"Libéré, délivré"... A quoi ressemble la nouvelle vie de Florian Philippot loin du FN ?
L'ancien numéro 2 du Front national a fondé son propre parti, Les Patriotes, et compte désormais concurrencer son ancienne famille politique. Franceinfo s'est intéressé au quotidien du médiatique député européen, un mois après son départ du FN.
Autour de la table, Les Patriotes n'hésitent pas à détendre l'atmosphère en se moquant des récents communiqués du Front national. "Les gens créatifs sont partis avec nous, sourit Joffrey Bollée, directeur de cabinet de Florian Philippot. Regardez les fautes d'orthographe dans leurs communiqués, la qualité de leurs visuels… Il y a un effondrement du niveau." Pour la première grande réunion de son nouveau parti, samedi 7 octobre à Paris, l'ancien numéro 2 du FN réunit ses proches dans le très chic hôtel Napoléon, à deux pas de l'arc de Triomphe. Après l'annonce de son divorce politique avec Marine Le Pen, le 21 septembre, le député européen tente de mettre ses troupes en ordre de marche.
Dans la salle ce jour-là, une trentaine de personnes : l'eurodéputée Sophie Montel, les jeunes militants Cyril Martinez ou Eric Richermoz, ou encore l'acteur Franck de Lapersonne... Mais peu de figures connues du grand public : le FN a gardé les têtes d'affiche. "L'ambiance était très calme, très disciplinée", raconte le comédien qui s'était présenté aux élections législatives dans la Somme en juin. Joffrey Bollée énonce les points de l'ordre du jour et l'ancien vice-président du FN questionne ses proches sur la tactique à adopter. La réunion dure plus de quatre heures – "J'avais la tête comme un ballon", avoue un participant.
C'est très différent d'un bureau politique du FN où on écoutait sagement la présidente. Là, les gens osent dire ce qu'ils pensent.
Sophie Montel, eurodéputéeà franceinfo
"On lève la barre semaine après semaine"
Le parti se targue d'avoir plus de 3 500 membres – encore bien loin des 80 000 adhérents revendiqués par le FN – et cherche à se structurer localement. Une quinzaine de référents locaux sont désignés lors de la réunion, ce qui reste bien insuffisant pour couvrir tout le territoire français. "On ne souhaite pas annoncer les 100 référents d'un coup, on lève la barre et le niveau d'ambition semaine après semaine", confie Florian Philippot à franceinfo. Cette stratégie révèle aussi que le départ de l'ex-éminence grise de Marine Le Pen n'a pas provoqué une hémorragie au FN. La vieille maison frontiste a gardé la grande majorité des élus et des cadres.
En quittant le parti, Florian Philippot et ses proches ont aussi renoncé à un certain confort. Le mouvement n'a pour l'instant ni locaux, ni salarié. Les réunions sont principalement téléphoniques. Chacun est contraint de s'organiser depuis chez lui. "Ce qui me manque le plus, c'est l'abonnement à l'AFP", reconnaît Joffrey Bollée. "Avec une tablette et un ordi portable, vous pouvez travailler n'importe où, relativise Florian Philippot. Je peux écrire des communiqués depuis mon iPhone dans une voiture." Mais il espère tout de même poser ses cartons au courant du mois de novembre dans un immeuble parisien, rive droite. "C'est en bonne voie", assure-t-il.
Si la liberté demande des sacrifices, à écouter les philippotistes, leur leader n'a jamais été aussi heureux depuis son départ du FN. "Il est positif, joyeux, enthousiaste", assure Franck de Lapersonne. "Je le trouve beaucoup plus souriant, moins accablé qu'avant. Il était fatigué de la pression, de toutes les petites piques, complète Cyril Martinez, référent national au numérique des Patriotes. Là, il revit." "Oui, ça va très bien, confirme l'ancien bras droit de Marine Le Pen. Les semaines difficiles, c'était avant de partir."
Il est un peu dans le 'Libérée, délivrée' de 'La Reine des neiges'.
Eric Richermoz, conseiller régional des Hauts-de-Francefranceinfo
Libéré de Marine Le Pen ? Assis dans son café préféré du 6e arrondissement, Florian Philippot se tend légèrement au moment de parler de la présidente du FN. Interrogée par La Voix du Nord, la fille de Jean-Marie Le Pen ne s'est pas montrée tendre envers son ancien lieutenant, qui l'a pourtant servie pendant huit ans : "Il avait en partie anéanti la camaraderie qui règne au FN, il avait réussi à se mettre tout le monde à dos." "Je ne pensais pas que Marine Le Pen allait tomber là-dedans", réplique Florian Philippot, avec une pointe d'amertume.
Les attaques personnelles, ce n'est pas utile. Je n'ai pas quitté une secte, mais un parti politique. Et j'en ai parfaitement le droit.
Florian Philippotfranceinfo
Ancien frontiste recherche respectabilité
Florian Philippot revendique désormais son indépendance. L'eurodéputé assure qu'il rencontre des personnalités politiques comme des intellectuels. Mais ne dévoile que peu de noms. "Les gens veulent vous voir pour discuter, pas pour que ce soit sur la place publique, explique-t-il. Ce n'est pas de la com', c'est du travail." Il affirme qu'il doit bientôt voir Nicolas Dupont-Aignan, "mais je ne suis pas pendu toute la journée au téléphone avec lui". Il détaille plus volontiers sa rencontre avec le Britannique Nigel Farage, le 3 octobre au Parlement européen : "Il a mis vingt-trois ans à obtenir un référendum pour le Brexit. J'espère qu'on ira un peu plus vite pour le Frexit." Il vient d'ailleurs de rejoindre au Parlement le groupe du membre fondateur du Ukip.
Nigel Farage m'a dit qu'il fallait se tenir à une idée et ne pas en dévier.
Florian Philippotà franceinfo
Et au-delà des milieux souverainistes ? Florian Philippot s'exaspère de voir que la vie politique française "reste organisée sur un concept artificiel de guerre civile" et aimerait mener des combats avec d'autres partis d'opposition : "Par exemple sur la loi Travail, pourquoi pendant deux-trois mois on ne peut pas se parler avec ceux qui luttent contre cette loi, y compris Mélenchon ?" En juillet, Alexis Corbière, député de La France insoumise, avait décliné sans ménagement une invitation à prendre un café. Mais certains membres des Patriotes affirment que, désormais, la porte pourrait s'entrouvrir pour Florian Philippot, débarrassé de l'étiquette FN.
Le 2 octobre, il participait par exemple à une soirée-débat dans un théâtre parisien. Pour 26 euros, les spectateurs ont pu le voir discuter et débattre avec l'éditorialiste Dominique de Montvalon, l'économiste Nicolas Bouzou et le député MoDem Jean-Louis Bourlanges. Des échanges animés par le journaliste Christophe Barbier, affublé, selon la coutume de ce genre de spectacle, d'un costume de dompteur avec veste à épaulettes dorées.
Au théâtre de poche ! pic.twitter.com/VAEFXcEMCS
— Florian Philippot (@f_philippot) 2 octobre 2017
Depuis son départ du FN, Florian Philippot est "ponctuellement fréquentable et journalistiquement intéressant", estime Dominique de Montvalon. Tout en rappelant ses désaccords avec l'ancien frontiste, Jean-Louis Bourlanges ne comprend pas ceux qui désapprouvent ce type d'échanges : "Personne ne lui reproche rien sur le plan des droits de l'homme. Ce n'est pas le docteur Mengele ou Martin Bormann [deux célèbres nazis]."
Il vient du chevènementisme. Je ne vois rien dans ses propos qui permettrait de le conduire à Nuremberg.
Jean-Louis Bourlanges, député MoDemà franceinfo
Si Jean-Louis Bourlanges accepte de débattre, il n'est pas dupe sur la recherche de respectabilité de l'ancien numéro 2 du FN : "Il a besoin de se laver les mains et donc, il a besoin de ce genre de soirée." Le député du MoDem ne prédit par ailleurs pas de grand avenir à son débatteur du soir : "Je l'ai trouvé un peu sonné, un peu rêveur. Il est enfermé dans son monde. Il croit vraiment que les gens vont tout lâcher pour le suivre ? Son aventure politique n'a aucune chance d'aboutir." Le camp Philippot lui répond que la ligne politique du président des Patriotes a obtenu 21% des voix au premier tour de l'élection présidentielle en 2017. "Politiquement, il a un boulevard", assure Sophie Montel.
Quand il pose sur une photo avec moi, tout le monde se met à hurler. Cela prouve bien qu'il n'est pas prêt d'être comestible à gauche.
Jean-Louis Bourlangesfranceinfo
"J'ai fini 'Zelda', je vais me mettre à mon livre"
L'avenir politique passe d'abord par la visibilité. Le médiatique Florian Philippot ne ressent pas, pour l'instant, d'effet dû à son départ du FN dans les invitations des médias. Effectivement, il a cumulé neuf passages sur les plateaux de radio et de télévision sur la première quinzaine d'octobre, soit autant que sur la même période en 2016. Mais il est désormais parfois relégué sur des médias régionaux (comme France Bleu Lorraine, le 10 octobre) ou à des horaires plus tardifs, comme sur France Inter, le 2 octobre à plus de 23 heures. Autre signe : là où Florian Philippot acceptait rarement de se confier au site de franceinfo, il était cette fois disponible pour un entretien de 45 minutes.
Les Patriotes ne sont pas inquiets et assurent que la voix de Florian Philippot n'est pas près de s'éteindre. "Il aura sans doute moins d'invitations, mais il sait exister autrement", se rassure Joffrey Bollée. La preuve, selon lui, avec la première foire aux questions du président des Patriotes sur YouTube. "Je vais reprendre ma chaîne que j'ai délaissée pendant la campagne", promet Florian Philippot. Et certains militants ont pour projet de créer un dessin animé interactif pour mieux faire passer les idées du nouveau parti.
Pour exister, l'ancien frontiste songe aussi à l'écriture de son "livre-projet". Il a trouvé un éditeur et aimerait publier son ouvrage au moment du congrès fondateur des Patriotes, avant le mois d'avril. "C'est un livre où je vais aussi parler de moi entre les lignes, de mes parents enseignants dans une école publique, de ma maman qui m'emmenait tout petit devant la maison natale du général de Gaulle à Lille ou devant la pâtisserie Meert, où de Gaulle se fournissait en gaufres... Tout cela a du sens."
Il a la trame, mais n'a pas encore écrit une seule ligne. Il glisse en souriant que ses soirées étaient jusque-là trop occupées par d'autres distractions : la lecture des biographies écrites par Stefan Zweig (il vient de finir Marie-Antoinette et attaque Marie Stuart) et les jeux vidéo. "J'ai fini [le jeu] Zelda, donc c'est bon, je vais pouvoir me mettre très sérieusement à l'écriture", assure-t-il. Certains se moquent d'une communication grossière quand l'élu de 35 ans (bientôt 36) pose sa Nintendo Switch à ses côtés dans une vidéo où il critique Emmanuel Macron. Lui assure que rien n'est calculé et se décrit comme un passionné : "A l'école, c'était Nes contre Master System [de Sega], mais moi j'ai toujours été très Nintendo, j'ai eu toutes les consoles Nintendo sans interruption."
Quant à la Switch de Philippot, truc PAS DU TOUT calculé par son équipe de com pr faire genre "je suis ds le coup" https://t.co/Ty8XoJ4PRy pic.twitter.com/ulZLQpdiY2
— Benjamin Cornu (@Poufy_GB_) 26 septembre 2017
Florian Philippot compte encore surfer sur les polémiques. Il confie d'ailleurs qu'il a pour projet d'organiser un rendez-vous annuel afin de répondre au "Couscousgate" – une affaire pourtant montée en épingle par le camp Philippot lui-même, assure Libération. "Je crois que, chaque année, on va faire un grand couscous patriotique, un rendez-vous pour montrer que le patriotisme, ce n'est pas quelque chose de fermé, obtus", explique le président des Patriotes. Car désormais, Florian Philippot compte parler de tous les thèmes de société, sans tabou : "J'ai envie d'aller explorer de nouveaux sujets. Libéré, délivré, je ne me censurerai plus jamais."
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