Grèce : la gauche radicale aux portes du pouvoir
Plus original que le collage d’affiches ou que la distribution de tracts, Syriza a choisi à Ilion, banlieue sud et populaire d’Athènes, de faire campagne en cortège. A la nuit tombée, des voitures et motos sillonnent la ville avec klaxons, mégaphones et drapeaux rouges du parti.
"Il se passe quelque chose de grand. Regardez les voitures que l’on croise, elles klaxonnent avec nous. Et sur les trottoirs, tous ces gens qui sortent et applaudissent, et puis ceux qui se mettent à leur balcon pour nous saluer. C’est la victoire qui vient, c’est un espoir inédit ", commente Nadia, infirmière d’une trentaine d’années, au chômage comme plus d’un quart des Grecs. Nadia conduit l’une des voitures de ce cortège. La jeune femme consacre une bonne partie de son temps depuis deux semaines à faire la promotion de Syriza partout où elle va.
Et Nadia s’empresse d’ajouter : "Vous verrez, cet enthousiasme ira au-delà de la Grèce demain. Merkel va devoir entendre ça. Mais n’allez pas croire que l’on veut pour autant sortir de l’euro. C’est ce que nos adversaires veulent faire croire mais c’est faux ! Moi je dis : Vive l’euro l’euro, l’euro ", s’écrie la militante.
Alexis Tsipras, le fringuant quadragénaire à la tête de Syriza, ne fait pas campagne sur une sortie de la zone euro. En revanche, il promet de très vite renégocier la dette du pays. La dette de la Grèce, ce sont 300 milliards d’euros. Une somme énorme que le pays doit au FMI, à la Banque centrale européenne, et aux Etats membres surtout, comme l’Allemagne et la France. L’idée de la renégocier n’est pas du tout du goût de Jean-Claude Juncker, de Christine Lagarde et d’Angela Merkel qui l’ont fait savoir publiquement ."Une dette est une dette ", a par exemple dit la présidente du Fonds Monétaire International.
Renégocier la dette
Mais la gauche radicale grecque dit en substance : "300 milliards c’est trop, ça n’est pas viable, ça nous oblige à une austérité insoutenable. Il faut en effacer une partie, l’étaler sur plus longtemps, retirer certains intérêts ".
C’est ce que veut par exemple Lizia, 48 ans, horticultrice sans emploi qui fait campagne pour Syriza en tandem avec son fils, lui aussi au chômage. Et Lizia a des arguments bien ficelés : "L’Allemagne a la mémoire courte ! En 1953, quand elle était à genoux au sortir de la seconde guerre mondiale, la RDA croulait sous les dettes. Pour lui permettre de se relever, les autres pays européens ont accepté de réviser sérieusement sa dette. Ça serait normal de faire pareil pour nous aujourd’hui. Nous qui, en plus, n’avons pas tué des millions de personnes ! ".
"On ne peut pas anéantir un peuple par une cure d’austérité invivable comme celle que nous supportons. Certains semblent oublier que l’Union européenne, ça doit être la solidarité avant tout ! ", ajoute Lizia.
Renégocier la dette pour permettre à la Grèce de retrouver liberté et dignité, ne plus se faire dicter sa politique par Bruxelles ou Berlin : c’est ce discours anti-austérité qui a permis au mouvement de la gauche radicale Syriza de faire une ascension fulgurante. Il y a 5 ans, Syriza recueillait moins de 5 % des voix. Les sondages lui prédisent jusqu’à 33 % dimanche. Autant dire que son électorat va bien au-delà de l’électorat traditionnel de l’extrême gauche. Tsipras séduit les Grecs en colère jusqu’à droite. Beaucoup des nouveaux électeurs de Syriza se disent écoeurés de la gestion menée par les deux partis traditionnels qui se succèdent en Grèce depuis des décennies : le Pasok et Nouvelle Démocratie.
Angeliki par exemple, professeur de musique qui a vu son salaire passer de 2.000 à 500 euros en 4 ans, a voté toute sa vie à droite, avant de rejoindre Syriza il y a quelques mois.
Syriza séduit même à droite
"Dans ma famille, on vote à droite depuis des générations, je n’aurais jamais cru voter à ce point à gauche ", confie-t-elle.
"Mais je réalise que la droite a les poings liés, ne tient aucune promesse et est corrompue ! Alors je choisis un virage à 180 degrés : c’est la seule solution ! "
"Et puis il y a ce personnage : Alexis Tsipras ", commente Angeliki. "On a le même âge. C’est bien, il faut rajeunir le personnel politique. Il est arrivé là sans grande école, et il ne fait pas partie de ces grandes familles qui monopolisent le pouvoir politique depuis des décennies. Ca change ! ".
Il est clair que face aux sexagénaires voire septuagénaires qui font la politique grecque, ce candidat jeune et plutôt charmant, qui parle simplement, parait ultra dynamique avec son discours anti-establishment. Une autre des figures de proue du parti de la gauche radicale s’appelle Rena Dourou. C’est un peu son pendant féminin : une jolie blonde, la quarantaine, qui assume de ne pas être mariée à l’église, ce qui est rarissime en Grèce. Des visages neufs.
Tsipras, que certains présentent comme "à mi-chemin entre Chavez et Hollande ", plait incontestablement. Mais pour Kostas Kavouras, élu Syriza à la mairie d’Ilion, ce sont surtout les mesures sociales qu’il promet qui séduisent. "En proposant moins d’impôts pour les moins riches et la fin de la taxe immobilière, il est le candidat du peuple ! Il veut la fin de la crise humanitaire en Grèce. Il veut des aides pour payer l’électricité des milliers de foyers qui se retrouvent sans courant, des distributions de nourriture, le retour du salaire minimum à 750 euros, l’accès gratuit aux soins et aux transports pour les plus pauvres. Il a compris qu’il faut redonner du pouvoir d’achat ", explique Kostas Kavouras.
"Ouvrir une brèche contre l’austérité en Europe "
Ces "engagements de Thessalonique " sont forcément très bien accueillis dans ce pays, où 26% de la population est au chômage - deux fois et demi plus qu’en France - c’est même 50% chez les moins de 25 ans. Un pays où ceux qui n’ont pas perdu leur emploi ont vu leurs salaires dégringoler de 30 à 50 % en 4 ans !
Le choix de Syriza, c’est le choix de la relance contre celui de l’austérité. Et la gauche radicale de ce pays d'onze millions d’habitants est persuadée d’être en train d’ouvrir une brèche en Europe. Des militants du mouvement espagnol Podemos, issu du mouvement des "Indignés", sont arrivés hier soir à Athènes pour y passer le week-end. Des militants français du Parti de gauche et des Verts ont aussi fait le voyage pour soutenir Alexis Tsipras dans la dernière ligne droite et célébrer avec lui la victoire qui semble se préparer pour dimanche. Des militants espagnols et français qui se prennent à rêver tout haut. "Et si la Grèce était en train de montrer la voie ? "
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