit savoir qu'on finira en prison, a également déclaré le candidat de la droite à la presse. Ces jeunes délinquants, lorsqu'ils seront condamnés à des peines de prison, seront incarcérés dans des établissements spécialisés pour mineurs pour les protéger des contacts avec des prisonniers adultes." Mais cette possibilité existe déjà.
Une mesure qui n'est pas nouvelle...
L'abaissement de la majorité pénale à 16 ans n'est pas une nouveauté : elle était déjà dans le programme de Nicolas Sarkozy pour la primaire de la droite. En revanche, elle ne figurait pas encore dans le programme de François Fillon. Bien au contraire : selon Europe 1 et L'Express, le candidat n'y était pas favorable il y a encore un mois. "C'est en sortant d'un déjeuner avec l'ancien président [Nicolas Sarkozy] que François Fillon a opéré cette volte-face", indique Europe 1.
Car le sujet est cher à l'ex-chef de l'Etat. Pendant son mandat, l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, prise après la Libération, a été modifiée une cinquantaine de fois. Malgré cela, l'ancien Premier ministre a indiqué, mercredi, aux côtés du député sarkozyste Eric Ciotti que "l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, bien que modifiée maintes fois, ne permet pas d'apporter une réponse proportionnée aux actes de délinquance commis par des individus de 16 ou 17 ans."
Si François Fillon déclare cela, c'est parce que l'ordonnance de 1945 contient "l'excuse de minorité", un principe d'atténuation de la peine. Par exemple, un adolescent de 16 ou 17 ans qui brûle une voiture peut être condamné à cinq ans de prison, si l'excuse de minorité est retenue. Mais elle peut être levée, notamment s'il s'agit d'un délinquant multirécidiviste. L'adolescent sera alors condamné à dix ans de prison ferme, comme un majeur. C'est ce dernier cas que François Fillon voudrait élargir à tous les mineurs âgés de 16 à 18 ans.
... et qui peut être considérée comme inconstitutionnelle
Mais l'application d'une telle mesure sera difficile, car la France a ratifié la Convention internationale du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant. "En d’autres termes, nous avons contracté un engagement international clair et ferme qui consiste à ne pas traiter les moins de 18 ans comme des adultes", précise Jean-Pierre Rosenczveig. En outre, en 2002, le Conseil constitutionnel a défini la majorité à 18 ans comme un principe à valeur constitutionnelle. D'ailleurs, Nicolas Sarkozy s'est heurté à ce principe lorsqu'il a tenté d'instaurer l'abaissement de la majorité pénale.
Car il y a tout de même une différence de taille entre mineurs et majeurs : les magistrats qui les jugent. Les enfants et les adolescents relèvent du juge des enfants, ou d'un tribunal pour mineurs : le tribunal pour enfants ou, pour les 16-18 ans, la cour d'assises pour mineurs.
Si la majorité pénale était, comme le souhaite François Fillon, abaissée à 16 ans, les justiciables de 16 ou 17 ans comparaîtraient donc devant un tribunal correctionnel ou une cour d'assises ordinaire. "Un mineur serait jugé comme un majeur, sans aucune prise en compte de l'aspect éducatif", explique à Libération Ludivine Leroi, avocate, coprésidente du groupe de défense des mineurs au barreau de Rennes.
Or, les mesures éducatives constituent une part importante de la peine prononcée à l'encontre d'un mineur. Tout simplement parce qu'on considère qu'un enfant ou un adolescent est encore en développement. "La justice ordinaire considère que chaque acte mérite une sanction, une réponse, alors que ce que l'on demande au juge des enfants, c'est de faire qu'une personne ne soit pas délinquant toujours. La justice des majeurs vise à sanctionner le passé, la justice des mineurs vise à préparer l'avenir", explique encore Jean-Pierre Rosenczveig.
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