: Témoignages D'anciens collaborateurs d'Elisabeth Borne racontent le management "cash" d'une Première ministre "exigeante"
Ils ont travaillé avec la cheffe du gouvernement en cabinet ministériel ou en entreprise et dressent le portrait d'une femme absorbée par sa tâche et qui en attend autant de ses subordonnés.
Lundi 23 mai, début de matinée. Au 127 rue de Grenelle, à Paris, Elisabeth Borne s'apprête à laisser les clés du ministère du Travail à son ex-collègue au gouvernement Olivier Dussopt. La nouvelle Première ministre prend la parole pour la traditionnelle passation de pouvoir. Sur un ton solennel, elle vante la valeur travail, "la clé de la dignité, l'occasion d'apporter sa pierre à la société et de gagner sa vie par soi-même". Un prélude à une anaphore remarquée : "Le travail, c'est ce qui donne un sens à sa vie (…) C'est la promesse de l'émancipation, c'est ce qui permet aux talents de se distinguer et à l'effort d'être récompensé."
La séquence, amplement commentée sur les réseaux sociaux, épouse parfaitement la propre carrière de la cheffe du gouvernement. Son riche CV en témoigne : ministre des Transports, de la Transition écologique, puis du Travail sous le premier quinquennat Macron, elle a fait ses armes comme conseillère de plusieurs ministres de gauche dans les années 1990. Directrice générale de l'urbanisme de la mairie de Paris, elle a également été préfète de la région Poitou-Charentes mais s'est aussi frottée au monde de l'entreprise à la SNCF, chez Eiffage ou comme patronne de la RATP.
Des postes prestigieux où elle a eu l'occasion de travailler avec des centaines de collaborateurs. Une dizaine d'entre eux ont accepté de raconter à franceinfo, sous couvert d'anonymat, la méthode Borne, déjà décrite en 2018 dans Le Monde. Le quotidien citait alors "un bon connaisseur de l'entreprise" évoquant le surnom peu flatteur dont avait hérité la patronne : "Burn-out". Si certains de ses anciens collaborateurs battent en brèche cette image d'une cheffe qui essore ses subalternes, tous s'accordent sur un point : Elisabeth Borne se montre extrêmement exigeante.
"Elle vous appelle directement à 23h30"
Trop exigeante ? Un ancien cadre de la SNCF répond par l'affirmative. Il a côtoyé la locataire de Matignon lorsqu'elle était directrice de la stratégie de l'entreprise ferroviaire, de 2002 à 2007. "La qualifier d'exigeante, pour moi, est faible. Cela frôlait le caprice." Il affirme, par exemple, avoir refusé d'écourter ses vacances après une demande d'Elisabeth Borne qui pouvait, selon lui, être traitée par mail. "Elle a littéralement pourri mes vacances, déplore-t-il. C'était odieux et mesquin."
"Elle a une méthode très poussée et n'hésite pas à bombarder ses équipes de demandes de précisions sur les dossiers. C'est un bourreau de travail."
Un ancien cadre de la SNCFà franceinfo
"Bourreau de travail" : l'expression revient dans la bouche de plusieurs ex-collègues. L'entourage de la Première ministre confirme à franceinfo qu'Elisabeth Borne "est quelqu'un d'exigeant sur le plan professionnel" mais qu'"à ce niveau de responsabilité, il ne peut en aller autrement".
Résultat, la cadence de travail est extrêmement soutenue sous ses ordres même si, pour certains, cela fait partie du contrat dès le début. "J'ai rarement vu quelqu'un qui avait une capacité de travail comme elle. Elle est exigeante vis-à-vis de ses collaborateurs, mais d'abord d'elle-même. Si cela vous pose un problème, il ne faut pas y aller", explique l'un de ses anciens conseillers au ministère du Travail, qui travaillait généralement de 8 heures à 22h30. "Elle, c'est plus, mais elle n'a pas besoin de beaucoup dormir", précise-t-il.
Un autre conseiller opine du chef. "Il faut que les dossiers, les entretiens, soient préparés. Elle vous appelle directement à 23h30. Vous êtes là pour répondre et avoir un avis sur le sujet. Quand vous êtes en cabinet, c'est le job." L'entourage de la Première ministre reconnaît qu'"il a pu lui arriver d'envoyer un SMS tard à des collaborateurs, car elle était elle-même en train de travailler sur un dossier ou sur une gestion de crise". Néanmoins, ajoute-t-on, "elle n'a jamais exigé une réponse avant le lendemain matin".
"Elle peut être dure"
Reste qu'avec Elisabeth Borne aux manettes, mieux vaut éviter l'improvisation ou les approximations, au risque de la fâcher. "Elle peut être dure quand elle a l'impression que les choses ne sont pas carrées, car elle aime être en maîtrise des dossiers, rapporte un autre de ses subalternes. Il faut apprendre à travailler avec elle." Pour d'autres, c'est le signe du dévouement de la Première ministre à sa fonction.
"Elle est très engagée. Je préfère avoir une ministre qui s'intéresse aux sujets et donne sa vision qu'un ministre qui s'en fout."
Un ex-conseiller ministériel d'Elisabeth Borneà franceinfo
"En tant que patronne, préfète ou ministre, on gère des dossiers lourds ou des crises, appuie l'entourage de cette femme de 61 ans. A la RATP, il y a des sujets de continuité de service public à toute heure. Idem comme préfète, où vous gérez la vie du territoire 24 heures sur 24."
"Mobilisée" dans les crises
Cette charge de travail très importante induit-elle toujours les résultats escomptés ? Certains en doutent. "Elle a du mal à séparer le pro et le perso. On s'attend à ça en 'cab', mais parfois, on tourne un peu en rond à faire des réunions pour faire des réunions. C'est son mode de fonctionnement", soutient un conseiller d'Elisabeth Borne à ses débuts au gouvernement.
Ce même conseiller raconte comment "cette moine-soldate" aime, lorsqu'elle s'attaque à un sujet, "le décortiquer, le dépecer et entrer dans les détails, les plus précis. Vous pouvez potentiellement être challengé sur le kilomètre 21 de l'autoroute A7", glisse-t-il, à titre d'exemple. L'exigence de cette ingénieure sur le volet technique a, selon lui, un peu éclipsé la vision politique que devrait avoir tout ministre.
"Quand on est ministre, on n'est pas directeur central d'administration. On est censé donner une ligne. Elle peut se faire tellement absorber par la technique qu'elle en oublie ce qu'elle défend."
Un ancien conseiller d'Elisabeth Borneà franceinfo
D'autres louent au contraire sa capacité à gérer les situations complexes et à fixer un cap. "Pendant la crise sur la réforme des retraites, elle était extrêmement mobilisée, elle passait tous les sujets en revue et menait les concertations directement avec les syndicats, Jean-Paul Delevoye et Laurent Pietraszewski", se souvient l'un d'eux. Des qualités que reconnaissent d'anciens collaborateurs d'Elisabeth Borne à la RATP, qu'elle a dirigée de 2015 à 2017. "Elle sait garder la tête froide, assure l'une de ses anciennes subordonnées. Elle ne perd pas ses moyens et n'a pas peur de l'arbitrage."
"Des colères saines"
Bosseuse, exigeante, mais pas forcément austère. Ses équipes dépeignent une femme qui "a aussi beaucoup d'humour et de second degré". "Les caricatures de la presse la faisaient rire", raconte l'une de ses ex-conseillères. Un autre affirme encore qu'"elle est beaucoup plus attentive aux enjeux humains qu'on ne le croit, elle a beaucoup de pudeur". L'entourage de la Première ministre aime à souligner qu'Elisabeth Borne a d'ailleurs "gardé des liens étroits avec un grand nombre d'anciens collaborateurs qu'elle revoit régulièrement". Des moments de convivialité étaient aussi organisés au début du quinquennat.
"A l'époque, on faisait des apéros le vendredi soir où elle nous expliquait sa vision des choses et elle plaisantait. Et puis l'agenda s'est rempli."
Un ancien collaborateur ministériel d'Elisabeth Borneà franceinfo
Les semaines passent, les dossiers s'accumulent et les tensions aussi. Dans ce cas, certains lui reprochent un management qui n'a rien de collégial. "Elle est plutôt sur un mode : 'Je fonce et les autres suivent'", dixit un ex-conseiller. Le ton hésitant, un autre évoque "un tempérament parfois compliqué à gérer" avec "un ton véhément". Il s'arrête puis reprend : "Parfois trop."
Une façon de faire dont il faut s'accommoder. "Quand elle n'est pas contente, elle le fait savoir, mais ce sont vraiment des colères saines, comme dirait son ancienne ministre", explique une ex-membre de cabinet, en référence à une réplique de Ségolène Royal, dont Elisabeth Borne fut la directrice de cabinet. "Oui, elle est très cash", abonde un ex-collaborateur qui l'a suivie dans deux ministères.
Maintenant à la tête du gouvernement, Elisabeth Borne doit animer la majorité, gérer un cabinet plus important à Matignon et donner un cap à l'administration. Aux ministres réunis vendredi 27 mai sous son autorité, elle a fixé "trois mots d'ordre" : "rapidité, efficacité et résultats". Du Borne tout craché.
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