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"Bien sûr que je vote pour Marine" : à Hayange, le vote Le Pen s'enracine, malgré le mandat chaotique du maire FN

Dans cette ville de Moselle dirigée par un maire Front national, Marine Le Pen est arrivée en tête au premier tour de l'élection présidentielle.

Article rédigé par franceinfo - Licia Meysenq
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Fabien Engelmann, le maire FN d'Hayange (Moselle), le 23 avril 2017 au soir. (MAXPPP)

"Mes parents, s'ils voyaient ça, ils se retourneraient dans leur tombe." Les épaules de Jean-Pierre s'affaissent chaque fois que le nom de Marine Le Pen est prononcé par les agents municipaux d'Hayange (Moselle). Ce dimanche 23 avril au soir, une dizaine d'entre eux sont affairés à dépouiller les enveloppes du premier tour de l'élection présidentielle.

Le sexagénaire est venu spécialement d'un petit bourg à quelques kilomètres de là pour suivre les résultats de cette ville de 15 000 habitants, administrée par le maire FN Fabien Engelmann. "C'est la seule ville de la région dirigée par ce parti, c'est un laboratoire, explique Jean-Pierre. Je voulais savoir si la candidate frontiste allait gagner du terrain dans les terres conquises par le FN." Les premiers résultats annoncent Marine Le Pen largement en tête. Le retraité fulmine, les larmes aux yeux.

Les gens ont tout oublié, le fascisme, les identitaires, et même Vichy, ça ne dit plus rien à personne.

Jean-Pierre, retraité

à franceinfo

Des agents municipaux d'Hayange (Moselle) en plein dépouillement des votes du premier tour de l''élection présidentielle, le 23 avril 2017. (LICIA MEYSENQ / FRANCEINFO)

A la fin du dépouillement, seule une vingtaine de personnes est encore là pour se féliciter du score de Marine Le Pen : 33,5% des voix, loin devant Jean-Luc Mélenchon, qui totalise 23,3% des suffrages. Les applaudissements timides et le brouhaha ambiant contrastent avec les scènes de liesse au QG du Front national à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), diffusées en direct sur un écran géant. Les Hayangeois ne regardent les informations que d'un œil distrait. Ici, cela fait bien longtemps que l'idée de voir une présidente frontiste s'est ancrée dans les esprits. 

"Depuis qu'il est maire, on ne nous vole rien"

Cet ancrage du FN, nous l'avions constaté quelques heures plus tôt dans les rues de la ville. "Bien sûr que je vote pour Marine", clame Laurence, sourire aux lèvres, alors qu'elle profite du soleil, assise autour d'une table rose disposée dans l'allée calme qui borde sa maison. "Ma table, je la laisse ici la nuit aussi. Depuis que Fabien Engelmann est maire d'Hayange, personne ne nous vole rien."

Propriétaire depuis deux ans, cette jeune retraitée montre fièrement sa façade saumon et les trois nains de jardin disposés sur le rebord de la fenêtre, qui n'ont pas été volés eux non plus. "On est très bien ici, loue-t-elle. Monsieur Engelmann fait tout pour qu'on se sente bien. Il organise des fêtes, comme celle du cochon." Le bilan de la municipalité FN l'a convaincue de voter pour Marine Le Pen à la présidentielle : "Pourtant je ne suis pas raciste", assure-t-elle avant d'ajouter, après un silence : "J'ai un gendre marocain."

Les hauts fourneaux à l'abandon, témoins du passé industriel d'Hayange, le 23 avril 2017. (LICIA MEYSENQ / FRANCEINFO)

Laurence ne tarit pas d'éloges sur Fabien Engelmann. "Il m'a fait un beau cadeau pour mon mariage, il y a deux ans : une parure de stylos et un bouquet." Son mari, ancien ouvrier dans la sidérurgie, se remet d'un cancer du poumon. "L'amiante", explique-t-elle. De loin, on distingue les carcasses de fer des hauts fourneaux, partie intégrante du panorama de la ville. "Pendant sa convalescence, le maire a fait beaucoup pour nous aider." La sexagénaire évoque un conflit de voisinage arbitré par l'édile : un riverain se garait systématiquement devant sa porte. "Le maire a mis une borne à incendie sur cet emplacement et l'affaire a été réglée."

"Je suis d'Hayange, j'ai forcément voté FN"

A la terrasse d'un bar, Guy sirote son café et parle lui aussi fièrement de son vote : "Je suis d'Hayange, j'ai forcément voté FN. Il suffit de voir comme les rues sont devenues propres, il faudrait que cela se passe au niveau national." Selon cet entrepreneur, le bilan du maire parle pour lui. "L'ancien maire profitait de l'argent public pour se faire des dîners dans de grands restaurants. Fabien Engelmann a baissé son salaire, lui." Il réfléchit en tournant sa cuillère. "Bon, il a aussi fait deux ou trois conneries."

Il explique longuement l'affaire de la crèche géante de Noël, installée par la municipalité. Aucun des trois rois mages en plastique n'était noir. Ce couac ne l'a pas dissuadé de voter pour Marine Le Pen. "On est en France, il faut assumer ses valeurs." Guy, qui travaille au Luxembourg, se défend aussi de tout racisme. "J'ai des origines allemandes et autrichiennes."

Les nombreuses polémiques qui émaillent le mandat du maire, Cathy* s'en fiche aussi. Même l'ambition de Fabien Engelmann de fermer le local du Secours populaire, alors qu'elle en a bénéficié elle-même dans le passé. "Il y avait des abus venant de certaines personnes qui prenaient tout avant de jeter dans les environs", affirme cette trentenaire. Elle vient de glisser dans l'urne un bulletin Marine Le Pen.

J'étais au RSA. Je me suis inscrite à Pôle emploi en 2013 et on ne m'a pas fait une seule proposition d'entretien. Il faut que ça change.

Cathy, habitante d'Hayange

à franceinfo

Cathy s'est tournée vers le Luxembourg, voisin de 20 kilomètres, et a trouvé un emploi dans la restauration. "La fermeture des frontières promise par Marine Le Pen ?" Elle hausse les épaules. "Il y avait des travailleurs transfrontaliers avant l'Union européenne, il y en aura après."

Une vieille terre d'immigration 

Pour d'autres, le mandat de Fabien Engelmann ne passe pas. "J'en ai marre qu'on parle d'Hayange à cause des débordements racistes du maire, s'énerve Maurice*. Alors j'ai voté pour Emmanuel Macron." L'homme rappelle que la région est une terre d'immigration. Son père, venu travailler dans la sidérurgie, est italien. Sa mère, espagnole.

Quand on vit ici, on est catalogué. Il m'arrive de recevoir des SMS de collègues qui me traitent de facho. Même si c'est pour rire, c'est blessant quand même.

Maurice, habitant d'Hayange

à franceinfo

A trois heures du dévoilement des résultats du scrutin, Maurice espère, sans trop y croire, que Marine Le Pen ne sera pas en tête dans la commune. "J'espère que cela changera l'image que les gens ont de nous."

Youssouf* aurait bien voté s'il n'avait pas de casier judiciaire. Capuche sur la tête, il liste les polémiques engendrées par la municipalité. "Fabien Engelmann a fait fermer le cours de danse orientale, supprimé la place de livraison du boucher halal, veut séparer les produits français et les produits exotiques du marché… Tout ça, c'est des tactiques fourbes."

Fabien Engelmann, le maire Front national d'Hayange (Moselle), le 23 avril 2017 au soir. (MAXPPP)

"Il s'agit de polémiques stériles, relayées par les médias du système", balaie le maire, le soir du dépouillement. Dans la salle, le soutien au Front national s'affiche sans ostentation. On dénombre un badge "Marine Le Pen" dans l'assistance. Un autre de ses électeurs a épinglé le drapeau de la Lorraine sur le revers de son costume. Un troisième porte un pin's du drapeau américain. "Au début, c'est parce que j'étais fan d'Obama, explique cet ancien militaire. Mais je l'ai mis aujourd'hui pour rappeler que Donald Trump veut construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis, et c'est exactement ce qu'il faut faire en France pour endiguer le flot d'immigration."

"Tais-toi quand c'est le Fabien qui parle !"

L'ex-soldat est de ceux qui écoutent attentivement le maire lorsqu'à 20 heures, il donne les premiers résultats partiels de cinq des seize bureaux de vote de la commune. Mais le discours tourne court. "Quelle arnaque ! Menteur !" s'écrie-t-on dans le public, jusqu'à couvrir la voix de l'édile. Marc Olénine et Gilles Wobedo, membres de l'association anti-FN Hayange plus belle ma ville, reprochent au maire de ne dévoiler qu'une partie des résultats, favorables à Marine Le Pen. La situation dégénère. "Tais-toi quand c'est le Fabien qui parle !", "Je vais le planter !" crient des membres de l'auditoireOn pousse l'un des deux hommes dans le dos, puis une militante frontiste lui fait un doigt d'honneur.

La routine pour Marc Olénine. "A chaque conseil municipal, c'est comme ça. Mais moi j'ai du cuir, je n'hésite pas à m'opposer à ce maire." L'Hayangeois, qui assure n'être encarté nulle part, juge le maire "incompétent et autoritaire". Gilles Wobedo n'est pas plus tendre, lui qui est convoqué au tribunal pour avoir qualifié le maire d'"apprenti dictateur". Quelques mètres plus loin, Régis* acquiesce : "Le maire se contente de nettoyer les rues et de poser trois bacs à fleurs. Tout ce qu'il fait, c'est du clientélisme et de l'intimidation."

Des habitants d'Hayange (Moselle) après le dépouillement des votes du premier tour de l'élection présidentielle, le 23 avril 2017. (LICIA MEYSENQ / FRANCEINFO)

Une fois l'esclandre terminé, la soirée électorale continue sans incident notable. Les "voleuse" criés par l'opposition lors du discours de Marine Le Pen, retransmis sur l'écran, se tarissent vite. Un couple de sexagénaires – lui porte un long catogan blanc et elle un manteau de fourrure – écoute la candidate frontiste. "On a voté pour elle, mais on aurait pu voter pour n'importe quel candidat qui s'intéresse plus au sort des retraités." On entend au loin quelqu'un clamer : "On est chez nous !" "Par contre, ça, on n’est pas d'accord", coupe la retraitée avec un rictus.

La soirée se clôt sur l'allocution de Jean-Luc Mélenchon. Deux heures plus tôt, certains supporters de Marine Le Pen scandaient "mais ils sont où les bolcheviks ?". Changement d'ambiance quand le candidat de la France insoumise se refuse à donner une consigne de vote. Fabien Engelmann loue une décision que l'assistance applaudit également. "C'est un bon outsider, il parle bien et se met à la hauteur du peuple", dit un supporter de Marine Le Pen. "J'aurais préféré que ce soit lui au deuxième tour plutôt qu'Emmanuel Macron", renchérit un autre. Gilles Wobedo veut y voir un espoir : "La gauche est en train de reconquérir les terres ouvrières."  

* Les prénoms ont été changés.

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