Procès des "insoumis" : on vous explique ce qu'est le "lawfare", dont Jean-Luc Mélenchon se dit victime
Le chef de file de La France insoumise, jugé jeudi et vendredi à Bobigny, compare son sort à celui de l'ex-président brésilien de gauche Lula, emprisonné dans son pays.
Jean-Luc Mélenchon, d'habitude, n'abuse pas des anglicismes. Pourtant, depuis son retour d'Amérique latine début septembre, le dirigeant de La France insoumise (LFI) ne cesse de dénoncer le "lawfare", cette instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Cette tactique, selon lui, ne prévaut pas seulement en Amérique latine, où l'ancien président brésilien Lula est emprisonné, mais aussi en France, où il s'en dit victime. Le député LFI des Bouches-du-Rhône comparaît, jeudi 19 et vendredi 20 septembre, pour les incidents ayant émaillé la perquisition au siège de La France insoumise en octobre 2018.
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Qu'est-ce que le "lawfare" ? Sur quels arguments s'appuie Jean-Luc Mélenchon pour s'en dire victime ? Que répondent la ministre de la Justice et les syndicats de magistrats pour réfuter cette vision ? Eléments de réponse.
D'où vient ce mot "lawfare" ?
Le terme est forgé à partir de la contraction des mots anglais "law" (loi) et "warfare" (guerre), rappelle Le Parisien . Après les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain, les néoconservateurs proches de George Bush se sont servis de ce terme pour critiquer le recours au droit international, exploité selon eux par les ennemis des Etats-Unis pour entraver les actions du gouvernement américain, comme l'explique la revue Foreign Policy.
La gauche s'en sert aujourd'hui dans un sens différent. La tactique du "lawfare", expliquaient 200 personnalités dans une tribune publiée le 7 septembre dans Le Journal du dimanche, consiste à instrumentaliser la justice "pour éliminer les concurrents politiques". "Les exemples sont nombreux", écrivent ainsi Jean-Luc Mélenchon, l'ancien chef de l'Etat brésilien Lula ou encore le prix Nobel de la paix argentin Adolfo Perez Esquivel.
Ils citent les exemples de "l'Equatorien Rafael Correa et l'Argentine Cristina Kirchner, persécutés sans trêve [par la justice]". Mais aussi celui du "Brésilien Lula, condamné sans preuves et empêché de se présenter à l'élection présidentielle. Son 'juge', Sergio Moro, est devenu depuis ministre de la Justice du président d'extrême droite Jair Bolsonaro", remarquent-ils.
Dans le cas de Lula, les révélations en juin 2019 du site The Intercept accréditent la thèse d'une justice "ayant manœuvré pour empêcher le retour de l'ex-président de gauche au pouvoir en 2018", explique Le Monde. The Intercept a publié des échanges montrant que "les procureurs (...) ont en fait comploté entre eux sur les moyens d'empêcher le retour au pouvoir de Lula et de son Parti des travailleurs", précise le quotidien du soir.
Les signataires de la tribune du JDD ne sont pas les seuls à dénoncer le "lawfare" qui sévit notamment en Amérique latine. En juin dernier, le pape François, qui est d'origine argentine, s'en prenait également à "cette pratique utilisée pour engendrer la violation systématique des droits sociaux", relève le média de gauche Le vent se lève.
Sur quels arguments s'appuie Mélenchon ?
Pour les signataires de cette tribune, qui appellent à "la fin des procès politiques", Jean-Luc Mélenchon est "poursuivi sans preuves". Le dirigeant de La France insoumise ne cesse, de son côté, de développer l'argument du "procès politique", conçu pour l'éliminer comme opposant. Sur Twitter, les militants de La France insoumise se servent d'ailleurs du mot-clé #StopLawfare pour dénoncer le procès qui se tient à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Dans Le Journal du dimanche daté cette fois du 15 septembre, Jean-Luc Mélenchon développe sa thèse d'une "exécution politique". "Comment vous préparez-vous au procès ?" lui demande Le JDD. Réponse : "C'est une bataille politique. On a vu les fuites organisées des pièces de l'instruction dans la presse, trois jours avant les élections européennes. On a vu les peines encourues : dix ans de prison, 150 000 euros d'amende. On a vu qu'Eric Dupond-Moretti était l'avocat des parties civiles, payé par le gouvernement. On a compris : ils nous convoquent dans un procès politique spectaculaire pour être condamnés. Ce n'est ni du droit ni de la justice. C'est juste une exécution politique."
Dans cette même interview, il réfute le terme même de justice. "Quelle 'justice' ? Il s'agit de guerre politique. Le but est de nous nuire le plus longtemps possible. C'est une mise en scène, qui précède un meurtre politique. J'en ai pris conscience. […] Nous sommes condamnés d'avance." Dans une note de blog publiée le 9 septembre, il précisait : "Dans quelques jours, le système judiciaire macronien compte me détruire."
Comment les syndicats de magistrat réfutent-ils son propos ?
Dès la publication, le 7 septembre, de la tribune du Journal du dimanche, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait réagi. Elle avait déclaré sur France Inter que la dénonciation par Jean-Luc Mélenchon d'un "procès politique" à son encontre relevait d'un "amalgame insupportable et inacceptable".
Les syndicats de magistrats dénoncent, eux aussi, la "ritournelle" du "complot politique", en rappelant "l'indépendance de la justice et l'égalité devant la loi". "La justice, ce n'est pas pour les autres", réaffirme le Syndicat de la magistrature (classé à gauche). "Ces attaques cachent mal un fantasme d'impunité et de toute puissance malheureusement trop répandu, qui abîme notre Etat de droit", ajoute-t-il.
"Ces accusations ne sont pas nouvelles. Les responsables politiques sont des justiciables comme les autres, a réagi auprès de l'AFP Jacky Coulon, de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). S'il y avait un complot politique, tout irait dans le même sens, or on voit bien que ce n'est pas le cas dans les différentes enquêtes visant des personnalités de droite [tel Patrick Balkany], comme de gauche". Selon Le Parisien, Jean-Luc Mélenchon est désormais "seul parmi les personnalités politiques à s'ériger en victime de procès politique". En mars 2017, lors de l'affaire Penelope Fillon, François Fillon, rappelle le quotidien, avait "tenté ce type de dénonciation" avant de faire rapidement machine arrière. Et "Marine le Pen, qui accusait régulièrement la justice de mener des persécutions contre son parti, a elle aussi mis un bémol à ses imprécations, sous la pression d'un électorat attaché avant tout à la défense de l'ordre public".
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