Moralisation de la vie politique : quel contrôle sur le patrimoine des élus ?
François Hollande, à peine sorti du Conseil des ministres mercredi matin, prend un ton solennel :
"Ce que je demande aux Français, et ils en sont eux-mêmes conscients [...] ce n'est pas de vouloir s'acharner sur leurs élus. Ces élus se dévouent pour la République, passent beaucoup de temps, sacrifient leur vie. Donc, d'abord de la compréhension. Nous avons besoin d'élus dans la République"
Car la question est devenue centrale, depuis l'éclatement du "scandale Cahuzac" : quelle confiance accorder aux élus en matière de gestion de leur patrimoine ? Depuis une semaine, plusieurs figures du monde politique font leur "coming out", exposant aux yeux du public leur patrimoine. D'ailleurs, les ministres devront avoir fait de même d'ici le 15 avril.
François Hollande a levé le voile sur l'une des mesures qui nourriront le futur projet de loi sur la moralisation de la vie politique, présenté le 24 avril prochain : la création d'une Haute autorité "totalement indépendante" qui contrôlera les déclarations de patrimoine et d'intérêts des ministres, parlementaires, grands élus et hauts fonctionnaires.
Quid de la commission de transparence ?
Cette mission de contrôle était jusqu'ici assurée par la commission pour la transparence financière de la vie politique, instituée par la loi du 11 mars 1988. Ses trois membres de droit - Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, Vincent Lamanda, Premier Président de la Cour de Cassation et Didier Migaud, président de la Cour des Comptes - et six membres titulaires veillent à ce qu'un élu ne se soit pas enrichi pendant la durée de son mandat. Et pour cela, elle exige la rédaction de déclarations de patrimoine de la part des membres du gouvernement, du Parlement, mais aussi des présidents de collectivités territoriales ou encore maires de communes de plus de 30.000 habitants. Certains dirigeants de grands groupes publics sont également tenus de présenter une déclaration de patrimoine au début et à la fin de leur mandat.
Avec la création annoncée par François Hollande d'une Haute autorité, se rajouterait donc l'obligation de publier une déclaration d'intérêts. Si l'on en croit les annonces du président de la République, cet organe "étudiera de manière approfondie la situation de chaque ministre avant et après sa nomination" . Reste à en connaître les applications, dont l'une des plus symboliques : les déclarations seront-elles consultables sur Internet en toute liberté ?
Quelles sanctions ?
Pour l'instant, selon la loi, les élus qui manquent à leur obligation de déclarer leur patrimoine à la commission sont passibles d'une peine d'un an d'inéligibilité, à laquelle s'ajoutent 15.000 euros d'amende. L'amende grimpe à 30.000 euros en cas de déclaration mensongère, plus une éventuelle interdiction d'exercice des droits civiques. En pratique, les élus doivent tout simplement télécharger sur le site de la commission un formulaire de déclaration, à renvoyer au plus vite. Le Code électoral et son article LO135-1 encadrent cette pratique. Le futur projet de loi sur la moralisation de la vie publique devrait
en cas d'infraction, si l'on en croit les annonces.
La commission pour la transparence financière de la vie politique, si elle constate une évolution inexpliquée entre le patrimoine au début et à la fin du mandat d'un élu, peut le cas échéant transmettre le dossier à la justice. Mais en plus de 23 ans d'existence, la commission n'a prononcé aucune sanction, faute de moyens et de volonté pour le président de Transparency International, Daniel Lebègue. L'association avait posé sept questions à François Hollande pendant sa campagne ; le futur président s'était engagé alors à publier des déclarations d'intérêts précises.
Mais en l'état actuel de la législation, il est totalement illégal de rendre publiques ces déclarations.
La France, mauvaise élève de l'Union européenne
En effet, la loi relative à la transparence financière de la vie politique, promulguée le 11 mars 1988 et plusieurs fois complétée depuis, prévoit que "la commission assure le caractère confidentiel des déclarations reçues ainsi que des observations formulées, le cas échéant, par les déclarants sur l'évolution de leur patrimoine" . Ainsi, le président de la République, son Premier ministre, son gouvernement et les parlementaires révèlent leur patrimoine en début de mandat ; mais, à l'exception de celui du chef de l'État, ils ne sont pas consultables publiquement. Pour Myriam Savy, chargée d'études à l'ONG Transparency International, il y a "vraiment un problème sur la transparence" en France. Libre ensuite à chaque élu de communiquer sur son patrimoine s'il le souhaite.
Comme le montre la carte ci-dessus, la France est le seul pays de l'Union européenne, avec la Slovénie, à interdire la publication et la consultation du patrimoine des parlementaires.
Chez nos voisins, en Allemagne par exemple, les élus du Bundestag déclarent non seulement leur patrimoine, mais aussi leur salaire, leur parcours professionnel, leurs éventuelles dettes... Aux États-Unis, les hommes politiques aussi jouent le jeu à fond de la transparence complète, allant jusqu'à fournir leurs certificats de naissance.
En la matière, les pays scandinaves sont une fois de plus à la pointe : en Suède, tout citoyen peut demander à consulter le patrimoine, le revenu, la feuille d'impôts d'un élu, quelque soit son rang.
Une différence culturelle
En France, si les
"simples citoyens" veulent vérifier ce que déclarent leurs élus
publiquement, il leur faut tout simplement leur faire confiance. Car,
si les centres d'impôts tiennent à disposition, sur demande, une liste des personnes payant des impôts dans leur commune,
leurs revenus et leur imposition, la loi protège les élus qui font leur
déclaration de patrimoine à la commission de transparence.
Selon Myriam Savy, ce particularisme franco-français s'explique par une "question de culture" . En France, et les réactions de certains élus, de droite comme de gauche, depuis le déclenchement de l'affaire Cahuzac, le montrent, la transparence totale est parfois vécue comme une contrainte, ou pire, le mot a été prononcé, une "dictature" .
Toujours selon certains hommes politiques, comme Jean-Luc Mélenchon, interrogé mardi soir sur France 2, ou Christian Jacob sur France Info, les élus ne devraient pas être les seuls à déclarer leur patrimoine : il faudrait y inclure les juges, les procureurs, ou encore les journalistes. Les magistrats sont d'ailleurs tenus de dévoiler leurs revenus en Suède, au Mexique ou encore en Italie.
Depuis quelques jours, et encore plus depuis la déclaration de François Hollande mercredi matin, la volonté de changer les règles du jeu semble s'être imposée. Avec le projet de loi prévu pour le 24 avril, les parlementaires ont la possibilité de mettre fin à une exception bien française.
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