Allongement du congé de deuil d'un enfant: quatre questions sur un couac qui embarrasse le gouvernement
Après le refus par le gouvernement d'instaurer un congé de 12 jours au lieu de 5 pour les parents endeuillés, l'Elysée a appelé ses ministres à "faire preuve d'humanité". Lâchée, Muriel Pénicaud a reconnu une "erreur" et promet un retour de la mesure au Sénat, sous la forme "d'un texte plus ambitieux".
"Douze jours, je pensais que ça passerait comme une lettre à la poste", s'est étonné le député La France insoumise François Ruffin dans l'Hémicycle. Il n'est manifestement pas le seul : la vidéo de son intervention a été vue plus de 400 000 fois sur Twitter depuis jeudi 30 janvier. Ce jour-là, les députés ont voté, à 40 voix contre 38, contre une proposition de loi UDI-Agir visant à instaurer un congé de douze jours pour le deuil d'un enfant, contre cinq jours actuellement. Le gouvernement avait émis un avis défavorable.
Mais le rejet de ce texte vire à la débandade pour la majorité, tant les réactions ont été unanimement négatives, y compris au Medef, alors que le coût de la mesure pour les entreprises faisait partie des arguments de Muriel Pénicaud pour voter contre le texte. Samedi, l'Elysée a désavoué le choix de sa majorité, appelant le gouvernement à "faire preuve d'humanité". Et la ministre du Travail a semblé faire marche arrière, dimanche, promettant dans Le Parisien de faire voter "un texte plus ambitieux" pour allonger le congé des parents endeuillés. Franceinfo vous explique ce couac.
En quoi consiste la proposition initiale ?
Le texte visait à amender l'article du Code du travail fixant la durée minimum du congé accordé par les entreprises "pour le décès d'un enfant". Aujourd'hui fixée à cinq jours, elle serait passée à douze jours si le texte avait été adopté. Il s'agit d'une proposition de loi, qui n'émane pas de la majorité LREM, mais d'un groupe qui lui sert souvent d'appui : celui des députés de centre-droit UDI-Agir, qui l'avaient présenté à la faveur d'une journée de "niche parlementaire".
La semaine précédente, en commission, le texte avait déjà été adopté sans sa proposition phare. Celle-ci avait été remplacée par une autorisation de poser des jours de congés ou de RTT supplémentaires au-delà des cinq jours du congé de deuil, et celle de bénéficier dans cette situation du don de jours de repos de la part des collègues du parent endeuillé.
Dans l'Hémicycle, le rapporteur de la mesure, Guy Bricout, a tenté de revenir, par un amendement, au texte initial et à la durée de 12 jours : "Six jours pour s’occuper des obsèques, la tête dans le malheur, et six autres pour tâcher de reprendre un peu son souffle et penser à l’avenir", a-t-il justifié. Il a par ailleurs jugé "choquant de mélanger le congé de deuil et les congés légaux", et a critiqué l'alternative du don de congés proposée par la majorité en commission : "Ce n’est pas aux collègues de prendre sur leurs congés pour compenser l’absence de générosité de la loi !" Son amendement a tout de même été rejeté, de peu, à 40 voix contre 38. Et la version modifiée en commission de la proposition de loi a été adoptée, par 46 voix et 37 abstentions.
Pourquoi a-t-elle été rejetée ?
"Que le congé pour deuil dure cinq ou douze jours, il ne permet pas de se remettre et de compenser le traumatisme" a jugé Muriel Pénicaud lors d'un débat houleux dans l'Hémicycle, pour justifier son avis défavorable à la mesure. La majorité a défendu sa proposition alternative de favoriser le don de congés aux parents endeuillés, la ministre du Travail mettant en avant "l'élan de solidarité" représenté par un tel geste.
L'autre argument opposé à l'allongement du congé de deuil d'un enfant est le fait qu'il repose, a estimé Muriel Pénicaud, sur un congé "payé 100% par l'entreprise". "Quand on s'achète de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises, c'est quand même un peu facile", a appuyé un peu plus tard la députée LREM Sereine Mauborgne, suscitant de vives protestations dans l'Hémicycle.
Quelles ont été les réactions à ce vote ?
Le lendemain, le vote fait l'objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, dont certains venant de personnalités publiques. "Le Medef s'honorerait à demander un nouveau vote de cette proposition", lance son ex-présidente Laurence Parisot, vendredi. Lui répondant sur Twitter, l'actuel "patron des patrons", Geoffroy Roux de Bézieux, lui donne raison : "C'est une évidence et c'est lancé." Des associations accompagnant les parents endeuillés réagissent aussi vertement : "Même la mort d'un proche, ils voudraient pouvoir le chiffrer", cingle l'association Apprivoiser l'absence, jointe par franceinfo, tandis que Arc-en-ciel juge le congé "de toute façon beaucoup trop court", même porté à 12 jours.
Vendredi, Muriel Pénicaud et le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance Adrien Taquet font une première annonce : une "concertation avec les acteurs associatifs, les organisations syndicales et patronales" pour "améliorer les mesures de soutien aux parents confrontés au deuil d'un enfant". Mais la promesse ne calme pas l'incendie.
Car le vote sème le trouble au sein du gouvernement. Vendredi soir, la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, demande sur BFMTV à son gouvernement de "reconsidérer sa position". Le Parisien assure même qu'elle a mis sa démission dans la balance. Le journal cite les commentaires anonymes et perplexes de membres et de soutiens de la majorité : "Les députés LREM sont cons, ils ne savent pas faire le boulot et la ministre du Travail s'y est mal prise", cingle ainsi un commentateur présenté comme "un ténor de la macronie".
Finalement, samedi, l'Elysée annonce que "le président a demandé au gouvernement de faire preuve d'humanité" sur le dossier, après avoir constaté "l'émotion" suscitée par le vote. Un rappel à l'ordre public rare, suivi d'une marche arrière de la première intéressée. "Sur ce sujet, le gouvernement reconnaît une erreur qu'il entend rapidement corriger", concède Muriel Pénicaud dans une déclaration à l'AFP, promettant des solutions "dans les tout prochains jours". "Reconnaissons qu'il y a eu une erreur, ce n'est pas la peine de tourner autour du pot", a acquiescé sur franceinfo Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement, dimanche. Du coté d'un élu de la majorité, on regrette une séquence qui a laissé des traces. "On ne peut pas rembobiner et revenir en arrière, déplore l'un deux qui était présent lors du vote à l'Assemblée. On est nul en communication et cette loi est mal faite." Toutefois, les critiques qu'ils essuient sont dures à encaisser. "On nous prend pour des ultra-libéraux, mais c’est tout le contraire", regrette cette source contactée par le service politique de France Télévisions.
Comment le gouvernement peut-il revenir en arrière ?
Ayant été adoptée à l'Assemblée, dans sa version modifiée par la majorité, la proposition de loi de l'UDI-Agir doit désormais être présentée au Sénat, même si le calendrier exact n'est pas connu. L'occasion d'un retour possible à l'esprit initial du texte, et à un congé de 12 jours, d'autant que LREM n'est pas majoritaire dans la chambre basse. "Il y aura toute latitude pour les sénateurs de tirer les conclusions de tous les éléments du débat", a commenté Marc Fesneau dimanche. "On proposera, pour la première lecture qui aura lieu au Sénat, quelque chose, j'espère que tous les parlementaires de tous les bords s'y rallieront", a promis Muriel Pénicaud samedi soir sur BFMTV. Le texte corrigé serait ensuite soumis à nouveau à l'Assemblée. Sur Twitter, les députés LREM se sont dits "prêts à revoter rapidement" la proposition.
Cependant, rien ne garantit que le texte qui finira par être adopté correspondra à la proposition initiale. "L'allongement à douze jours va revenir au Sénat sous la forme d'un amendement gouvernemental" au projet de loi, affirme Muriel Pénicaud dans une interview au Parisien dimanche. Mais ce même jour, sur franceinfo, son camarade Marc Fesneau se montrait moins définitif : "Je ne sais pas si c'est 12, si c'est 20" car il faut analyser notamment "le temps des démarches administratives", a-t-il expliqué.
De son côté, Muriel Pénicaud remet sur la table un des désaccords exprimés à l'Assemblée, sur le financement de la mesure par les entreprises : "La mesure pourra être financée par la solidarité nationale, autrement dit la Sécurité sociale. Est-ce que les entreprises en prendront une part ? Nous allons en parler, toutes les options sont possibles."
Elle affirme plus largement vouloir proposer "un texte plus ambitieux", en travaillant à "un accompagnement psychologique sur la durée", une meilleure connaissance des aides existantes pour les parents, et en "regardant la question des frais d'obsèques qui ne doivent pas être un poids supplémentaire". "Nous allons ouvrir ces mesures aux fonctionnaires", ajoute-t-elle. Enfin, elle a affirmé son intention de maintenir, en plus de l'allongement du congé, les mesures sur le don de RTT et la pose de congés facilitée, adoptées jeudi à l'Assemblée, mais auxquelles s'était opposé le rapporteur du projet de loi.
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