Commission d'enquête sur les ingérences étrangères : ce que reproche le rapport parlementaire au Rassemblement national
Le Rassemblement national (RN) ne masque pas sa colère. Marine Le Pen a estimé, jeudi 1er juin, que le rapport parlementaire de la commission d'enquête sur les ingérences étrangères, qui a fuité dans la journée, était "malhonnête et tout à fait politisé". "Il n'y a rien, en fait", a-t-elle assuré, avant de dénoncer "un procès politique" lors d'une conférence de presse dans le Pas-de-Calais. Ironie de l'histoire, c'est à l'initiative du RN que cette commission a été créée. L'objectif du parti était notamment de répondre aux accusations d'influence russe lancées par Emmanuel Macron et la majorité présentielle, en étendant l'enquête "à l'ensemble des partis politiques et dirigeants français et à l'ensemble des ingérences potentielles", avait annoncé le RN.
Au total, 30 députés de tous bords ont siégé dans cette commission. Le rapport a été adopté avec 11 voix pour, 5 contre et deux abstentions, selon nos informations. Franceinfo vous livre les détails de ce document qui provoque l'agacement de l'ancienne candidate du RN à la présidentielle.
"Un soutien idéologique" au régime de Vladimir Poutine
Après avoir détaillé les principales menaces d'ingérences venues de Russie, de Chine, d'Iran, du Maroc, du Qatar et de la Turquie, le rapport se concentre sur les ingérences russes. "Le Rassemblement national présente une singularité par sa proximité idéologique avec le régime russe et par des liens financiers qui feront l'objet d'une analyse détaillée", annonce la rapporteuse de la commission, Constance Le Grip (Renaissance). Le texte évoque ensuite les liens entre la Russie et certaines personnalités du RN comme Thierry Mariani et Aymeric Chauprade. Ce dernier, député européen du Front national de 2014 à 2019, "a incontestablement joué un rôle clé dans la construction de liens entre le Front national et certains proches de M. Poutine", estime le rapport.
Le rapport cite les mots de la députée européenne Nathalie Loiseau, auditionnée par la commission d'enquête le 6 avril. Selon l'ancienne ministre chargée des Affaires européennes, le circuit "privilégié par Moscou pour diffuser son influence en France est, comme ailleurs en Europe, l'extrême droite".
"Ce lien s'explique notamment par une forte convergence de vues avec le pouvoir russe sur un certain nombre de valeurs politiques et de questions géopolitiques", commente le rapport. Il évoque un lien "ancré dans la durée" et rappelle les positions russophiles de Jean-Marie Le Pen par le passé, avant d'estimer que "la stratégie de rapprochement politique et idéologique entre le parti et le régime de Moscou va se structurer et s'accélérer" après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du RN. Le rapport souligne les contacts "fréquents" entre des responsables du RN et des responsables russes.
"Le rapprochement avec les cercles du pouvoir poutinien devient un objectif [du RN.]"
La commission d'enquêtedans son rapport
Le rapport s'attarde ensuite sur les déclarations de Marine Le Pen au sujet de la Russie. Il rappelle que la présidente du RN a dit, par le passé, partager des "valeurs communes" avec les Russes et être "peut-être la seule en France qui défend la Russie", comme le relate Mediapart.
L'ancienne candidate RN à la présidentielle a notamment défendu à plusieurs reprises l'annexion de la Crimée par la Russie. "Ce relais direct du discours officiel russe, 'cette courroie de transmission' efficace et, sur ce sujet-là du moins, jamais démentie, sont visiblement appréciés à Moscou", note le rapport, qui prend en exemple les réactions enthousiastes de la presse russe après l'audition de Marine Le Pen par la commission d'enquête. "Tous ses propos sur la Crimée, réitérés lors de son audition par la commission d'enquête, reprennent mot pour mot les éléments de langage officiels du régime de Poutine", dénonce Constance Le Grip. "Il est à noter toutefois que le déclenchement de l'agression de la Russie envers l'Ukraine le 24 février 2022 a marqué une atténuation des prises de position prorusses du Rassemblement national", nuance la rapporteuse.
Le document assure également que le régime russe "a valorisé en retour" le RN et sa dirigeante. Il évoque la rencontre officielle entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine, le 24 mars 2017, moins de quatre semaines avant le premier tour de la présidentielle française. "Cette rencontre officielle, que seule la presse russe a pu couvrir, était très attendue par Mme Le Pen, qui la sollicitait depuis plusieurs années" afin de se construire une "stature internationale", poursuit le rapport. Ce dernier revient aussi sur un projet d'alliance, appelé "AltIntern" et porté par l'oligarque russe Konstantin Malofeïev. Ce dernier rêve "d'un rapprochement entre les extrêmes droites européennes partageant une même vision d'une Europe conservatrice, chrétienne et débarrassée de la 'bureaucratie bruxelloise'". Comme l'avait révélé l'émission "Complément d'enquête", le projet "AltIntern" "intégrait tout à fait le Rassemblement national dans son périmètre", souligne le rapport.
"Des actes de soutien" à la Russie
Le rapport évoque deux types de soutien du RN à la Russie de Vladimir Poutine : les déplacements et les votes au Parlement européen. Marine Le Pen "s'est rendue au moins à quatre reprises à Moscou : en 2013, en 2014, en 2015 et en 2017", note le rapport. Ce dernier s'attarde sur les nombreux déplacements des eurodéputés RN, à l'image de la visite d'une délégation menée par Thierry Mariani en Crimée ou lors d'un référendum constitutionnel en Russie. Si le vote a été entaché de fraudes, selon plusieurs observateurs, "aucun des membres de la délégation d'eurodéputés du Rassemblement national n'a constaté d'entorse aux règles électorales", s'étonne le rapport.
"Une autre forme de soutien explicite au régime russe a consisté, pour les députés européens membres du Rassemblement national, à voter en s'alignant systématiquement sur l'intérêt du régime russe."
La commission d'enquêtedans son rapport
"De mars 2019 à février 2022, le Rassemblement national n'a pas voté un seul texte critique envers la Russie", assure le rapport, qui dresse la liste des votes du groupe RN. Après le début de l'invasion russe en Ukraine, le RN a voté quatre résolutions défavorables à la Russie, "tout en continuant à s'abstenir ou à voter contre beaucoup d'autres".
Le rapport s'interroge ensuite sur les possibles contreparties obtenues par le RN en échange de ce soutien actif à la Russie. "Personne n'ignorait qu'un certain nombre d'hommes et de femmes politiques français d'un certain bord venaient [à Moscou] et ne repartaient pas les mains vides", avait déclaré sur LCI l'ancien ambassadeur de France en Russie (entre 2013 et 2017), Jean-Maurice Ripert. Auditionné par la commission d'enquête, il a précisé qu'il s'agissait d'un "jugement personnel" fondé sur ses "impressions", mais il a maintenu ses propos qui visaient des "représentants de l'ancien parti Front national".
La question du "prêt russe"
En introduction de son rapport, Constance Le Grip estime que "l'initiative du Rassemblement national [de créer la commission] a pour objectif de 'purger' la question du prêt russe accordé au Front national en 2014, et, du même coup, celle de la nature des liens tissés par de nombreux élus et responsables du parti avec le régime russe". Le rapport souligne qu'un ancien micro-parti de Jean-Marie Le Pen, Cotelec, a bénéficié en 2014 d'un prêt de 2 millions d'euros d'un établissement chypriote, Vernonsia Holdings Ltd. Selon Mediapart, ce financement aurait été alimenté par des fonds russes reliés à un ancien agent des services secrets soviétiques ayant dirigé la banque d'Etat russe VEB Capital, "le bras financier du Kremlin", note le rapport. "La même année, le Front national a contracté un prêt de 9,4 millions d'euros auprès d'une banque russe, la First Czech Russian Bank", ajoute la rapporteuse.
Après des "tribulations pour le moins étranges", ce prêt se retrouve placé entre les mains de la société Aviazapchast, dont l'unique actionnaire est Valery Zakharenkov, "un oligarque russe réputé proche du Kremlin", poursuit le rapport. Le Rassemblement national a alors négocié avec son nouveau créancier "un nouveau contrat de prêt". Le Russe a fait plusieurs concessions, selon le rapport : "Il renonce à percevoir toute la somme d'un coup, mais aussi à toucher les amendes prévues pour un éventuel non-remboursement du prêt. Surtout, Aviazapchast a accepté un rééchelonnement du prêt", détaille le document.
"L'ensemble de ces circonstances conduit à s'interroger sur les motivations qui ont conduit à l'octroi de ces prêts par des établissements russes au FN puis au RN, alors que le parti a, comme on l'a décrit précédemment, multiplié les marques de soutien et de proximité envers le pouvoir russe."
La commission d'enquêtedans son rapport
Marine Le Pen a répondu lors de son audition par la commission d'enquête, en dénonçant une "campagne de diffamation", qu'elle attribue au président de la République. "Je vous répète pour la énième fois que le seul lien qui existe entre le Rassemblement national et la Russie est un prêt qui a été signé en 2014, que nous remboursons chaque mois et que nous rembourserons jusqu'en 2028."
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