Budget 2025 : pourquoi les prochaines semaines s'annoncent très tendues pour le gouvernement de Michel Barnier comme pour les oppositions
La copie devrait être rendue avec un peu de retard. Michel Barnier envisage de présenter son projet de loi de finances devant l'Assemblée nationale le 9 octobre, au lieu du 1er octobre, comme le prévoit la loi. Si les intentions du Premier ministre se concrétisaient, il s'agirait là d'un fait rarissime dans l'histoire de la Ve République. Cela ne s'est produit qu'une fois auparavant, en 1962, et déjà après une dissolution de l'Assemblée nationale. Cette année-là, le budget avait été adopté en février, ce qui ne devrait toutefois pas arriver cette année.
Le temps presse malgré tout, car les parlementaires doivent disposer de 70 jours pour étudier et voter la loi de finances avant qu'elle ne soit appliquée, c'est-à-dire au 1er janvier 2025. Ce potentiel retard "complique la tâche des oppositions, qui ont besoin de temps pour prendre connaissance et amender sereinement le projet de budget, souligne le professeur de droit public Bertrand-Léo Combrade. C'est ce qui explique d'ailleurs l'initiative d'Eric Coquerel et Charles de Courson : ils craignent de manquer de temps, par conséquent, ils demandent à Bercy de transmettre des documents sans tarder."
Mardi, le président (La France insoumise) et le rapporteur général (Liot) de la commission des finances de l'Assemblée nationale se sont vu refuser par Matignon l'accès aux lettres-plafonds, qui fixent les crédits des ministères dans le cadre du projet de budget 2025. Elles ont été envoyées aux ministères le 20 août, avec un mois de retard sur le calendrier habituel. Les deux parlementaires se sont rendus, mercredi midi, au ministère de l'Economie et des Finances pour réclamer les mêmes documents. Là encore, sans les obtenir.
Une autre partie de l'opposition attend, elle, avec plus de patience, Pour l'instant. "On va faire avec la situation telle qu'elle nous a été imposée par le Premier ministre", philosophe Laurent Baumel, membre socialiste de la commission des finances. "On va prendre une semaine de retard, mais ce n'est pas ça qui va nous mettre en difficulté", assure une de ses collègues de cette commission, peu inquiète.
"Il ne faut pas trop se prendre la tête avec ce retard."
Une membre de la commission des financesà franceinfo
Pour le futur gouvernement, la situation est délicate. Michel Barnier a certes estimé mercredi que la situation budgétaire de la France était "très grave". Mais il n'a toujours pas réussi à former son gouvernement. Il est donc dépourvu, pour l'heure, de ministres chargés de l'Economie et des Comptes publics. Il doit en outre composer au plus vite un budget qui ne sera pas vraiment le sien. Et il doit procéder sans avoir géré les lettres-plafonds des ministères, le projet de budget en question ayant été préparé durant l'été par son prédécesseur, Gabriel Attal.
Le ministre de l'Economie démissionnaire, Bruno Le Maire, a en outre alerté début septembre sur un dérapage des finances des collectivités territoriales de l'ordre de 16 milliards d'euros, ce qui complique la tâche des prochains locataires de Bercy. Le Premier ministre veut de son côté marquer le budget de son empreinte, en mettant davantage en avant la "justice fiscale", sans détailler les moyens d'y arriver.
Tensions avec les macronistes sur la question fiscale
Des tensions sont d'ailleurs déjà apparues avec des membres du camp présidentiel sur la question fiscale. Le Premier ministre pourrait perdre le soutien d'une partie d'Ensemble pour la République (ex-Renaissance) si des hausses d'impôts, quelles qu'elles soient, étaient actées. "Augmenter les impôts, c'est la facilité", a ainsi mis en garde Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur démissionnaire, sur France 2, mercredi matin.
Gabriel Attal, désormais chef de file des députés macronistes, a demandé à Michel Barnier de clarifier sa "ligne politique, notamment sur d'éventuelles hausses d'impôts". Une réunion entre Michel Barnier et les cadres du groupe Ensemble pour la République avait pour but de "décider de [leur] participation au gouvernement". Prévu mercredi matin, ce rendez-vous a été "décalé" à la demande de Matignon. "Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité", a lancé Michel Barnier à l'égard de ses possibles partenaires de gouvernement.
Le spectre du 49.3 et des motions de censure
Si cette volonté de "justice fiscale" passait par des hausses d'impôts, les équilibres politiques pourraient évoluer, mais dans une ampleur inconnue. "Si on impose davantage les plus privilégiés et les surprofits de certaines multinationales, en échange d'une baisse de la pression fiscale sur les classes moyennes, là, Monsieur Barnier aura notre soutien", a prévenu mardi soir sur BFMTV le député RN Jean-Philippe Tanguy, membre de la commission des finances. "Le groupe Ecologiste et Social soutiendra toutes les mesures de justice fiscale permettant de financer nos services publics", ont quant à eux annoncé les écologistes mercredi matin.
Des soutiens perdus à droite et au centre, d'autres gagnés à l'extrême droite et à gauche... La recherche d'une majorité menace de tourner à la mission impossible pour Michel Barnier, qui a "demandé tous les éléments pour apprécier l'exacte réalité" de la situation budgétaire. "De toute façon, ils seront dans l'embarras", anticipe le socialiste Laurent Baumel.
"L'embarras du gouvernement ne sera pas lié à la procédure, mais au fond des dossiers."
Laurent Baumel, membre PS de la commission des financesà franceinfo
Enfin, la situation reste tendue pour Michel Barnier car le budget est traditionnellement un moment difficile pour tout gouvernement, même lorsqu'il dispose d'une majorité relative à l'Assemblée nationale. Comment faire voter la loi de finances lorsque les élus de l'opposition s'unissent pour ne pas la valider ? "Je vois mal comment ce budget passerait sans 49.3", prédit l'une des membres de la commission des finances. "On aura un 49.3 sur le budget", prévoyait début septembre un député Ensemble pour la République. Dans les faits, le gouvernement pourrait avoir à utiliser plusieurs fois l'article 49.3 de la Constitution, car la loi de finances se vote en plusieurs fois. Elisabeth Borne avait, elle aussi, eu recours à cette arme constitutionnelle à plusieurs reprises pour faire adopter son budget sans vote des députés.
Le Nouveau Front populaire va sans surprise déposer une, voire plusieurs motions de censure, et le Rassemblement national devra alors décider s'il permet au gouvernement de survivre ou s'il s'allie à la gauche pour le faire tomber. Jordan Bardella a prévenu Michel Barnier qu'il était un Premier ministre "sous surveillance" du RN. "Le rapport de forces est totalement inversé, avec un gouvernement minoritaire qui bénéficiera de la bienveillance hyper conditionnelle du RN", observe Laurent Baumel, pour qui le gouvernement pourrait chuter dès cet automne.
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