L'article à lire pour comprendre les enjeux du procès des assistants parlementaires européens du Front national

Marine Le Pen et 24 autres personnes ainsi que le parti d'extrême droite, en tant que personne morale, comparaissent à partir du lundi 30 septembre devant la justice pour des soupçons de détournement de fonds du Parlement européen.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Marine Le Pen, alors présidente du Rassemblement national, lors d'une conférence de presse au Parlement européen à Bruxelles, le 13 juin 2019. (ARIS OIKONOMOU / AFP)

L'audience promet d'être particulièrement scrutée au sein de la classe politique. Le procès de Marine Le Pen ainsi que de 24 personnes et du Rassemblement national (RN) s'ouvre lundi 30 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris. Près d'un an après le procès des assistants parlementaires européens du MoDem, les élus, cadres et ex-cadres du parti d'extrême droite sont à leur tour jugés pour des soupçons de détournement de fonds publics européens. L'enjeu est de taille pour le RN, et notamment pour sa prétendante à l'Elysée, Marine Le Pen, car des peines d'inéligibilité sont encourues. Franceinfo répond aux questions qui se posent sur ce rendez-vous judiciaire prévu pour durer deux mois, à raison de trois audiences par semaine.

Que reproche la justice au parti ?

L'affaire démarre en juin 2014, un mois après les élections européennes qui ont vu 24 députés frontistes faire leur entrée au Parlement européen. L'Office européen de lutte antifraude est destinataire d'un renseignement anonyme visant les conditions d'emploi des assistants parlementaires de Marine Le Pen, eurodéputée depuis dix ans. Les soupçons de détournement de fonds se précisent lors de la publication de l'organigramme du Front national (devenu depuis le RN) au printemps 2015. Seize eurodéputés du FN et 20 assistants parlementaires y occupent des fonctions officielles alors qu'ils sont censés être mobilisés à Bruxelles et Strasbourg.

Le Parlement européen se tourne alors vers la justice française, qui lance des investigations. Les enquêteurs découvrent notamment que Catherine Griset, assistante parlementaire de Marine Le Pen depuis 2010, était en même temps son assistante particulière puis sa cheffe de cabinet. Thierry Légier, le précédent assistant de l'eurodéputée en 2009, occupait, lui, une fonction de garde du corps auprès de Jean-Marie Le Pen. Charles Hourcade, assistant parlementaire de l'élue FN Marie-Christine Boutonnet entre septembre 2014 et février 2015, était pour sa part employé comme graphiste pour le parti.

Au fil des investigations, confiées fin 2016 à deux juges d'instruction financiers parisiens, les magistrats soupçonnent le parti d'avoir "de manière concertée et délibérée" mis en place un "système de détournement" des enveloppes de 21 000 euros par mois allouées par l'UE à chaque député pour rémunérer des assistants parlementaires. Le Parlement européen, qui s'est constitué partie civile, a évalué son préjudice à 6,8 millions d'euros pour les années 2009 à 2017.

L'objectif, selon l'accusation, était de réaliser des économies substantielles de salaires pour le FN, alors très endetté. Dans l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, consultée par franceinfo, les juges d'instruction insistent sur le "caractère systémique des détournements" qui, au fil des législatures, sont devenus "un moyen de financement du parti" dans un contexte de difficultés financières.

Quels sont les éléments à charge ? 

Parmi les documents saisis lors de perquisitions figurent des échanges accablants, comme ce courrier du trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just, adressé le 16 juin 2014 à Marine Le Pen. "Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires", écrit-il. Un autre message compromettant est saisi par les enquêteurs. Il est envoyé par l'ancien eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser après une réunion tenue par Marine Le Pen à Bruxelles à la même période.

"Ce que Marine nous demande équivaut qu'on signe pour des emplois fictifs... et c'est le député qui est responsable pénalement sur ses deniers même si le parti en est le bénéficiaire."

L'ex-eurodéputé FN Jean-Luc Schaffhauser

dans un message adressé au trésorier du parti en juin 2014

Ces éléments sont confirmés par Nicolas Franchinard, ancien collaborateur de trois eurodéputés FN, dans l'émission "Complément d'enquête" diffusée jeudi 19 septembre sur France 2. 

Complément d'enquête. "Faire des économies grâce au Parlement européen" : le FN a-t-il mis l’argent de l’Europe au profit du parti ?
Complément d'enquête. "Faire des économies grâce au Parlement européen" : le FN a-t-il mis l’argent de l’Europe au profit du parti ? Complément d'enquête. "Faire des économies grâce au Parlement européen" : le FN a-t-il mis l’argent de l’Europe au profit du parti ? (COMPLEMENT D'ENQUETE / FRANCE 2)

Qui sont les principaux prévenus ?

Ce procès vise au premier chef Marine Le Pen, jugée pour détournement de fonds publics et complicité de détournement de fonds publics. L'ancienne présidente du parti (2011-2022) est présentée, dans l'ordonnance de renvoi, comme "l'une des principales responsables du système ainsi mis en place alors qu'elle avait été avisée par ses échanges avec le trésorier du parti, dès 2013, de la nécessité de soulager les finances du FN". En juillet dernier, elle a accepté de rembourser 330 000 euros dans un volet annexe de l'affaire. Selon Patrick Maisonneuve, l'avocat du Parlement européen contacté par franceinfo, "elle a estimé que les sommes allouées étaient indues. Sinon c'est contradictoire de dire 'je rembourse' mais 'je suis dans mon bon droit'." 

Parmi les autres prévenus figurent le maire de Perpignan, Louis Aliot, l'ex-numéro 2 du parti Bruno Gollnisch, l'ex-trésorier du FN Wallerand de Saint-Just, le député et porte-parole du RN Julien Odoul ou encore le vice-président exécutif de Reconquête, Nicolas Bay. Selon les documents consultés par franceinfo et "Complément d'enquête", ce dernier a fourni à la justice des revues de presse éditées en 2018 pour tenter de prouver l'activité de son assistant Timothée Houssin en 2014-2015.

Jean-Marie Le Pen, âgé de 96 ans, n'est en revanche pas "en état" d'assister au procès en raison d'"une profonde détérioration de ses capacités physiques et psychologiques", comme l'a rapporté en juillet Bénédicte de Perthuis, la présidente de la 11e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Il ne pourra donc pas être jugé ni condamné à une quelconque peine. Le tribunal a estimé que l'ex-député européen Jean-François Jalkh, 67 ans, n'était pas non plus en mesure d'assister au procès en raison de son état de santé "très dégradé" après un accident vasculaire cérébral. Leur exemption doit être actée lundi à l'ouverture du procès. 

Au total, neuf personnes ayant été élues au Parlement européen sur des listes Front national comparaîtront. Douze assistants parlementaires, ainsi que quatre collaborateurs du parti, seront également sur les bancs des prévenus. Parmi eux, Loup Viallet, ancien assistant parlementaire de l'ex-eurodéputée FN Dominique Bilde. Selon "Complément d'enquête", il lui a envoyé un seul et unique mail en six mois de collaboration, pour réclamer l'achat d'un ordinateur. Il aurait travaillé en réalité pour le bras droit de Marine Le Pen à l'époque, Florian Philippot, ainsi que pour sa directrice adjointe de cabinet, alors en campagne pour les élections municipales à Houilles (Yvelines), en 2014.

Assistants parlementaires du FN : des missions très éloignées de l'Union européenne
Assistants parlementaires du FN : des missions très éloignées de l'Union européenne Assistants parlementaires du FN : des missions très éloignées de l'Union européenne (COMPLEMENT D'ENQUETE / FRANCE 2)

Les prévenus encourent une peine maximale de dix ans de prison et d'un million d'euros d'amende. Le tribunal peut également les condamner à une peine d'inéligibilité. Le Rassemblement national, en tant que personne morale, devra répondre aussi de complicité et recel de détournement de fonds publics, sur toute la période visée (2004-2016).

Pourquoi Jordan Bardella n'est-il pas poursuivi dans cette affaire ?

Jordan Bardella a été, durant quelques mois en 2015, l'assistant parlementaire de Jean-François Jalkh. Mais il ne figure pas parmi les douze ex-assistants parlementaires jugés dans cette affaire. Pourtant, selon le livre La Machine à gagner. Révélations sur le RN en marche vers l'Elysée, paru le 13 septembre, son nom apparaît bien dans l'organigramme du Front national publié en février 2015. L'actuel patron du parti y est désigné comme "chargé de mission" auprès de Florian Philippot, ancien vice-président du FN.

Si Jordan Bardella n'est pas poursuivi, c'est que, selon l'auteur du livre, Tristan Berteloot, il a contribué à fabriquer "de fausses preuves de travail" pour "berner la justice". Fin 2017, l'équipe de l'étoile montante du RN, alors porte-parole du parti et bientôt candidat aux européennes de 2019, a "prépar[é] un dossier de preuves factices, antidaté de la période où Jordan Bardella était employé comme assistant", avance le journaliste de Libération. Le dossier en question consiste, comme pour Nicolas Bay, en une revue de presse régionale "couvrant la période de contrat" comme assistant parlementaire, de février à juin 2015.

Problème, relève Tristan Berteloot : "la date de recherche" a été recouverte de "blanco". Toujours selon le journaliste de Libération, un agenda 2015 a également été livré au siège du Rassemblement national en 2018, puis rempli à la main par Jordan Bardella pour "fabriquer d'autres fausses preuves de travail". Rejetant en bloc ces accusations, ce dernier a assuré qu'il n'avait ni antidaté ni produit de document, et rappelé qu'il n'avait jamais été entendu ou concerné par la procédure. Il a annoncé qu'il allait porter plainte pour diffamation.

Quelle est la ligne de défense du parti et des prévenus ?

Au moment de l'annonce du renvoi devant la justice du parti et des 27 prévenus (dont, à l'époque, Jean-Marie Le Pen et Jean-François Jalkh), en décembre 2023, le Rassemblement national avait martelé que Marine Le Pen n'avait "commis aucune infraction ni irrégularité" et contesté "formellement les accusations formulées contre nos députés européens et assistants parlementaires". "Je ne suis pas inquiète, nous sommes totalement innocents des faits qui nous sont reprochés et nous allons l'expliquer aux magistrats durant de longues semaines où je serai présente, bien entendu", a pour sa part lancé Marine Le Pen dimanche 8 septembre, lors d'un point presse informel dans son fief d'Hénin-Beaumont. Sur l'issue du procès, "on est assez sereins", a renchéri, mi-septembre sur franceinfo, Sébastien Chenu, vice-président du Rassemblement national et député du Nord.

Pendant l'instruction, Marine Le Pen avait estimé devant les enquêteurs que "les assistants parlementaires ne travaillent pas pour le Parlement européen. Ils sont des assistants parlementaires politiques d'élus, par définition politiques. Ce ne sont pas des fonctionnaires du Parlement européen." C'est la principale ligne de défense du RN et de ses cadres : le parti à la flamme a toujours prôné sa liberté d'octroyer les tâches qu'il voulait aux assistants de ses eurodéputés. Alexandre Varaut, ancien avocat du RN devenu porte-parole du parti dans ce dossier depuis qu'il a été élu eurodéputé, confirme cette stratégie auprès de franceinfo.

"Nous allons pouvoir expliquer au tribunal que les assistants parlementaires ne sont pas des employés du Parlement européen mais des salariés des députés européens et que, comme tels, ils obéissaient à leur député. C’est au député de définir lui-même la manière dont il veut faire de la politique."

Alexandre Varaut, porte-parole du RN

à franceinfo

L'autre argument brandi est également d'ordre politique. Comme le développait sur franceinfo Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, après la relaxe du président du MoDem, François Bayrou, cette procédure initiée par Bruxelles viserait des "partis antisystème" pour "de vils motifs politiciens". "Les bureaucrates européens sont des gens qui ne supportent pas le vote du peuple", ajoutait-il. "Oui, les assistants parlementaires peuvent avoir une activité politique mais en lien direct avec le parlementaire car ils sont payés par le Parlement européen", répond l'avocat de la partie civile, Patrick Maisonneuve. "Cet argent provient des fonds du contribuable européen, donc du contribuable français."

Marine Le Pen peut-elle se réjouir de la relaxe de François Bayrou ?

Pas vraiment. François Bayrou a été relaxé "au bénéfice du doute"le parquet de Paris a fait appel – mais dix autres cadres et élus de son parti, parmi lesquels cinq anciens eurodéputés, dont Jean-Luc Bennahmias ou l'ancien sénateur et garde des Sceaux Michel Mercier, ont été condamnés à des peines de prison avec sursis, des amendes et des peines d'inéligibilité. Marine Le Pen a elle-même reconnu qu'elle ne pouvait pas "se réjouir" de cette décision. "Je note que la justice semble, en tout cas dans l'affaire de monsieur Bayrou, avoir penché pour la vision européenne", avait-elle commenté sur TF1.

Autre point délicat pour la cheffe de file des députés RN : alors que François Bayrou était seulement poursuivi pour complicité dans ce "système frauduleux", en tant que président de l'UDF puis du MoDem, Marine Le Pen est également visée pour "détournement de fonds" en tant qu'ancienne députée européenne, ayant elle-même bénéficié des services d'assistants parlementaires. Une position qui l'expose à un risque accru de condamnation.

Enfin, le montant du préjudice chiffré par le Parlement européen est bien plus élevé dans l'affaire du Front national que dans celle du MoDem : 6,8 millions d'euros contre 293 000 euros. La condamnation du parti centriste à une amende de 300 000 euros constitue en outre un précédent que le parti lepéniste craint de subir. De quoi menacer le calendrier de son plan de désendettement : un passif d'environ 20 millions d'euros doit être apuré d'ici 2027.

Une condamnation pourrait-elle entraver ses ambitions présidentielles ?

Alors que la triple candidate malheureuse à l'Elysée entend à nouveau concourir dans trois ans, une condamnation à une peine complémentaire d'inéligibilité – de dix ans maximum – pourrait contrarier ses ambitions. Interrogée sur le sujet lors de son point-presse à Hénin-Beaumont, la leader du RN s'est agacée, comme l'a constaté une journaliste de France Télévisions : "Je vous ai gentiment répondu, maintenant on arrête." Si la peine d'inéligibilité est prononcée avec sursis, comme cela a été le cas pour des prévenus du MoDem, elle ne sera pas appliquée si Marine Le Pen n'est pas condamnée pour une nouvelle infraction dans le délai prévu par le tribunal.

Dans le cas d'une peine ferme, les recours peuvent également jouer en faveur de la future candidate et lui permettre d'enjamber les échéances électorales. La décision devrait être rendue début 2025. Si celle-ci n'est pas favorable au parti et aux prévenus, ces derniers peuvent faire appel et suspendre ainsi la peine prononcée. Si cette peine était confirmée en appel, un recours en cassation permettrait de repousser encore son exécution, donc la perspective d'une inéligibilité. Mais comme le fait observer une source judiciaire auprès de franceinfo, une décision définitive au printemps 2027, soit juste avant le scrutin, n'est pas inenvisageable. Le "risque existe pour Marine Le Pen", selon cette même source, qui rappelle que le tribunal peut aussi ordonner l'exécution provisoire de la peine d'inégibilité, annulant l'effet suspensif des recours.

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