Affaires François de Rugy : pourquoi les responsables politiques ne démissionnent-ils pas quand ils sont mis en cause ?
Franceinfo a interrogé Béatrice Guillemont, responsable de la chaire "Probité des responsables publics" du "think tank" L'Observatoire de l'éthique publique.
François de Rugy dans la tourmente. L'opposition réclame la démission du ministre de la Transition écologique depuis les révélations de Mediapart sur son train de vie. En cause : les dîners mondains qu'il a organisés entre 2017 et 2018, alors qu'il était président de l'Assemblée nationale, aux frais du contribuable. Le site d'information reproche aussi au numéro 2 du gouvernement d'avoir fait rénover son appartement de fonction pour un montant de 63 000 euros et d'avoir occupé un appartement à loyer social préférentiel dans la région nantaise.
"Je n'ai absolument pas de raison de démissionner", a réagi François de Rugy, vendredi 12 juillet. La veille, il s'était engagé à rembourser "chaque euro contesté" à l'issue d'un entretien avec Edouard Philippe, où ce dernier lui a renouvelé sa confiance. Un ministre peut-il rester en poste malgré de telles accusations ? Pour y voir plus clair, franceinfo a interrogé Béatrice Guillemont, responsable de la chaire "Probité des responsables publics" au sein du "think tank" L'Observatoire de l'éthique publique.
Franceinfo : François de Rugy a été épinglé pour les dîners fastueux organisés à l'hôtel de Lassay avec de l'argent public. Le président de l'Assemblée nationale a-t-il le droit d'organiser de tels événements ?
Béatrice Guillemont : Par principe, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. La présidence de l'Assemblée nationale dispose d'un budget annuel de fonctionnement qui comprend les frais de réception, de mission et de déplacement du président en fonction. Néanmoins, il n'existe pas de comptes détaillés, de telle sorte qu'il est très difficile pour les questeurs, la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes de l'Assemblée ou encore le rapporteur spécial des crédits de la mission "pouvoirs publics" d'y voir clair dans les dépenses.
En la matière, la loi du 15 septembre 2017 pour la moralisation de la vie politique aurait pu aller plus loin pour faire la transparence sur les dépenses des présidences de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Donc à défaut de précisions, il revient au président d'avoir un réflexe déontologique. Tout ce qui ne relève pas strictement de la fonction ne devrait pas peser sur les deniers publics, d'autant que certains comportements peuvent tomber sous le coup de la loi pénale et plus précisément des atteintes à la probité.
Même si François de Rugy affirme que ces dîners sont "liés à l'exercice de ses fonctions", les sommes dépensées pour ces luxueux dîners ne sont-elles pas critiquables du point de vue de la morale ?
Cela dépend de ce que l'on entend par "morale". La morale républicaine que l'opinion publique semble appeler de ses vœux n'est pas définie. Certains principes et valeurs sont énoncés et peuvent servir de guides pour définir un idéal républicain renouvelé ; la morale, quant à elle, serait un outil. Mais encore faut-il définir ce qu'est cette morale commune. Longtemps nous avons pensé qu'elle allait de soi, force est de constater que ce n'est plus le cas. La morale républicaine est à repenser. Sans cela, des telles situations sont amenées à se reproduire encore et encore.
Au final, "l'affaire Rugy" semble être une épreuve pour l'opinion publique : à chaque situation problématique révélée dans la presse, l'opinion publique s'en saisit et s'interroge pour savoir ce qui semble acceptable ou non en réinterrogeant ses valeurs. Ce qui ne semble plus acceptable aujourd'hui l'était largement il y a des dizaines d'années, lorsque la France n'avait pas connu la crise économique de 2008 et jouissait des Trente Glorieuses par exemple. Quoi qu'il en soit, quand on prend du recul, on voit apparaître une tendance générale vers davantage de sobriété démocratique et de probité publique.
Faut-il définir avec plus de précisions les pratiques qui sont acceptables ou non pour un élu ?
Depuis 2013, le Parlement adopte à peu près une loi par an en matière de moralisation de la vie politique, sans parler du travail fait par les assemblées en interne, via la modification de leur règlement. Souvent, il s'agit de mesures adoptées à la suite d'affaires (Woerth-Bettencourt, Cahuzac, Fillon…). Il existe déjà beaucoup de règles et même les experts ont désormais du mal à s'y retrouver.
Certes, certaines mesures nécessitent d'être adoptées, comme le fait de donner un pouvoir d'investigation et de sanction au déontologue de l'Assemblée nationale et au Comité de déontologie du Sénat, constitutionnaliser la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), ou encore le fait de rendre publiques les dépenses des présidences d'assemblée.
Mais il semble plus important d'inculquer une culture de la probité publique car la multiplication des réformes rend de moins en moins intelligible la loi et favorise ainsi l'opacité. L'effet pervers est que ce sentiment d'opacité participe à la perte de confiance des citoyens dans les institutions. Sans adopter une nouvelle loi sou sle coup de l'émotion, il faudrait prendre du recul, poser le débat et engager une vraie réflexion autour d'une morale commune, républicaine et laïque.
N'y a-t-il pas, tout de même, une tradition française à rester en poste malgré les scandales ? Ces affaires semblent inimaginables dans les pays scandinaves comme la Suède...
La Ve République ne prévoit pas de mécanisme révocatoire des élus, ces derniers sont donc libres de décider de quitter leurs fonctions ou non. Même si nous avons tendance à comparer les pratiques de la France avec celles des pays scandinaves tant elles paraissent plus vertueuses que les nôtres, comparaison n'est pas toujours raison. Les pays du nord de l'Europe ont une autre histoire institutionnelle, culturelle, religieuse. Ils sont notamment marqués par le protestantisme, qui renvoie au culte de l'intégrité morale et à un très fort contrôle social.
Ces pays font également face à des scandales politiques et il est vrai que les élus y rendent leur écharpe plus facilement que les nôtres. Maintenant que l'on a les moyens techniques (et notamment internet) pour pouvoir se comparer, il paraît moins acceptable qu'un élu français mis en cause dans les médias puisse conserver ses fonctions, et ce d'autant plus lorsque celui-ci se réclamait d'une certaine probité publique. C'est cette inconséquence philosophique, malgré la bonne foi, qui semble mal supportée par l'opinion publique.
Quoi qu'il en soit, il faut rappeler que François de Rugy n'a pas été mis en cause pénalement et garder en tête l'adage qu'on entend souvent dans ce genre d'affaires : "Un pur trouve toujours un plus pur qui l'épure". Il faut admettre qu'un élu est aussi un citoyen comme un autre, dont la réflexion éthique évolue avec le temps. François de Rugy était certainement de bonne foi, mais l'opinion publique semble être plus exigeante désormais.
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