Loi sur le renseignement : les points que le Conseil constitutionnel pourrait censurer
Invité du "Supplément" de Canal+, François Hollande a déclaré vouloir saisir le Conseil constitutionnel sur le projet de loi sur le renseignement. Sur quels points va-t-il porter en priorité ? Francetv info a quelques pistes.
La déclaration de François Hollande a surpris tout le monde. Invité du "Supplément" de Canal+, dimanche 19 avril, le chef de l'Etat a annoncé son intention de saisir lui-même le Conseil constitutionnel sur le projet de loi sur le renseignement, actuellement examiné au Parlement. Une décision prise afin de rassurer les opposants au projet, qui craignent que le renforcement de la sécurité du pays ne soit opéré au détriment des libertés individuelles. Ce choix fait par un président de la République de saisir les sages de la rue de Montpensier pour une loi ordinaire est une grande première dans l'histoire de la Ve République, assure le constitutionnaliste Olivier Duhamel, dans une chronique publiée sur Le Lab d'Europe 1.
Francetv info se penche sur les points-clés de cette loi qui font débat, et qui pourraient être censurés par le Conseil constitutionnel.
Les boîtes noires
Au centre des inquiétudes des opposants à cette loi se trouvent les "boîtes noires", des petits logiciels dont la mission sera de surveiller l'ensemble de l'internet français, à la recherche de "comportements suspects". Le Conseil constitutionnel devra décider si cette technique, qui représente une atteinte potentielle à la vie privée, est totalement justifiée par son objectif premier : prévenir le terrorisme.
"Au vu de grands textes internationaux [dont l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme], un grand nombre de techniques pourraient être annulées", estime Marion Lagaillarde, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, contactée par francetv info. "Le Conseil constitutionnel va-t-il considérer qu’installer un logiciel qui analyse, détecte automatiquement des mots-clés, et qui potentiellement va aspirer des quantités de données, respecte la vie privée ?" s’interroge Marc-Antoine Ledieu, avocat proche du mouvement "Ni pigeons-ni espions", qui s'oppose au projet de loi.
"L'utilisation de matériels pouvant capter des données d'utilisateurs non visés par la surveillance, mais se situant dans le périmètre couvert par la boîte noire, fera l'objet d'une appréciation approfondie" par le Conseil constitutionnel, estime également Olivier Le Bot, professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille, joint par francetv info.
Les capacités de contrôle des services de renseignement
Autre point sensible du projet de loi : la mise en place d'une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Composée de parlementaires, de magistrats et d’une personne spécialisée dans les réseaux numériques, elle aura pour mission d'encadrer les écoutes diligentées par les services de renseignement. Mais ses capacités de contrôles sont jugées insuffisantes par les opposants. Ces derniers lui reprochent notamment de ne pas être suffisamment indépendante vis-à-vis du pouvoir, et de n'avoir qu'un avis consultatif.
Le Syndicat de la magistrature et l’Union syndicale des magistrats plaident pour que cette commission puisse devenir une autorité judiciaire, et non administrative. Dans un communiqué de presse, le défenseur des droits, Jacques Toubon, a quant à lui plaidé pour que la commission ait un contrôle "systématique et immédiat". Pour le gouvernement, cette commission dispose de moyens suffisants et, surtout, permet de contrôler les actions des services de renseignement qui sont aujourd’hui dans une zone grise.
Au regard de ses décisions passées, le Conseil constitutionnel pourrait valoriser l'encadrement juridique de pratiques existantes. "Le Conseil est attentif à avoir un cadre législatif plutôt qu’un vide juridique", explique Anne Levade, professeure de droit public à l’université de Créteil, contactée par francetv info. Selon elle, le Conseil pourrait cependant influencer la loi, par exemple en la déclarant constitutionnelle uniquement si des magistrats judiciaires sont présents dans la commission.
La durée de conservation des données
Qui dit surveillance dit recueil de données, et donc stockage. La loi prévoit aujourd’hui des durées allant de six mois à cinq ans, selon le type de données, mais des exceptions pourraient être introduites dans le projet actuel. "Va-t-on permettre d'aspirer massivement des données, qui, même si elles ne sont pas utilisées, seront stockées ad vitam æternam ?" s'interroge l'avocat Marc-Antoine Ledieu.
Le constitutionnaliste Olivier Le Bot, lui, considère que les garanties de forme, notamment pour les données, sont aujourd’hui respectées par le gouvernement. "Toutes les garanties [apportées par le texte] apparaissent suffisantes au regard de ce qu'exige la jurisprudence constitutionnelle", estime-t-il.
Ce qui n’empêche cependant pas Marc-Antoine Ledieu d’aller plus loin : "Aujourd’hui, on ne collecte que des données de connexion. Mais comme avec l’ADN, que l’on n’a utilisé dans des affaires que vingt ans après sa collecte, que va-t-on pouvoir faire de ces données dans vingt ans ?" Au niveau des textes, le Conseil constitutionnel devra notamment juger si cette collecte respecte la protection des données personnelles, comme le stipule l'article 8.1 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Le champ d'action
Dernier point sensible : l'étendue du champ d'action, définie dans le projet de loi. Pour les opposants au texte, ce champ d'action est trop large, puisqu'il va de "l’indépendance nationale" aux "intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France", en passant par la lutte contre le terrorisme.
"Pour être constitutionnelle, une loi doit être claire, prévisible. Or les modalités techniques des outils de surveillance ne sont pas suffisamment développées dans la loi, critique Marion Lagaillarde. Le simple fait qu'il y ait un doute exprimé par les opposants est la preuve que la marge d'interprétation du texte est trop grande." Pour Olivier Le Bot, cette imprécision est également une raison qui pourrait rendre inconstitutionnels certains points de la loi : "Le Conseil vérifiera que les cas dans lesquels des données peuvent être collectées sont définis avec suffisamment de précisions." Si ces cas sont trop flous, ou définis de façon trop imprécise, le Conseil les jugera inconstitutionnels.
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