Perquisitions et heurts au siège de La France insoumise : la loi a-t-elle été respectée ?
Les policiers sont intervenus sur ordre du parquet, dans le cadre de deux enquêtes préliminaires. Jean-Luc Mélenchon dénonce une "opération de police politique".
"Nous ne sommes pas dans une procédure normale !", proteste Jean-Luc Mélenchon, mercredi 17 octobre, au lendemain des perquisitions houleuses menées à son domicile, au siège de La France insoumise dans le 10e arrondissement de Paris et chez certains de ses anciens assistants.
Les perquisitions, menées par les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), auraient pu se dérouler dans le calme et à l'abri des regards. Mais c'est tout le contraire qui s'est produit, comme en témoignent les nombreuses vidéos publiées sur les réseaux sociaux, où l'on peut voir le leader du mouvement pousser un représentant du parquet.
Mercredi, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour "menaces ou actes d'intimidation contre l'autorité judiciaire" et "violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique", au lendemain des "incidents" survenus lors de la perquisition au siège de La France insoumise, à Paris. Retour en questions sur le cadre légal de ces opérations de police.
Les policiers avaient-ils le droit de perquisitionner ?
Les policiers de l'OCLCIFF sont intervenus dans le cadre de deux enquêtes préliminaires ouvertes depuis plusieurs mois par le parquet de Paris. La première concerne l'affaire des emplois fictifs présumés d'assistants parlementaires européens ; la seconde, les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon pendant la présidentielle.
Dans ce type de procédure, les perquisitions "ne peuvent être effectuées sans l'assentiment exprès de la personne chez laquelle l'opération a lieu", indique l'article 76 du Code de procédure pénale.
Mais ce même article précise que pour les infractions punies d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement, un juge des libertés et de la détention peut, à la demande du parquet, autoriser une perquisition sans l'accord de la personne concernée, "si les nécessités de l'enquête le justifient". Concernant la perquisition menée au siège de La France insoumise, le responsable légal du parti, Manuel Bompard, contacté par franceinfo, indique qu'il a été averti une demi-heure avant la perquisition et qu'une autorisation lui a bien été montrée par les policiers avant le début des opérations.
Pourquoi ces perquisitions ont-elles eu lieu alors que Jean-Luc Mélenchon bénéficie d'une immunité parlementaire ?
En tant que député, Jean-Luc Mélenchon dispose d'une immunité parlementaire prévue par l'article 26 de la Constitution. "Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions", indique cet article. Cet article ajoute que les parlementaires ne peuvent faire l'objet "d'une arrestation ou d'une mesure privative ou restrictive de liberté", sauf avec l'accord du bureau de leur assemblée.
Mais l'immunité parlementaire n'empêche aucunement d'être visé par une perquisition, car il ne s'agit pas d'une mesure restrictive de liberté.
La procédure a-t-elle été respectée lors des perquisitions ?
Une dizaine de perquisitions ayant été menées concomitamment, il est difficile de connaître dans le détail le déroulement précis de chacune d'elles. Néanmoins, Manuel Bompard, qui a assisté à la perquisition menée au siège de La France insoumise, estime que la procédure est entachée d'irrégularités. "Nos avocats travaillent dessus et il y aura des recours", assure-t-il, interrogé par franceinfo.
Il affirme notamment s'être vu confisquer son téléphone lors de la perquisition et avoir été empêché d'assister aux opérations dans les locaux de La France insoumise. "J'étais bloqué dans une salle de réunion gardée par deux policiers, pendant que leurs collègues perquisitionnaient les bureaux", dit-il. Pourtant, l'article 57 du Code de procédure pénale précise bien que les perquisitions doivent être "faites en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu" ou, en cas d'impossibilité, de deux témoins.
Manuel Bompard assure par ailleurs que les policiers ne lui ont pas fait signer de procès-verbal, comme ce devrait pourtant être le cas à l'issue d'une perquisition. Plus grave, celui qui se présente comme le responsable administratif du mouvement dit ne pas savoir si des documents, des objets ou des fichiers informatiques ont été saisis. "Le magistrat m'a dit qu'ils n'emmenaient rien, alors qu'un policier m'a parlé de scellés provisoires", assure-t-il. Enfin, il annonce le dépôt d'une plainte pour "violences" commises contre quatre personnes. "J'ai moi-même deux ecchymoses, sur le visage et sur le bras."
Un magistrat interrogé par franceinfo sous couvert d'anonymat estime cependant peu probable que le parquet et les policiers aient pu agir avec autant de négligence : "Je vois mal le parquet de Paris faire des erreurs de procédure aussi grossières !"
Jean-Luc Mélenchon avait-il le droit de filmer la perquisition ?
Aucun texte de loi n'interdit formellement de capter de telles images. Le secret de l'enquête, qui pourrait se trouver bafoué par la diffusion d'images de perquisitions, n'est ici pas opposable. "Le secret de l'enquête s'impose aux professionnels (magistrats, policiers…), mais pas à la personne visée par l'enquête", explique Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, interrogée par franceinfo.
Jean-Luc Mélenchon peut-il être poursuivi après ces incidents ?
Le parquet de Paris a indiqué mercredi matin avoir ouvert "une procédure des chefs de menaces ou actes d'intimidation contre l'autorité judiciaire et violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique". L'outrage (menaces verbales) est passible de six mois de prison, portés à un an lorsqu'il est commis en réunion. La rébellion (violences physiques) est punie d'un an de prison, et de deux ans lorsqu'elle est commise en réunion. Le parquet n'a pas précisé quelles étaient les personnes visées par cette procédure.
L'enquête est-elle téléguidée par le pouvoir ?
Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une véritable "opération de police politique". Et plusieurs responsables de l'opposition se sont étonnés, à l'instar de Guillaume Larrivé sur franceinfo, de la "multiplication des procédures judiciaires" à l'encontre des partis politiques.
Aucun élément ne permet d'affirmer que ces perquisitions soient le fruit d'un acharnement du pouvoir en place. Parmi les autres partis qui ont dû subir des procédures similaires figure même le MoDem, soutien d'Emmanuel Macron. Toutefois, les perquisitions visant La France insoumise ont été menées dans le cadre d'une enquête préliminaire, c'est-à-dire dirigée par le parquet, soumis hiérarchiquement à l'exécutif, et non pas dans le cadre d'une information judiciaire confiée à un juge d'instruction indépendant.
En France, le garde des Sceaux a l'interdiction formelle, depuis 2013, de donner des instructions individuelles aux parquets. "Il n'y a aucune instruction individuelle donnée au procureur (...). Il n'appartient à aucun d'entre nous de remettre en cause le principe fondamental de l'indépendance de la justice", a d'ailleurs assuré Edouard Philippe, mardi, à l'Assemblée nationale.
Reste que les affaires sensibles peuvent toujours faire l'objet de remontées d'informations et que "c'est la Chancellerie qui fait les carrières des magistrats", note Katia Dubreuil. De quoi, possiblement, alimenter les théories du complot en tous genres. "Pour nous, cette affaire met une nouvelle fois en lumière la nécessité de couper le cordon entre l'exécutif et le parquet", affirme la présidente du Syndicat de la magistrature.
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