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La démographie africaine alimentera durablement les migrations vers l'Europe

Le G20, qui s'est terminé le 13 juin 2017 à Berlin, entend booster l’investissement privé en Afrique pour réduire les migrations vers l’Europe. Le doublement annoncé de la population africaine en 2050 met le continent devant de redoutables défis. 20 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. Faute d'emplois suffisants, nombreux seront ceux tentés par l'aventure migratoire.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le G20 consacré aux investissements et aux migrations africaines réunit plusieurs chefs d'Etats à Berlin le 12 juin 2017 (John MACDOUGALL / AFP)

«L’Afrique subsaharienne francophone, et notamment sahélienne, souffre de maux structurels qui hypothèquent son avenir... Sa démographie est une bombe à retardement», affirmait un rapport sur la stabilité et le développement de l’Afrique francophone émanant de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale.

Des crises comme au Mali et en Centrafrique sont appelées à se répéter en raison d’une forte pression démographique et d'évènements climatiques, qui exacerbent les conflits et les crises alimentaires, comme on peut le constater actuellement dans la Corne de l'Afrique.

«L’Afrique devra gérer une croissance démographique de plus d’un milliard d’habitants supplémentaires d’ici au milieu du siècle. Il y aura à la fois des classes moyennes qui émergent et s’en sortent, mais en même temps de plus en plus de pauvres», précise le rapport.
 
Plus de pauvres malgré une croissance économique dynamique
L’Afrique subsaharienne ne représente aujourd’hui que 1,4% du PIB mondial pour 15% de la population. Un grand écart qui ne devrait pas se réduire quand 23% de la population mondiale sera africaine en 2050. «Contrairement à ce qui était attendu, nombre de pays africains dans la zone francophone n’ont pas réellement amorcé leur transition démographique», estime le document.

La baisse importante de la mortalité infantile due aux progrès sanitaires ne se traduit pas (encore) par une nette diminution de la fécondité. La baisse est amorcée en Côte d'ivoire, au Ghana et au Togo. La question est en revanche particulièrement aiguë dans la région sahélienne avec une fécondité de 6,5 enfants en moyenne par femme au Mali, 7,1 au Tchad (recensement de juin 2009) et 7,2 au Niger. «Les enquêtes sociales sur le désir d’enfant ne laissent pas augurer d’une diminution rapide des taux de fécondité dans ces pays.» En conséquence, le Niger compte 700.000 personnes en plus chaque année, 500.000 pour le Mali.

Des chiffres encore appelés à augmenter. Le marché du travail aura donc bien du mal à absorber cette population nouvelle. «Aujourd’hui, 90% des 15-25 ans se retrouvent soit au chômage soit dans le secteur informel, c’est-à-dire sans emplois décents.» La scolarisation des enfants n’arrive pas non plus à suivre cette flambée démographique. Comment créer 1000 écoles et former 10.000 instituteurs chaque année au Niger sans une aide internationale massive? Il en est de même pour le Mali ou le Tchad.

Indice de fécondité moyenne (2005-2010): illustration tirée du rapport de la Commission des affaires étrangères. (rapport de l'Assemblée Nationale)


Le niveau d’éducation est encore très faible: les statistiques du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud) indiquent que la scolarité d'un enfant nigérien est de 5,4 ans, 7 ans au Mali. Dans les villages éloignés, les enfants sont scolarisés dans des écoles coraniques, «de plus en plus influencées par les mouvements salafistes ou wahhabites au détriment de l’islam traditionnel africain», s’inquiète le rapport.

Les villes en Afrique ne vident pas les campagnes
Pourtant, cette croissance démographique est considérée dans un premier temps comme une chance: synonyme de jeunesse, de dynamisme, d’urbanisation accélérée. Les téléphones portables se généralisent, les exportations augmentent, les investissements étrangers affluent...

Mais ce décollage économique reste fragile et ne parvient que rarement à réduire la pauvreté. Avec une économie peu diversifiée toujours essentiellement agricole et minière. Avec des terres peu productives, une pluviométrie capricieuse, des conflits croissants pour la terre, pour l’eau ou entre agriculteurs et pasteurs. Les investissement directs étrangers peuvent favoriser un décollage économique, mais dans une économie largement extravertie, les profits seront le plus souvent rapatriés vers les économies dominantes chinoise ou européennes.

L’agriculture aura du mal à tripler sa production pour faire face au doublement annoncé des villes, mais aussi des campagnes. «Car si les villes vont exploser en raison d’un exode rural massif, les campagnes ne vont pas se vider, bien au contraire. Un paradoxe africain qu’aucun autre continent n’a connu à ce jour», peut ont lire dans ce rapport.

«La Chine, en raison de sa politique de l’enfant unique, voit sa population commencer à baisser. Et l’Inde est sur une trajectoire démographique nettement plus modérée.» L'émergence de la Chine s'explique par une longue croissance économique proche de 10%, mais aussi par une politique volontariste de réduction de la natalité.

Si «le dividende démographique» favorise le décollage économique, sans une vraie transition démographique, sans planning familial, sans une aide massive au développement, les économies de l'Afrique de l’Ouest et centrale auront sans doute du mal à sortir de la trappe à pauvreté dans laquelle elles sont enfermées. D'autant que les changements climatiques risquent de peser tout particulièrment sur ces régions.

«En 2050 l'Afrique sera plus peuplée que la Chine, mais les jeunes en âge de travailler y seront trois fois plus nombreux et les emplois manqueront encore plus cruellement qu'aujourd'hui», affirme Serge Michaïlof, ancien directeur à la Banque Mondiale. «Nous ne voulons voir que l'Afrique en progrès, celle qui offre de nouveaux marchés et regorge de matières premières; Mais l'Afrique en crise existe toujours et pour longtemps», écrit Serge Michailof dans dans son livre «Africanistan».

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