Les deux secrétaires d'Etat ont été amenés dimanche à présenter leur démission
Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie et proche de Nicolas Sarkozy, a créé la surprise, jusqu'à l'Elysée, en annonçant lui-même sa démission.
Quelques minutes plus tard, la présidence confirmait cette démission en annonçant, fait rarissime, celle du secrétaire d'Etat au Grand Paris, Christian Blanc.
Le porte-parole du gouvernement et ministre de l'Education nationale, Luc Chatel, a affirmé que l'Elysée et Matignon ont exigé la démission des deux hommes. MM. Sarkozy et Fillon "ont décidé de tirer les conséquences d'événements survenus ces derniers jours" a-t-il dit.
Mais selon une autre source, pris de court par la démission d'Alain Joyandet, l'Elysée a saisi l'occasion pour congédier aussi Christian Blanc, dont l'affaire d'une facture de 12.000 euros de cigares aux frais du contribuable, révélée par Le Canard Enchaîné a agacé au plus haut point le chef de l'Etat. Quant à Alain Joyandet, il avait été épinglé à deux reprises, ces derniers mois, par la presse: location d'un avion privé pour 116.500 euros pour participer en Martinique à une conférence internationale, puis soupçons autour d'un permis de construire illégal pour agrandir une maison dans le Var.
Dans un communiqué publié lundi, Christian Blanc affirme avoir démissionné pour "retrouver (sa) liberté et faire face à ce qu' (il) considère comme un lynchage sans preuve qui (l') atteint et atteint le gouvernement".
"Les fonctions d'Alain Joyandet seront exercées par Bernard Kouchner", ministre des Affaires étrangères, "et celles de Christian Blanc par Michel Mercier", ministre de l'Espace rural, annonce de son côté l'Elysée dans un communiqué.
Ces démissions interviennent dans un contexte d'affaires à répétition qui ont touché des membres du gouvernement et de la majorité: affaire Bettencourt dans laquelle le ministre du Travail Eric Woerth se retrouve empêtré; mission de l'ancienne ministre Christine Boutin; affaire du double logement de fonction du ministre de l'Industrie, Christian Estrosi;
"Tout ça, c'est un écran de fumée pour protéger Woerth", affirme une source gouvernementale citée par l'AFP. Une opinion reprise ce matin par quasiment tous les éditorialistes de la presse quotidienne (voir paragraphe).
Joyandet a pris les devants en annonçant la nouvelle sur son blog
"L'homme d'honneur que je suis ne peut accepter d'être victime d'un amalgame (...) j'ai décidé de quitter le gouvernement", déclare M. Joyandet, secrétaire d'Etat à la Coopération, sur son blog.
"Pas un euro public n'a été détourné pour mon enrichissement personnel ou celui de mes proches", souligne sur son blog www.joyandet.fr M. Joyandet, qui a "bien évidemment informé le président de la République, qui peut compter sur (sa) fidélité et (son) amitié".
"En 1995, année de ma première élection comme maire de Vesoul, je faisais déjà campagne sur le thème de l'exemplarité. Toute mon action publique est en conformité avec cette exigence et avec les impératifs de l'intérêt général", affirme M. Joyandet.
Réactions à droite
"Les choses aujourd'hui sont revenues à l'endroit", a estimé le secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand. Leur comportement "était incompris", il ne pouvait "pas être accepté", a-t-il poursuivi. Il a cependant appelé "ne pas rentrer dans une logique où tout responsable politique devient un coupable par nature". Il a ainsi jugé que le ministre du Travail, Eric Woerth, était "la victime d'une machinerie politique, de A jusque Z" menée par les socialistes qui ont "compris que c'était leur façon à eux de pouvoir gêner la réforme des retraites".
"C'est tout à leur honneur d'avoir tiré les conclusions de ces incidents, de ces maladresses, qui (...) mettaient en difficulté le travail du gouvernement", a déclaré la secrétaire d'Etat à la Famille, Nadine Morano."Il fallait un peu plus de calme, de sérénité face aux grandes réformes que nous sommes en train d'engager, notamment celle des retraites", a-t-elle ajouté.
Réactions dans l'opposition
Le leader du Parti de gauche Jean-Luc Mélenchon s'est demandé pourquoi "ces deux-là" et "pas les autres, dont les noms sont cités dans des abus divers et nourrissent le feuilleton d'une décomposition générale". "Pourquoi pas les autres, dont les noms sont cités dans des abus divers et nourrissent le feuilleton d'une décomposition générale?". "Si le président pense que ce délestage suffira, il se trompe. L'affaire Bettencourt", dans laquelle le ministre du Travail Eric Woerth est mis en cause pour conflit d'intérêts "continuera son oeuvre de révélateur", poursuit le leader du PG.
"La situation est en train d'échapper au contrôle du président de la République. Bientôt, pour que les uns ne partent pas sans les autres, le mot d'ordre deviendra qu'ils s'en aillent tous!" conclut M. Mélenchon.
Le député PS Claude Bartolone: "ce sont quelques gouttes de cohérence dans un océan d'incohérences. Cohérence car je ne vois pas comment ils auraient pu rester au gouvernement. Mais incohérence du président de la République car ces deux-là sortent alors que d'autres restent au gouvernement. Incohérence encore de Nicolas Sarkozy de ne pas demander dès aujourd'hui à Eric Woerth de quitter le poste de trésorier de l'UMP".
Le secrétaire général du Modem, Marc Fesneau: "ces démissions sont logiques et étaient inéluctables au regard de ce qu'avait révélé la presse sur le comportement inadmissible de ces deux secrétaires d'Etat (...). Ils auraient dû quitter d'eux-mêmes le gouvernement pour des questions d'éthique et de cohérence. Ces démissions étaient nécessaires, elles ne seront pas suffisantes pour rétablir la confiance".
Pour la vice-présidente du FN, Marine Le Pen, "on sacrifie deux sous-ministres" pour "sauver le soldat Woerth" mis en cause dans l'affaire Bettencourt "contre lequel pèsent des soupçons beaucoup plus graves". Selon elle, "c'est exactement la méthode Sarkozy" : "on est dans la com (...) On désenfume en lançant une ba-balle derrière laquelle on est censé courir pour éviter de s'attaquer au vrai problème de fond, qui est le problème de la corruption du monde politique (...)et de ces relations très troubles qui existent entre un certain nombre de politiques et les puissances d'argent".
La presse française est quasi unanime lundi pour affirmer que les démissions d'Alain Joyandet et de Christian Blanc visent à occulter la situation du ministre du Travail Eric Woerth.
"La démission forcée des deux ministres accrédite surtout l'idée que le pouvoir cherche un exutoire pour essayer de protéger Éric Woerth. Or, sacrifier deux personnes pour essayer d'en sauver une troisième, plus gravement menacée, témoigne d'une grande panique au sommet", écrit Alain Joannès dans Le Télégramme.
"Pour autant, peut-on y voir une forme de stratégie élyséenne destinée à protéger le soldat Woerth? Ces deux démissions, sorte d'écran de fumée sur l'opinion, pourraient calmer les vociférations de l'opposition", soutient Yann Marec dans le Midi Libre.
Marjory Chouraqui, éditorialiste de La Provence, estime également que ces démissions visent à "regagner une part de crédibilité afin de sauver le soldat Éric Woerth, pilote du grand chantier du quinquennat, la réforme des retraites dont le texte doit être examiné mardi prochain en conseil des ministres". Pour Dominique Garraud, de la Charente Libre, "les démissions de deux sous-ministres dans le collimateur témoignent d'une grande fébrilité de l'Élysée. Et s'il fallait parier sur les chances de succès d'une opération diversion Joyandet-Blanc, la cote serait très élevée".
"En vérité, un vent de panique a gagné l'exécutif. (...). Sauf que Nicolas Sarkozy, débordé, n'en finit plus de courir derrière les événements", considère Jacques Camus de la République du Centre.
Michel Lepinay, de Paris-Normandie, rappelle que "le gros morceau, l'affaire qui nuit le plus à l'image du président, c'est celle qui concerne Eric Woerth". Ce dernier "est certes préservé mais les fusibles ont cramé", indique Denis Daumin de La Nouvelle République.
"En faisant le ménage chez les ministres les moins défendables, l'exécutif espère éviter les amalgames avec Eric Woerth. Cela tiendra-t-il jusqu'en octobre?", s'interroge Jean-Michel Helvig dans la République des Pyrénées.
Philippe Waucampt, du Républicain Lorrain, est inquiet: "connu jusqu'ici pour sa réactivité hors pair, Nicolas Sarkozy a toujours un temps de retard depuis la fin mars, quand a commencé à s'enfiler le collier de perles des affaires". Désabusé également, Jean-Claude Souléry (La Dépêche du Midi) estime que "ce n'est pas encore une hécatombe, mais ça sonne déjà comme le début de la fin".
"L'un et l'autre étaient devenus le symbole de ce que les Français n'acceptent plus: la légèreté dans l'exercice d'une fonction gouvernementale, une forme d'insolence dans la façon d'être", affirme Paul-Henri du Limbert dans Le Figaro. "Ces comportements sont d'autant plus mal vécus qu'ils surgissent à un moment où l'avenir n'a jamais été aussi angoissant", confirme Michel Urvoy d'Ouest France.
Son de cloche identique de la part de Patrick Fluckiger, de L'Alsace: "Ces démissions interviennent au moment où un sondage révèle l'irritation, pour ne pas dire le dégoût, des Français devant les indélicatesses de certains des plus hauts dirigeants de l'Etat". "Il faut craindre que deux démissions surprises ne suffisent pas à instaurer une éthique ministérielle moderne. Il faudra plus, en tout cas, que des bonnes paroles sur 'l'Etat irréprochable'", conclut Laurent Joffrin dans Libération.
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