"L'Etat perd 100 milliards de recettes fiscales !". Interview de Pierre Larrouturou
La dette ? Creusée par des réductions fiscales qui ont fait perdre, depuis 10 ans, 100 milliards à l'Etat français !
Cri du coeur de Pierre Larrouturou qui plaide dans son dernier livre, "Pour éviter le krach ultime" (préface de Stéphane Hessel), pour l'arrêt d'une logique néo-libérale et d'un monde devenus fous.
L'ex-PS devenu conseiller régional Ile-de-France Europe Ecologie Les Verts prédit aussi - et il n'est pas le seul - une crise pire que celle de 2008.
Plus que jamais, l'inventeur de "la semaine de 4 jours" prône "le partage du travail" et "un nouveau contrat social". A l'heure où l'Assemblée votait l'allègement de l'ISF, il estimait que l'Etat s'assurerait 100 milliards de recettes fiscales supplémentaires par an s'il revenait à la fiscalité de l'an 2000. Interview de ce joyeux pessimiste (propos recueillis le 10 juin 2011).
Comme celui d'Edouard Tréteau ("Quand le dollar nous tue") ou de votre livre est très alarmant sur la situation de la dette américaine
Il a trois problèmes aux Etats-Unis dont la dette est aujourd'hui abyssale :
. l'injection d'argent dans le circuit est de moins en moins efficace pour relancer la machine : c'est comme une voiture qui roulerait encore, mais doit s'arrêter tous les trois cents mètres à cause d'une fuite d'essence,
. le chômage remonte,
. les fonds privés font de moins en moins confiance à la dette américaine et se désengagent des bons du trésor. Plus personne ne fait confiance aux Etats-Unis.
Mais vu de France, qu'y peut-on ?
On ne pourra sans doute pas éviter la crise, mais il faudrait au moins :
1) prévenir les gens
2) découpler banques de dépôt et banques d'affaires comme l'a fait Roosevelt et comme on aurait dû le faire après la crise de 2008. Les banques de dépôt doivent être garanties par l'Etat. Les banques d'affaires, si elles spéculent sur des dérivés de dérivés, doivent assumer seules les risques qu'elles prennent.
3) revenir à l'équilibre financier : notre déficit l'an dernier était de 7% du PIB, ça nous place en situation de dépendance par rapport au marché financier.
Comment ? On pourrait revenir à l'équilibre grâce à la fiscalité. Si l'on se contentait de remettre notre fiscalité dans l'état où elle était en 2000, il y aurait 100 milliards de plus chaque année, dans les caisses de l'Etat. Au lieu d'être de 7% du PIB, notre déficit public aurait été de 2% en 2010.
Regardez les chiffres de la dette américaine : avant l'arrivée de Ronald Reagan, il n'y avait quasiment pas de dette publique. A partir des années 80, la dette a explosé parce que les gouvernements américains ont déséquilibré les budgets par les baisses d'impôt, et supprimé les règles sociales qui prévalaient pour l'emploi et les salaires.
On a dit aux gens aux Etats-Unis : compensez le manque à gagner des salaires par l'endettement privé. Résultat ? On va dans le mur. On risque l'effondrement, et on continue dans cette voie.
En France, ça ne va pas tellement mieux. Vous dites que le chômage s'accroît ?
Le nombre de gens atteints par le chômage et la précarité atteint des sommets. Il y a quelque 200.000 demandeurs d'emploi, chaque mois, qui arrivent en fin de droits sans avoir retrouvé de travail.
A la louche, 100.000 se tournent vers le RMI/RSA, 100.000 n'ont droit à rien (notamment si leur conjoint gagne "trop" pour qu'ils touchent le revenu de solidarité active).
Il y avait 1,8 millions de foyers allocataires du RSA (soit 3,8 millions de personnes) en septembre 2010. On comprend que 90% des Français placent précarité et chômage au premier rang de leurs préoccupations, selon les sondages. D'autant que les embauches en CDD de moins d'un mois représentent 60% des offres d'emploi proposées.
Que pensez-vous de la campagne actuelle contre les "assistés" ?
On cherche des boucs émissaires. Les départements, qui financent le RSA/RMI, ont cherché ceux qui abusent du système : cela représente au maximum entre 4 et 5% des allocataires. Il reste 95% qui n'ont pas d'autre solution.
L'autre jour, en allant chercher mes enfants, j'ai vu entre cinq et six personnes qui faisaient les poubelles. Qui va nier l'appauvrissement croissant alors que nous connaissons tous, dans notre entourage ou notre immeuble, des personnes au chômage ou dans la précarité?
Dans la recherche des solutions, vous pensez que l'Allemagne a mieux réussi que nous ?
En Allemagne, le chômage a augmenté six fois moins vite qu'en France ! Là-bas, le licenciement est le dernier recours, grâce à une baisse du temps de travail de 30% pour 1,6 millions de salariés ("Kurzarbeit").
Angela Merkel a fait le contraire de Nicolas Sarkozy : lui a choisi de favoriser les heures supplémentaires, elle de sauvegarder l'emploi par le temps partiel. Si la croissance est meilleure en Allemagne maintenant, c'est parce qu'un million de gens ont gardé leur boulot et leur revenu. La baisse du salaire est compensée par l'Etat.
Pour vous, la solution, c'est toujours le partage du travail ?
Grâce à des gains de productivité colossaux, le PIB a plus que doublé en 35 ans depuis 1974. Mais le total des heures travaillées pendant la même période a diminué, passant de 38 milliards en 74 à 34 milliards aujourd'hui alors que la population active a augmenté, de 22 à 27 millions.
Or le contrat social n' pas évolué, le temps plein est actuellement de 39,4 heures selon l'INSEE. Il y a un partage du travail binaire, injuste, entre ceux qui travaillent à temps plein, ceux qui sont au chômage et ceux qui ont un temps partiel, souvent subi.
Pourquoi la discussion sur la durée du temps de travail est-elle devenue un tabou à gauche ?
Beaucoup de dirigeants socialistes pensent, comme François Mitterrand, que contre le chômage, on a "tout essayé". A gauche, ils n'ont pas envie de faire le bilan des 35 heures. Mais la semaine de 4 jours a été votée par les militants d'Europe Ecologie à 61% comme un point-clé du projet d'EELV. Evidemment personne n'en a parlé, mais ce sera une question importante dans les négociations du programme avec les socialistes.
Et le programme socialiste, qu'en pensez-vous ?
Il n'est pas à la hauteur. Ils promettent 300.000 emplois jeunes, ce qui est bien. Mais ils misent aussi sur 2,5% de croissance, ce qui n'est pas réaliste. Ca fait trente ans qu'on n'a pas eu ce taux de croissance (voir graphique).
Il faut mettre le paquet sur le logement, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, avec des partenaires sociaux. C'est un placement de père de famille rentable, avec des loyers qui rentrent. Et le paquet sur les énergies renouvelables.
-> "Pour éviter le krach ultime" Pierre Larrouturou, préface de Stéphane Hessel (nova éditions, 15 euros)
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