Cet article date de plus d'un an.

Rentrée politique : à Tourcoing, Gérald Darmanin place ses premiers pions pour la présidentielle de 2027

Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Gérald Darmanin, un ministre qui ne cache plus ses ambitions et ses vues sur l'Elysée. (BERTRAND GUAY / AFP / ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
S'il n'a pas pris, comme il l'espérait, la place d'Elisabeth Borne à Matignon, le ministre de l'Intérieur entend rebondir en organisant dimanche sa rentrée politique dans son fief du Nord. Avec l'ambition de préparer, déjà, l'après-Macron.

Pour sa rentrée politique, Gérald Darmanin a choisi une bourloire. Ce terrain de jeu typique du Nord illustre bien les ambitions présidentielles du ministre de l'Intérieur : au jeu de la bourle, il faut faire preuve d'adresse et de tactique pour lancer un disque en bois au plus près d'une cible. Pour cet événement, le premier du genre depuis son entrée au gouvernement il y a six ans, Gérald Darmanin attend quelques centaines de personnes, dont plusieurs ministres, dimanche 27 août dans son fief de Tourcoing, où il a été élu maire et député à plusieurs reprises. Au menu, des tables rondes centrées sur les attentes des classes populaires, et des saucisses-frites, pour souligner davantage l'image de proximité. 

L'annonce de ce rendez-vous, trois jours après le remaniement, a été interprétée par beaucoup comme une contre-offensive. "Il est sûrement déçu", observe une ministre. Malgré ses tractations, Gérald Darmanin a échoué à se faire nommer à Matignon à la place d'Elisabeth Borne, au regret de ses proches. "C'était tout à fait atteignable, il a la carrure", regrette Vincent Ledoux, député Renaissance du Nord. La déception passée, "il reste loyal et fidèle à l'action du président, mais ne cache pas de saines ambitions".

Pour mieux tourner la page, Gérald Darmanin a multiplié les déplacements tout l'été, tout en préparant sa rentrée dans les Hauts-de-France, sans faire mystère de ses projets. Dans Le Figaro, le quadragénaire dit être désormais tourné vers 2027 et se positionne comme un candidat capable de faire barrage à l'extrême droite. "J'espère que la boussole populaire que je propose sera un jour totalement entendue par la majorité", plaide-t-il auprès du quotidien. Cette rentrée tourquennoise est l'occasion rêvée pour se démarquer et structurer son réseau en vue de la course à l'Elysée.

S'émanciper de son ministère (et de la macronie)

Officiellement, le rendez-vous n'est pas consacré à sa candidature, mais aux classes populaires, délaissées selon lui par les "techniciens" de la macronie et "la gauche bobo-libérale", dit-il au Figaro. Le thème lui permet d'envoyer des tacles à une majorité trop déconnectée du terrain et de mettre en avant, une fois de plus, ses origines modestes et son ancrage local. "C'est une autocritique, non pas du macronisme, mais de la classe politique, nuance Mathieu Lefèvre, député Renaissance du Val-de-Marne et proche de l'intéressé. On ne sait plus parler aux classes populaires, dont une partie pense que la politique ne peut rien pour elles et se détournent vers les extrêmes."

Gérald Darmanin veut montrer qu'il peut endosser un autre costume que celui du "premier flic de France". La sécurité n'occupera d'ailleurs qu'une petite place dans les débats du 27 août. Le ministre compte plutôt disserter sur l'ascenseur social, l'éducation, le pouvoir d'achat et le partage de la valeur, proposant déjà de retarder les baisses de taxes pour les entreprises. Mais l'arbitrage demeure entre les mains de son collègue de Bercy, Bruno Le Maire, qui ne cache pas non plus ses ambitions présidentielles et a fait sa rentrée trois jours plus tôt en Haute-Savoie. "Gérald veut sortir de son couloir de nage, comme il dit, et il s'intéresse à tout", vante Vincent Ledoux. "C'est dans son ADN, il se préoccupe de tous les sujets, y compris les problèmes simples du quotidien", renchérit la députée Renaissance du Nord Violette Spillebout.

Le rendez-vous tourquennois va également lui permettre de tester sa capacité à rassembler des politiques de divers bords. Des élus de la majorité ont été conviés, mais aussi de gauche, comme le communiste Fabien Roussel (retenu à l'université d'été de son parti), et de droite. Un casting "large, au-delà de la majorité, d'une centaine de parlementaires", vante son entourage.

Un agenda qui fait grincer des dents à droite

Si de nombreux élus Renaissance ont répondu présent, certaines sorties du ministre en ont refroidi d'autres. "Cette petite musique, que font monter Gérald Darmanin et Karl Olive, selon laquelle on ne se serait pas occupés des classes populaires est stupéfiante", cingle Sacha Houlié, député Renaissance de la Vienne, avant d'énumérer les baisses d'impôts, la suppression de la taxe d'habitation ou la réforme des pensions alimentaires. "C'est suicidaire de reprendre les arguments des oppositions. En tant que ministre du Budget puis de l'Intérieur, Gérald Darmanin ne démentira pas que la majorité a fait ce qu'il fallait", poursuit le jeune député de l'aile gauche de la majorité, qui a décliné l'invitation à Tourcoing.

"Je préfère quand on joue collectif. Et puis il est bien trop tôt pour lancer la course des petits chevaux pour 2027."

Sacha Houlié, député Renaissance

à franceinfo

Une dizaine de parlementaires LR sont attendus à Tourcoing, dont les députés Julien Dive ou Alexandre Vincendet, et ce, alors que leur parti organise sa rentrée le même jour à Levens (Alpes-Maritimes) autour d'Eric Ciotti. Des invitations qui ne manquent pas d'agacer au sein de l'ancienne famille politique de Gérald Darmanin, quelques jours après le soutien appuyé de Nicolas Sarkozy au ministre de l'Intérieur. "Il a besoin de rebondir après cet échec, alors il essaie de renforcer son poids, et de se rendre incontournable, raille un cadre des Républicains. Comme il n'a pas eu le poste de Premier ministre, il se positionne comme présidentiable pour rester bankable."

Julien Dive est d'ailleurs prudent. "Il a très certainement une idée derrière la tête, et l'envie de marquer le coup, mais je ne viens pas en fan", prévient le député de l'Aisne. "Je viens pour parler des classes populaires en milieu rural. C'est une occasion de débattre avec un ministre dans un autre cadre que le Parlement."

Comme un air de déjà vu

Gérald Darmanin inaugure-t-il un rituel politique pour donner corps à son ambition ? Son invitation à Tourcoing évoque la traditionnelle ascension du mont Mézenc de Laurent Wauquiez ou la Fête de la rose d'Arnaud Montebourg. "Ce type d'événements est idéal pour se forger une dimension présidentielle : si vous n'avez pas votre rendez-vous, vous n'avez que des rendez-vous d'opportunités, créés par l'actualité ou votre activité ministérielle", théorise le socialiste François Kalfon, proche de l'ancien ministre socialiste qui célébrait chaque année sa rentrée à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire).

En créant son propre événement, Gérald Darmanin peaufine son "ancrage provincial", quitte à "surjouer le terroir et la proximité" pour "se démarquer du macronisme", observe-t-il. Mais à force de se distancer du gouvernement Hollande, Arnaud Montebourg avait fini par en être limogé en 2014, après une énième saillie lors de sa rentrée à Frangy.

Dans la majorité, certains craignent que Gérald Darmanin écrive la même histoire à Tourcoing. "Qu'il rassemble son écurie, c'est normal, et même prévisible après ne pas avoir été nommé à Matignon. Il utilise la même méthode que lorsqu'il voulait décrocher le ministère de l'Intérieur : il a poussé, poussé, jusqu'à obtenir ce qu'il voulait", commente un cadre de la majorité, qui a préféré esquiver poliment l'invitation dans le Nord. D'autant que ce genre d'initiatives n'est pas sans rappeler l'envol de l'actuel chef de l'Etat, qui avait plombé la fin du quinquennat de François Hollande.

"Si Darmanin commence à réunir tous les mois son écurie, ça ressemble de façon inquiétante à ce qu'on avait fait à l'époque avec Macron pour tuer Hollande… Le président a besoin d'aller au bout de son mandat sans être parasité par des démarches personnelles. Les candidats peuvent penser à 2027, s'y préparer. Mais réunir ses troupes, et faire de telles déclarations, c'est nuire à Emmanuel Macron."

Un cadre de la majorité

à franceinfo

L'entourage du ministre a beau assurer qu'''il ne crée pas son parti, mais plutôt une amicale", l'initiative irrite également la cheffe du gouvernement. "Elisabeth Borne est assez agacée et surprise qu'il se dédise d'un bilan auquel il a contribué", confie un parlementaire Renaissance.

"Tourcoing ne sera pas le terminus"

Dans le camp Darmanin, on assume de devoir déjà se préparer. "Il est comme ça, il impose son timing, il est dans l'anticipation, justifie le député des Yvelines Karl Olive. Il n'a échappé à personne que le président ne sera pas candidat à sa réélection. Or 2027, c'est demain." En partant tôt, le ministre de l'Intérieur espère peut-être rattraper son déficit de popularité sur ses concurrents à droite. Dans les sondages, il est régulièrement devancé par l'ancien Premier ministre Edouard Philippe et un certain Bruno Le Maire.

Pour y parvenir, Gérald Darmanin ne devra pas seulement réussir sa rentrée locale. Après avoir été en première ligne lors des émeutes de juin, il lui faudra tenter de trouver une majorité au Parlement pour faire adopter la réforme de l'immigration, repoussée depuis des mois par le gouvernement. Les Jeux olympiques constitueront également un important défi pour le ministre de l'Intérieur à l'été 2024, pour faire oublier le fiasco de la finale de la Ligue des champions 2022.

En parallèle, Gérald Darmanin ne négligera pas ses ambitions présidentielles. "Il prépare déjà son calendrier de 2024 et 2025, il y aura d'autres rendez-vous en France", promet l'un de ses proches. "Le 27 août, c'est le début d'une nouvelle aventure, dont Tourcoing ne sera pas le terminus." 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.